Je déteste enseigner.
Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour
le docteur Alfredo MARINO. Je pense que ce qu'il fait en Posturologie
est bien, que son action mérite d'être soutenue.
Mais je déteste enseigner car cela
vous place dans une situation très ambiguë à
l'égard de la connaissance. Le professeur risque d'apparaître
comme celui qui sait et qui vient transmettre son savoir et par
là conférer un certain pouvoir aux étudiants.
Cette image du professeur, à vrai dire assez traditionnelle,
est parfaitement odieuse tellement elle est réductrice.
La réalité de la connaissance déborde, heureusement,
cette triste image.
Alors pour lever toutes ambiguïtés,
permettez-moi de vous dire d'abord comment je vois cette aventure
de la connaissance, pour que nous puissions faire réellement
un bout de chemin ensemble.
Ces réflexions seront assez mal
exprimées, je m'en excuse à l'avance, je ne suis
pas un philosophe de métier, mais même mal dites
je pense qu'il faut qu'elles soient dites.
Le savoir c'est rasoir.
Le savoir c'est
rasoir!... Tout juste bon à alimenter les ritournelles
que les bonzes de la «Science» iront répétant
sans cesse, sans se lasser...
Le savoir, c'est rasoir! Ce qui vous intéresse
le plus n'est pas ce que j'ai fait ou ce que d'autres ont trouvé
en Posturologie mais ce que VOUS, vous ferez, ce que VOUS, vous
découvrirez. Alors comme je ne suis pas venu pour vous
ennuyer, parlons de ce qui vous intéresse le plus, parlons
de cet avenir.
Le bon choix
Votre futur
sera à la hauteur de votre intelligence. Coluche1 disait plus crûment:
«L'intelligence c'est comme un parachute, quand on n'en
a pas on se casse la gueule.» Et il avait raison. Puisque
vous voulez réussir, puisque vous êtes plein d'ambition,
votre premier travail doit être de développer votre
intelligence et non votre savoir! Ne vous trompez pas de direction.
Le savoir est un avoir. Le savoir est
de l'ordre de la possession. Par ses richesses, par sa profusion,
par sa surabondance, le savoir étouffe l'esprit. Pour faire
respirer votre esprit, pour lui permettre de vivre librement,
débarrassez-vous de votre savoir, devenez pauvres de «Science»,
fuyez le domaine du connu et allez du côté de l'inconnu.
La vie de l'esprit, la dynamique de l'intelligence
ne consiste pas à répéter sans cesse ce que
nous avons reçu de nos maîtres, mais à lier
des liens nouveaux qui n'avaient jamais été noués.
1 Coluche: Comique français, initiateur des "restaurants du coeur", décédé le 19 juin 1986.
L'inconnaissance
Cherchez ce
que vous ne savez pas, cherchez ce que nul ne sait, scrutez l'inconnu.
La matière à comprendre, à intelliger, vous
la trouverez dans ce champ d'inconnaissance, et là, au
milieu de l'inconnu, vous trouverez aussi votre force. Car lorsque
l'esprit perd ses repères, lorsque sa route n'est plus
balisée, lorsqu'il ne sait plus où aller, alors
l'esprit s'angoisse et se met à chercher. N'ayez pas peur
d'avoir peur de ne pas savoir: l'ignorance est la puissance du
savant.
La frontière de l'inconnaissance
Cherchez ce
que vous ne savez pas, cherchez ce que nul ne sait, en vous aidant
du savoir... C'est son seul intérêt, mais il est
réel. Le savoir dessine la frontière mouvante du
champ d'inconnaissance et par là il désigne à
l'esprit sa patrie. C'est le seul intérêt qu'on puisse
reconnaître au savoir.
Cette limite du champ d'inconnaissance
est mouvante. Chaque génération la repousse... Un
peu. Constamment elle est modifiée par une poussée
de l'Histoire. Alors ne soyez pas en retard sur les événements.
Sachez à quel moment de l'Histoire vous vous situez. Connaissez
l'histoire de la science qui vous occupe, cette donnée,
capitale, vous permet de réaliser votre juste situation
à la limite entre le connu et l'inconnu.
Ce que les autres ont trouvé n'a
aucun intérêt, sauf de vous indiquer dans quelle
direction il vous faut chercher. Le savoir, c'est rasoir. Tout
juste bon à alimenter les ritournelles que les bonzes de
la «Science» iront répétant sans cesse,
sans se lasser. Mais il a au moins un intérêt, celui
de nous faire poser les bonnes questions.
Chance et malchance des médecins
Les médecins
et thérapeutes ont de la chance - d'un certain côté
- car notre ignorance dans le domaine médical est monstrueuse!...
Il y a beaucoup à chercher. Il y aurait beaucoup à
trouver. Il y «aurait»... Car la malchance des médecins
et thérapeutes d'aujourd'hui est de vivre dans une société
bouffie de l'orgueil de sa «Science», et qui cherche
à nous enfermer dans les limites de son savoir actuel.
À tous ceux qui tentent de sortir des ornières de
l'ignorance on oppose des références médicales
dictées par «ceux qui savent». Comme si l'esprit
ne soufflait pas où il veut. Comme si le critère
de vérité était l'autorité et non
le devenir de l'évidence à travers les consciences
de soi.
Parce que je crois en l'esprit
Parce que je
crois en l'esprit, je conçois le devenir de la connaissance
comme une démarche démocratique dont nul n'est exclu,
dont nul ne serait larbin ou prophète. Nous sommes tous
égaux au regard de notre ignorance collective (même
si «certains sont plus égaux que d'autres...»).
Nous sommes tous invités à participer à cette
poussée de l'Histoire pour faire reculer les limites de
l'ignorance.
Parce que je crois en l'esprit, je pense
qu'il est urgent que nous disions tous, tous nos phantasmes pour
les soumettre à la critique du groupe. Il n'y a pas d'objectivité
de la «Science», mais seulement une intersubjectivité
de la connaissance. Notre objectif vise un discours clair, précis,
cohérent; dont l'efficacité n'est qu'une retombée
annexe, d'ailleurs bien difficile à juger.
Parce que je crois en l'esprit, je ne
viens pas vous enseigner, mais seulement faire un bout de chemin
avec vous sur la route de la connaissance.