INTRODUCTION
Il est communément admis, et notre pratique clinique nous le montre tous les jours, que l'homme debout «immobile» se présente à l'observateur attentif avec un certain nombre d'asymétries dans la répartition spatiale de ses divers segments osseux les uns par rapport aux autres.
Mais l'expérience nous enseigne qu'il est abusif de vouloir accorder à ces asymétries posturales une trop grande prépondérance en terme de causalité pathologique, même si des améliorations cliniques nettes s'accompagnent souvent d'une réduction de ces asymétries, car il faut savoir distinguer si l'asymétrie est source d'une tendance à la pathologie, essentiellement rachidienne ou ostéo-articulaire par contraintes mécaniques asymétriques, ou son reflet adaptatif au travers de la régulation posturale. Je pense qu'il est nécessaire pour cela de revenir sur certaines considérations d'une part, de proposer à la réflexion des distinctions plus subtiles d'autre part.
LES ASYMETRIES POSTURALES
Certains auteurs attirent constamment l'attention sur les asymétries posturales, tel BRICOT (1) qui les étudie dans les trois plans de l'espace grâce à une batterie de tests (tout en évaluant leur action sur celles-ci) puis propose un certain nombre de corrections dans le but d'en réduire l'effet supposé mécaniquement contraignant sur les différentes pièces et jonctions ostéo-articulaires, en particulier rachidiennes, partant ainsi du principe qu'il FAUT les réduire, c'est-à-dire qu'elles seraient pas essence même pathogènes.
Dans une telle démarche, il devient dès lors nécessaire de considérer que TOUTE asymétrie posturale est pathogène, et que l'homme debout immobile normal est parfaitement symétrique. Cela n'est ni logique ni réel dans la pratique clinique quotidienne, même si l'on ne considère exclusivement que des patients atteints de troubles très purement fonctionnels. D'ailleurs, plusieurs auteurs, dont FECTEAU (2) mais aussi d'autres, insistent sur les fortes relations entre la latéralité manuelle (prise au sens commun du terme) et certaines asymétries posturales. A moins de considérer la latéralisation corticale et motrice comme une tare possédant intrinsèquement et par ses conséquences sur la posture une capacité pathogène, il est donc obligatoire de considérer que l'être humain normal n'est pas symétrique en position debout immobile. Or, c'est bien ce que nous constatons, puisqu'il ne nous semble pas, en clinique, qu'il y ait une relation nette entre les asymétries posturales et la pathologie fonctionnelle rachidienne et articulaire, du moins dans une première analyse. Alors, comment expliquer des améliorations parfois spectaculaires concomitantes à des réductions de ces asymétries ?
GAGEY (3) le premier proposait une explication en terme de quantification, une asymétrie posturale ne revêtant un caractère de pathogénicité qu'à partir d'une certaine importance quantifiable. Cette notion de quantification nous semble devoir être modulée car, là encore, et après avoir repris quelque 600 fiches de patients chez lesquels il a pu être mesuré l'importance de ces asymétries de la posture orthostatique par une quantification clinique simple (quantification de la bascule de la ceinture scapulaire, de la bascule et de la rotation de la ceinture pelvienne en prenant comme unité de mesure un nombre de travers de doigts), il n'est pas évident du tout que l'importance de la plainte douloureuse, son ancienneté, ou la nature et le degré de la plainte fonctionnelle, soit proportionnelle à l'importance des ces asymétries. Nous avons même dans notre clientèle tout venant d'un cabinet médical prenant principalement en charge la pathologie rachidienne fonctionnelle, lésionnelle ou mixte, bon nombre de consultants bien portants présentant d'importantes asymétries posturales ou, inversement, en situation de souffrance rachidienne fonctionnelle sans asymétrie posturale. Cette dualité soulagement / réduction des asymétries posturales d'une part, et non parallélisme primaire entre asymétries posturales et plainte fonctionnelle d'autre part nous pousse à devoir distinguer plusieurs classes (et donc causalités et pathogénicités) d'asymétries de la posture orthostatique. En effet, de telles dualités apparentes se rencontrent généralement dans le cas où plusieurs paramètres d'étude sont confondus en un seul, et donc non distinguables entre eux.
