Comptes-rendus de la Société de Biologie, 74, 852-855, 1913

Désorientation et déséquilibration spontanée et provoquée.

La déviation angulaire
J. Babinski et G.A. Weill

     A l'état normal, en supposant l'intégrité de notre appareil statique, nous pouvons, les yeux fermés ou dans l'obscurité, maintenir notre équilibre aussi longtemps qu'il le faudra et dans difficulté.
     Dans les mêmes conditions, nous pouvons, pendant un certain temps, nous déplacer correctement dans une direction déterminée.
     Sur un sujet dont l'appareil statique est anormal, on observe habituellement, après occlusion des yeux, des troubles de l'équilibre et des erreurs d'orientation.
     Le procédé que nous proposons permet de rendre manifestes les perturbations les plus légères de l'équilibre et de l'orientation. Le sujet étant placé debout, face à un point de direction qu'on lui désigne, on lui bande les yeux et on lui commande d'avancer dans la direction déterminée, puis de reculer et, sans interruption, d'avancer et reculer au commandement un certain nombre de fois, toujours dans la même direction.
     Si ce sujet est normal, il doit rester, après quelques trajets , sur la même ligne et dans la même orientation qu'au départ; tout au plus, s'il s'en écarte,l'angle dont il a dévié ne dépassera guère 45 degrés; de plus, dans plusieurs épreuves successives, le sens de la déviation ne sera pas constant, pas plus que son amplitude.
     S'il existe une anomalie de l'appareil statique, les déviations pendant la marche directe, et les déviations généralement plus considérables, pendant la marche à reculons, vont s'additionner jusqu'à la fin de l'expérience et produire soit une latéropulsion, soit, dans la majorité des cas, une déviation angulaire correspondant parfois à un demi-tour complet. C'est ce que nous appelons la déviation angulaire spontanée (D.A.S.).
     On considère comme anormale une déviation angulaire constante.

Influence du courant galvanique sur la déviation angulaire
Déviation angulaire voltaïque (D.A.N.)

     Sur un individu normal, l'application bitemporale du courant galvanique provoque la déviation angulaire du côté du pôle positif.
     Les électrodes appliquées au-devant et au-dessus du tragus sont maintenues pas un lien élastique, un tube à douche par exemple, qui passe sous le menton et au-devant des oreilles. Les électrodes sont faites d'ouate mouillée et enroulée autour de l'extrémité des conducteurs.
     Le courant nécessaire pour rendre évidente la déviation angulaire est très faible; à l'état normal, un milliampère suffit.
On doit éviter d'employer des intensités supérieures qui produirait une trop grande déséquilibration et des sensations désagréables de vertige.
     Nous savons déjà qu'avec un courant de 3 à 5 milliampères, on provoque chez un sujet assis, un mouvement d'inclination ou de rotation de la tête vers l'anode, c'est le vertige voltaïque.
     La sensibilité de cette réaction augmente si cette recherche est faire sur un sujet debout.
     Pendant la marche, ces réactions au courant galvanique sont encore plus évidente.
     L'expérience étant disposée comme nous l'avons dit, on obtient normalement pendant le passage du courant, une légère titubation à la fermeture. Puis une déviation angulaire qui dépasse souvent 90 degrés. Cette déviation se fait dans le sens du pôle positif.
     Si le sujet est très sensible à l'action du courant, ou si le courant employé dépasse 2 milliampères, on observe une forte titubation avec latéropulsion du côté de l'anode. Ce phénomène est comparable à l'inclinaison de la tête du côté du pole positif, qui est une des caractéristique du vertige voltaïque.
     Au contraire, la déviation angulaire obtenue avec le minimum de courant est comparable au phénomène de la rotation de la tête. Mais, tandis que dans la recherche du vertige voltaïque c'est l'inclination qui est le plus facilement observée, dans l'épreuve de la déviation angulaire galvanique c'est la rotation qui est le symptôme principal.
     Dans le cas d'anomalies, plusieurs modalités se présenteront :
a) Absence de déviation voltaïque. — Il s'agira d'une résistance anormale, comme on en observe chez des sujets qui n'ont pas d'inclination au cours de l'épreuve du vertige voltaïque avec les intensités habituelles. En augmentant l'intensité, la déviation angulaire peut apparaître, mais, plus souvent, ce sera une forte latéropulsion empêchant la marche.
b) Déviation voltaïque unilatérale ou à prédominance unilatérale. — Un courant faible, tout en déterminant à la fermeture dans les deux sens une légère titubation, provoquera une déviation angulaire dans un sens seulement ou nettement prédominant dans ce sens; ou bien, pour obtenir une déviation comparable en sens inverse, il sera nécessaire, l'anode étant appliquée de ce côté, d'employer un courant double ou triple.
c) Correction de la déviation angulaire spontanée. — Un sujet présentant une déviation angulaire constante pourra, si on place l'anode du côté opposé à la déviation, marcher avec une parfaite rectitude, sans présenter la moindre désorientation .

Déviation angulaire après giration (D.A.G.)

     Le trouble produit par la giration est moins durable que celui qui résulte de l'excitation calorique; il suffit cependant à provoquer la déviation angulaire.
     Pour comprendre les phénomènes observés, il faut se rappeler que deux effets réflexes résultent de la giration, l'un direct se traduisant schématiquement par l'excitation ampullaire du côté où se fait le mouvement; l'autre, inverse, se produit à l'arrêt; c'est celui qu'on observe habituellement, et qui se traduit pas le post-nystagmus en sens inverse du mouvement.
     La déviation angulaire peut être commandée soit par l'effet direct, ce qui paraît le plus fréquent à l'état normal, soit pas l'effet secondaire.
     Dans le premier cas, la déviation se fera en sens inverse du mouvement imprimé au plateau tournant; dans le second cas, elle se fera dans le même sens.

En résumé, la recherche de la déviation angulaire, et, en particulier, son analyse pendant l'application du courant galvanique, fournit des données d'une grande sensibilité sur les réactions de l'appareil statique. Par la multiplicité des épreuves possibles, elle permet la vérification des anomalies observées et une notation commode de leur valeur.