L'arbre et la forêt

Consultation pluridisciplinaire de Posturologie à l'Hôpital d'Eaubonne

Service de Gériatrie du Docteur TAURAND

      Madame N.D., 59 ans, consulte en 2001 pour des troubles mnésiques, mais en fait elle a bien d'autres problèmes. Elle parle sans difficulté de ses lombalgies qui la tiennent depuis la naissance de sa fille (1963), mais sans l'intervention du médecin qui la suit à la consultation elle aurait complètement oublié de dire qu'elle souffre depuis l'âge de 7 ans (1949) de séquelles d'une encéphalite qui, curieusement, s'est manifestée par un syndrome hémiplégique, mais aussi par des troubles extrapyramidaux, bien sûr. Quant à ses problèmes dentaires, visuels, podaux... Ils n'apparaissent que si on la questionne précisément à ce sujet, et pourtant ils sont loin d'être négligeables...

     Certes le Neuro-Psychiâtre note que ses myoclonies sont d'une importance exceptionnelle. Et nous n'avons pas l'habitude de voir des enregistrements stabilométriques de contractions musculaires involontaires aussi massives: en situation YO apparaît à la 33ième seconde un déplacement du centre de pression d'une amplitude considérable: 80 mm, d'une période de 3 secondes; en situation YF on saisit une salve de 5 ou 6 myoclonies, à peine moins amples et de même période.

 

 
 Stabilogramme Droite/Gauche enregistré en situation yeux ouverts. Explications dans le texte.  Stabilogramme Avant/Arrière enregistré en situation yeux fermés. Explications dans le texte.

     Ces mouvements donnent une ampleur considérable aux surfaces, bien sûr, et s'accompagnent d'un VFY à dix écarts-types de la moyenne!... La variance de la vitesse a effectivement de quoi être perturbée par ces grands mouvement involontaires, ultrarapides par rapport aux oscillations posturales.

     Ces myoclonies massives peuvent très bien expliquer les chutes de Mme D., d'autant plus qu'elle n'a pas le profil d'un vieillard chuteur: son âge, son absence d'accrochage à la vision (Quotient du Romberg normal), son absence d'angoisse - dit le Neuro-Psychiatre - même si elle se «méfie» de son mauvais équilibre, une intercorrélation non franchement sinusoïdale, un déport avant de sa posture à la verticale de Barré de profil au lieu du déport arrière si caractéristique des vieillards. Mais si massives, si impressionnantes, soient ces myoclonies et quel que soit leur rôle dans ces chutes, faut-il se contenter de laisser Mme D. sous Dépakine? Ne peut-on pas aussi s'intéresser au traitement de ses autres problèmes? Il ne faudrait quand même pas que l'arbre cache la forêt!

   Le Dentiste est formel: soigner le déséquilibre de son appareil manducateur garantirait au minimum la disparition d'une grande part de ses céphalées, de ses cervicalgies.

     Sans parler de son hétérophorie évidente, une correction visuelle adaptée par l'Opticien, (OD:1[-0,25]100°; OG:0,75; [+2,50 à additionner de préférence en double foyer]), semblait modifier immédiatement son tonus postural ('semblait'... Car les myoclonies ne facilitaient pas l'examen!).

     Ses psoas ont besoin d'être étirés, note le Kinésithérapeute.

     Les trois Podologues présents s'accordent sur les besoins de soins pédicures (Cor sous-unguéal droit) et d'un chaussant montant qui augmente l'information.

     Le Posturologue, frappé par les phénomènes toniques déclenchés chez Mme D. par les mouvements de la scène visuelle, pense que l'efficacité d'une rééducation posturale dans une ambiance optocinétique devrait être évaluée.

 

     Que de pistes thérapeutiques! Et qui toutes s'écartent, au moins à son idée, de la demande de Mme D.: retrouver de la mémoire... Comment lui faire comprendre que les afférences mandibulaires, la vision, l'oculomotricité, la rééducation posturale agissent sur la vigilance? Et vraisemblablement aussi sur son tonus postural?

     Mme D. ne se plaint pas de ses myoclonies `­ elle oublie même d'en parler! - et pourtant on les soigne, pourquoi ne pas soigner ce dont elle se plaint, comme nous savons le faire, même si elle ne comprend pas tout de suite par où on la fait passer? L'équiper d'une prothèse dentaire, d'une paire de lunettes, quelques soins de pieds, surveiller le choix de ses chaussures, travailler ses psoas, solliciter son cortex par une rééducation posturale, nous savons que toutes ces pistes représentent mille façons de la secouer de cette torpeur de l'acceptation de son destin dans lequel elle est en train de s'enfoncer... Pas totalement d'ailleurs puisqu'elle s'inquiète de sa perte de mémoire!

     On peut tout faire à la fois, dans n'importe quel ordre, car il ne s'agit pas ici d'un traitement postural au sens strict avec toutes ses interrogations sur le primum movens. Mais c'est un traitement qui doit beaucoup à notre expérience des traitements posturaux qui nous rend incisifs, sûrs que Mme D. tirera de ces multiples interventions un profit supérieur.