Il me semble dès lors important d'introduire de nouvelles notions de compréhension en ce domaine. Nous considérons en effet que dans le terme d'asymétrie de la posture orthostatique, trois éléments constitutifs sont combinés : l'asymétrie motrice corticale (liée à la latéralité d'apprentissage), l'asymétrie de structure (asymétrie d'ossification, asymétrie d'adaptation mécanique au travail posté prolongé, asymétries acquises par contraintes diverses y compris posturales, asymétries malformatives, post-traumatiques ou chirurgicales), et les asymétries toniques posturales proprement dites.
Les asymétries motrices corticales.
Comme l'a bien montré FECTEAU (1) et d'autres, elles sont liées à l'apprentissage manuel cortical qui privilégie une tactique orientée dans un but de spécialisation poussée par simplification, organisation et complexification des schémas moteurs asymétriques. Incontournable sauf dans de très rares cas, elle n'est pas pathogène à notre sens car constante dès le jeune âge et donc parfaitement intégrée en terme de régulation du mouvement et de son accompagnement postural qui se fait dès lors sans contrainte vis-à-vis des éléments ostéo-articulaires qui s'y sont parfaitement adaptés.
Les asymétries de structure.
Il serait illusoire de considérer notre système ostéo-articulaire aussi parfait que celui qui est décrit dans nos manuels d'anatomie. Aucune vertèbre n'est parfaitement symétrique, aucune surface articulaire n'est exempte d'irrégularité, aucun de nos os n'a exactement la même longueur entre la droite et la gauche. Cela est d'autant plus important, bien entendu, en cas de malformation franche ou de modification chirurgicale ou traumatique.
Nous avons cherché à connaître l'impact fonctionnel de ces asymétries que nous classifions de structure en terme de pathogénicité fonctionnelle, et nous avons été surpris de constater la relative bonne adaptabilité de l'être humain à la modification anatomique extrêmement brutale que constitue une fracture ostéo-synthésée, ou la mise en place d'une prothèse dont, malgré les nombreux progrès de la chirurgie, la position n'est qu'approximative. Quand il y a problème, il est franc, immédiat et très invalidant. Il est alors à priori du domaine orthopédique et non postural. Quant à l'étude de l'impact des malformations, elle répond également à une réflexion de type orthopédique en sachant que les petites malformations sont bien et longtemps tolérées dans la mesure où elles surviennent à un âge précoce, période justement pendant laquelle le système tonique postural est capable d'une grande adaptation, qu'elles sont mal tolérées quand elles ne sont pas mineures pour les mêmes raisons car le système tonique postural n'est plus alors capable de les prendre en compte tandis que leur impact biomécanique est alors majeur. Nous pensons que c'est dans ce cadre que rentre bon nombre de scolioses dites structurales.
Les asymétries toniques posturales proprement dites.
Le terme postural étant (est-ce à regretter ?) mis à de nombreuses sauces différentes, nous préférons dans ce cadre au terme d'asymétrie tonique posturale celui de dystonies segmentaires, c'est-à-dire d'asymétries du tonus musculaire (toutes composantes confondues) au niveau de chaque segment voire de chaque métamère ou groupe de métamère. Parmi ces dystonies segmentaires, les plus significatives et les plus étudiées sont celles qui concernent les ceintures (scapulaire et pelvienne). Nous avons l'habitude de les étudier en terme de réactivité et non en terme statique, car il est impossible de distinguer à leur niveau ce qui est du domaine moteur cortical (latéralisation), du domaine structural (jambe plus courte par exemple) et du domaine purement tonique musculaire.
ASYMETRIE DE LATERALISATION, DYSTATIE OU DYSTONIE SEGMENTAIRE?
D'après notre expérience clinique de plus de 15 ans en pathologie rachidienne et posturale, nous considérons depuis plusieurs années maintenant qu'il faut distinguer ces trois composantes fondamentales quand on parle d'asymétrie de la posture orthostatique, avec quelques règles de base régissant leurs rapports respectifs.
