Guy BIZZO
1934 - 2004

     Le neuf Août 2004, sur la pointe des pieds, discret comme il l’a été toute sa vie, Guy Bizzo est parti pour les espaces infinis ; ses cendres, à sa demande, seront dispersées dans un ciel marin.

     C’est au retour de Houston, dans le ciel au dessus de l’atlantique, que nos destins se sont définitivement scellés. Kapteyn venait de jeter l’éponge, tout espoir était définitivement perdu que la société internationale d’étude de la posture et de la marche — c’était son nouveau nom — rédige le cahier des charges d’une plate-forme de stabilométrie normalisée, alors, entre deux gorgées de whisky, nous nous sommes promis de nous unir pour l’écrire. C’est ainsi qu’il est devenu le père de la plate-forme de stabilométrie normalisée de l’Association Française de Posturologie [1].

     Dans nos instants de détente entre deux discussions de physique, de mécanique, d’informatique ou de statistiques, j’ai appris à connaître plein de détails de sa vie.

     La « Guerre des boutons » fut la toile de fond de son enfance dans la commune de Belvoir sur les plateaux du doubs, là où, effectivement, cette charmante guéguerre s’était déroulée quelques années plus tôt ; et le petit Guy a croisé sur les chemins, le plus jeune des protagonistes qui vivait encore, celui qui s’embrouillait avec l’usage du conditionnel [« Si j’aurais su, j’aurais pas venu ! »]. Guy vivait là chez une nourrice dont il parlait avec émotion, cinquante ans après. Sa mère l’avait abandonné dès sa naissance, tout en lui donnant son nom de jeune fille, signe de cette ambiguïté de leurs rapports qui persistera tout au long de leurs vies. Etre « fille-mère » en 1934, comme on disait alors, était bien difficile à vivre.

     L’instituteur de Belvoir, témoin de l’intelligence de l’enfant, réussit à lui obtenir une bourse pour qu’il continue ses études d’abord au lycée Victor Hugo puis à la Faculté des Sciences de l’Université de Besançon.

     Jamais il ne m’a parlé de la guerre d’Algérie à laquelle il a participé pendant 26 mois, son « temps d’appelé sous les drapeaux ».

     En 1962, il entre comme technicien, au laboratoire central de l’armement à Arcueil. C’est de là, quelques années plus tard, que Bagey l’emmène dans un laboratoire de l’hospice Sainte-Anne de Paris, chez un certain docteur J-B Baron, pour faire quelques soudures sur des instruments de laboratoire. Bizzo y découvre ce merveilleux signal stabilométrique, plein de mystère et de richesses. Nous sommes alors à la pleine époque de l’analyse du signal, Jacques Max écrit son livre [2] — le livre de chevet de Bizzo — qui sera traduit en plusieurs langues et maintes fois réédité. Baron n’a donc pas de peine à convaincre Bizzo de travailler avec lui pour analyser ce signal et tenter, à partir de là, de déterminer la fonction de transfert du système de régulation posturale. Bizzo en fera sa thèse de sciences [3] soutenue devant Soulairac et Zamansky.

     L’armée reconnaît ses mérites et le nomme ingénieur de l’armement. Fidèle à la tradition de la grande muette, pendant des années il ne me dit rien de ses activités, mais en 1982 il ne peut pas retenir un certain sourire de satisfaction en me montrant la photographie du HMS Ardent en train de couler dans la baie de San Carlos des Malouines. L’exocet ! C’était bien lui qu’il avait mis au point pendant des années de silence avec ses collègues d’Arcueil. Après cette destruction du HMS Ardent, la conception des marines de guerre sera définitivement changée.

     Après ce brillant succès, le LCA, faute de crédits [nous sommes en 1982], se repose sur ses lauriers, et Bizzo ne manque pas de temps pour s’occuper de la plate-fome normalisée, des normes de stabilométrie, des problèmes de cadence d’échantillonnage, de métrologie, d’autant plus facilement qu’il est délégué par le LCA au Bureau National de Métrologie.

     Il est à peine à la retraite depuis quelques années lorsqu’apparaissent les premiers signes de la maladie de Charcot qui devait l’emporter, il tombe en pleine rue, sans savoir pourquoi… Les dernières fois que je l’ai vu à l’hôpital Saint-Antoine, assis sur son fauteil comme un pantin délabré, réduit au silence par sa trachéotomie, mais l’œil vif et l'esprit parfaitement conscient, il faisait des mots croisés pour tuer le temps qui passait trop lentement à son gré, mais quelle sérénité…

1 - Bizzo G., Guillet N., Patat A., Gagey P.M. (1985) Specifications for building a vertical force platform designed for clinical stabilometry. Med. Biol. Eng. Comput., 23: 474-476.
2- Max J. (1972) Méthodes et techniques de traitement du signal et applications aux mesures physiques. Masson, Paris.
3 - Bizzo G. (1974) Tentative de détermination de la fonction de transfert du système de régulation posturale chez l’homme en orthostatisme à la suite de stimulation électriques labyrinthiques. Thèse de sciences (Paris V), 235 pages.

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