Les asymétries motrices corticales (nous désignons ainsi les asymétries dues à l'élaboration d'une gestuelle orientée en terme de latéralité par la nécessité de précision et d'intégration centrale fine, essentiellement manuelle mais aussi oculaire, rachidienne et des membres inférieurs) ne peuvent être réellement modifiées chez l'adulte, difficilement chez l'enfant. De plus, cela ne nous semble pas souhaitable pour de nombreuses raisons. Nous considérons surtout qu'elles ne représentent pas une source de grande pathogénicité à la lueur des arguments que nous avons exposé plus haut à leur sujet. Ces asymétries liées à la charge informative de chaque hémisphère cérébral constituent la base stable et parfaitement intégrée de notre orientation asymétrique naturelle dans l'espace. Elles sont hélas malencontreusement essentiellement modifiées par les psychotropes au sens large du terme.
Les asymétries de structure sont toujours présentes, à des degrés variables. Dotées d'un pouvoir d'adaptabilité lente (ossification, déformations progressives), ce sont celles qui sont classiquement décrites radiologiquement en terme de dystaties. Elles sont du domaine orthopédique pur, mais il est naturel de rappeler qu'elles subissent les effets des dystonies segmentaires et, à un moindre degré en terme d'importance thérapeutique, de la latéralité.
Les dystonies segmentaires sont difficilement mesurables, car souvent confondues avec les deux précédentes sources d'asymétries. Ce sont ces anomalies toniques segmentaires que nous essayons de modifier en les adaptant, afin de réduire les contraintes articulaires et rachidiennes au minimum dans notre pratique clinique quotidienne. Essentiellement adaptatives et donc variables, comme peut l'être le tonus musculaire, nous préférons les évaluer par variation instantanée des asymétries de la posture orthostatique en réponse à diverses manoeuvres de stimulation / freination / modification des entrées posturales et des rapports respectifs de leur action. Nous utilisons pour cela un système simplifié de caméra de vision assistée par ordinateur (système STATIS) qui nous donne dans un plan la variation angulaire instantanée des bascules des ceintures en réponse aux modifications des informations non mécaniques fournies aux entrées posturales avec une extrême précision.
Cela permet de distinguer :
- des asymétries de la posture orthostatique essentiellement dystatiques (aucune variation spatiale de l'asymétrie de la posture orthostatique n'est détectable par modification du poids respectif des entrées posturales), pour lesquelles seule une attitude orthopédique est envisageable en cas de pathologie, et où toute action posturale est inutile voire néfaste. Ceci explique peut-être les nombreux échecs de l'abord postural de la scoliose.
- des asymétries mixtes, dystatiques et dystoniques segmentaires, (l'asymétrie de la posture orthostatique varie selon les informations qui sont fournies aux entrées posturales), les plus complexes et les plus fréquentes, pour lesquelles une thérapeutique posturale nous semble légitime et indiquée, en sachant qu'une amélioration nette est d'emblée obtenue par un traitement postural bien conduit (et correspondant probablement à la réduction des contraintes mécaniques élastiques imposées aux structures osseuses et ostéo-articulaires, hautement sources de douleurs), mais pour lesquelles un suivi à long terme, éventuellement avec l'aide de techniques non posturales, est indispensable afin d'espérer obtenir une guérison complète, qui ne se fait jamais par disparition complète de l'asymétrie de la posture orthostatique, le facteur dystatique même réduit restant présent. Soulignons à nouveau que d'après notre expérience clinique l'affirmation dystatie = anomalie est fausse, mais dystatie + dystonie segmentaire est un couple évolutif dangereux.
- des asymétries par dystonies segmentaires pures, (l'asymétrie de la posture orthostatique disparaît parfois complètement selon les configurations d'informations données aux entrées posturales), très douloureuses car justement sans dystatie vraie, dont le traitement fait disparaître complètement et rapidement les asymétries de la posture orthostatique avec guérison complète de la plainte fonctionnelle. C'est dans ce cadre, à notre avis, que l'on observe les meilleures réactions favorables au test de FUKUDA avec mesure des gains du réflexe nucal.
CONCLUSION
En pratique clinique, nous distinguons dans les asymétries de la posture orthostatique les asymétries motrices corticales, liées à la latéralisation, les asymétries de structure (dystaties) d'ordre plus mécanique et les dystonies segmentaires. Dans un cadre purement postural nous ne considérons que ces dernières, en sachant que nombre de dystaties ont comme origine des dystonies segmentaires, mais aussi que le principe n'est pas de réduire une asymétrie posturale mais bien d'adapter bio-mécaniquement ces trois composantes. Cela ne se fait pas toujours par un retour à la symétrie de la posture orthostatique, qui n'est donc pas un critère en soi de normalité. Le traitement des dystonies segmentaires est d'une remarquable efficacité clinique en terme de pathologie fonctionnelle.
Aubagne - Le 26 Octobre 1997
BIBLIOGRAPHIE SUCCINTE
(1) B. Bricot : La reprogrammation posturale globale - Montpellier - Sauramps - 1996
(2) P. Fecteau : Influence de la latéralité et du sexe sur la bascule des épaules et la tendance varisante des pieds - Québec - Centre Bien-Être et Posture - 1996
(3) P.M. Gagey, B. Weber : Posturologie - Régulation et dérèglements de la station debout - Masson - 1995
(3) P.M. Gagey : Pied Pilier et Pied Moteur - 1997
Critique de l'article de Marignan: «A propos des dystaties, dystonies et asymétries posturales»
Pierre-Marie GAGEY (10/01/2001)
Je trouve cet article remarquablement intéressant et tout à fait d'actualité, si je le critique c'est en toute amitié, évidemment, et pour augmenter sa portée.
L'épithète «postural» gêne
Marignan, il écrit: «Le terme postural étant
(est-ce à regretter ?) mis à de nombreuses sauces
différentes, nous préférons dans ce cadre
au terme d'asymétrie tonique posturale celui de dystonies
segmentaires.»
Il me semble qu'il n'est pas souhaitable de remplacer
une expression déjà un peu connue (asymétrie
posturale), par une expression nouvelle (dystonie segmentaire)
sous prétexte que cette nouvelle expression serait d'emblée
mieux comprise et pas mise à toutes les sauces, elle!...
[Notons que le terme dystonie a déjà une signification
attestée dans les dictionnaires de "contraction tonique
involontaire et incoercible, de survenue intermittente"...
Ce qui ne correspond pas très bien à ce qu'on désigne
par asymétries toniques posturales.]
Il existe un consensus de base - certain -
autour du sens de l'adjectif "postural" et je pense
qu'il y a intérêt à en profiter. "Posture"
désigne sans aucune ambiguité une "attitude",
une "position" des parties du corps et pour contre-distinguer
le terme de "Posture" des termes qui permettent d'approcher
sa signification (Attitude, Position) le terme de "Maintien"
est couramment utilisé qui connote l'activité (supérieure)
qui permet de maintenir cette position, cette attitude.
Plutôt que de changer de terme il me semble préférable
de rappeler à l'ordre ceux qui, par hasard, se trompent
en utilisant le terme postural d'une façon incorrecte...
Comme Marignan par exemple (!!) dans son introduction de l'article:
«Il est communément admis [...] que l'homme debout
«immobile» se présente à l'observateur
attentif avec un certain nombre d'asymétries dans la répartition
spatiale de ses divers segments osseux les uns par rapport aux
autres. Mais l'expérience nous enseigne qu'il est
abusif de vouloir accorder à ces asymétries posturales...»
L'usage de "posturales" est abusif ici, rien dans la
phrase ne permet de qualifier de posturales ces asymétries,
on peut simplement dire asymétries "d'attitude"
ou "de position" ou "morphologiques" ou "topologiques"...
Et d'ailleurs tout l'article de Marignan est écrit pour
précisément stigmatiser cette erreur que l'auteur
commet dans son introduction! C'est assez joli.
Que ceux qui sont pour l'adoption du terme "dystonie
segmentaire" à la place "d'asymétrie tonique
posturale", le disent! Mais moi je suis contre, franchement
contre. Les posturologues ont besoin d'un vocabulaire ferme, sans
ambiguité, il nous appartient de le construire démocratiquement.