Comment évaluer le poids de l'information visuelle dans le contrôle de la posture orthostatique?
Osamu SASAKI*, Maurice OUAKNINE**, Vladimir USATCHEV***, Pierre-Marie GAGEY****
*Sakura clinic of Soujinkai, Tokyo
**Service ORL, La Timone, Marseille
***Académie Médicale d’Enseignement Post-gradué, Saint-Pétersbourg
**
**Institut de Posturologie, Paris
K.W.: Analyse du signal, entrée visuelle, Quotient du Romberg, Verticale subjective

Introduction
     
Cent ans après la première publication de Romberg (1840), les médecins n'étaient toujours pas convaincus que l'information visuelle participe normalement au contrôle de la posture orthostatique; la communication de Lee au congrès de la Société Internationale de Posturographie à Paris 1975, a fait sensation (Lee, Lishmann, 1976). Une vidéo présentait un bambin de 18 mois, debout dans une chambre dont le sol était parfaitement stable mais les murs mobiles; à chaque mouvement de ces murs, l'enfant tombait, entraîné dans la direction du déplacement.

     Cette date historique permet de souligner que la stabilométrie s’est révélée un instrument précieux pour confirmer que la vision est une entrée normale du système postural d'aplomb (Henriksson et al., 1967) et pour évaluer le poids de cette information visuelle dans le contrôle de la posture orthostatique par le fameux coefficient du Romberg (Van Parys et al., 1976).

     Le paramètre de surface du statokinésigramme a été massivement utilisé pour calculer ce paramètre, il se révèle que ce n'est pas le bon choix.... En effet, la surface est un paramètre qui qualifie un résultat: la précision du contrôle postural qui peut être plus ou moins bonne. Mais on peut obtenir le même résultat par différents moyens. Yeux fermés, la précision du contrôle postural peut être aussi bonne que yeux ouverts, mais, éventuellement, quelque chose dans les tactiques, la dynamique, a changé du fait de l'absence d'information visuelle.

     C'est grâce à une analyse du signal stabilométrique plus fine que les analyses ordinaires (Statistiques, Fréquentielles, Ondelettes, etc.) qui nous fait rentrer dans la dynamique même du système, qu'on peut se rendre compte de cette erreur, comme nous l'avons montré (Sasaki et al., 2002). Ce travail présenté au Congrès de l’Association Posture et Équilibre à Bruxelles en 2002 n’ayant pas été publié dans les actes de ce Congrès nous le rappellerons brièvement.

Matériel et Méthodes

     23 sujets normaux ont été enregistrés sur plate-forme de stabilométrie AFP-40/16 (Gagey et al., 2001), au cours de trois séries d’expériences randomisées qui comparaient :

      - Deux situations identiques, yeux ouverts,

       - Une situation yeux ouverts à une situation yeux fermés,

- Deux situations yeux ouverts avec et sans stimulation optocinétique. Au cours de la stimulation défilait devant le sujet, de gauche à droite, à une vitesse de 60° par seconde, un pattern constitué de points noirs distribués aléatoirement sur un fond blanc.

     Les paramètres stabilométriques conventionnels de ces enregistrements ont été calculés ainsi que les variations de la dynamique du système postural d’aplomb, à l’aide de l’indice de similitude de Le Van Quyen (2000) Cet indice permet de comparer le rythme de la danse du centre de pression, ou rythme de Sasaki, entre deux enregistrements différents.

Résultats

     Seul un glissement rétinien important, entraînant une sensation de vection, modifie de manière significative la moyenne de l’indice de Le Van Quyen (tab. I).

Indice LVQ/X
Indice LVQ/Y
YO/YO
0,859±0,121
0,926±0,123
YO/YF
0,929±0,1
0,892±0,101
YO±SO
0,755±0,272
0,804±0,197*

TAB I — Moyennes et écarts-types de l’indice de Le Van Quyen pour les mouvements droite/gauche (LVQ/X) et les mouvements antéro-postérieurs (LVQ/Y) dans les trois séries de comparaisons : yeux ouverts/yeux ouverts (YO/YO), yeux ouverts et fermés (YO/YF). Yeux ouverts avec et sans stimulation optocinétique (YO±SO). (* : p<0,05).

     Mais l’étude des histogrammes des distributions de l’indice de Le Van Quyen montre que, même sous stimulation optocinétique, seuls les indices de quelques sujets (sujets noirs) sortent des limites de variations aléatoires, les indices des autres sujets (sujets blancs) fluctuent à l’intérieur des limites de variations aléatoires (fig. 1).

FIG. 1 — Histogrammes des distributions de l’indice de Le Van Quyen comparant les situations yeux ouverts avec et sans stimulation optocinétique, pour les mouvements droite-gauche (indice de similarité en X) et les mouvements antéro-postérieurs (indice de similarité en Y).
Les courbes de Gauss figurent la distribution théorique des variations aléatoires de l’indice.
Les sujets noirs réagissent de manière significative à la stimulation optocinétique alors que les sujets blancs ne réagissent pas de manière significative à la stimulation optocinétique.

    Or lorsqu’on étudie le quotient du Romberg de ces sujets blancs ou noirs, on s’aperçoit que les sujets qui modifient leur rythme de Sasaki de manière significative sous stimulation optocinétique (sujets noirs) se comportent comme des «aveugles posturaux» pour ce qui est des surfaces et inversement les sujets qui ne modifient pas leur rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique (sujets blancs), modifient leurs surfaces (fig. 2).

FIG.2 — Moyennes et écarts-types des surfaces de statokinésigrammes selon les séries expérimentales et les populations.

À gauche de la figure : YO/YF. Moyennes et écarts-types des surfaces de statokinésigrammes de la série d’enregistrements comparant la situation yeux ouverts (colonnes gauches de chaque population) et la situation yeux fermés (colonnes droites de chaque population) dans la population qui ne modifie pas son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique,(colonnes blanches) et la population qui modifie son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique (colonnes noires).

Adroite de la figure : -SO/+SO. Moyennes et écarts-types des surfaces de statokinésigrammes de la série d’enregistrements comparant la situation sans stimulation optocinétique (colonnes gauches de chaque population) et la situation sous stimulation optocinétique (colonnes droites de chaque population) dans la population qui ne modifie pas son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique,(colonnes blanches) et la population qui modifie son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique (colonnes noires).

     Quelle que soit la variation de l’information visuelle (yeux ouverts/yeux fermés; avec ou sans stimulation optocinétique), la différence entre les surfaces n’est pas significative chez les sujets qui modifient leur rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique. Donc ils ne modifient pas la précision de leur contrôle postural (son résultat), mais la dynamique de ce contrôle (sa tactique).

     Cette interprétation est confirmée par l’étude des longueurs de statokinésigrammes de ces différents enregistrements (fig. 3).

FIG.3 — Moyennes et écarts-types des longueurs de statokinésigrammes selon les séries expérimentales et les populations.

À gauche de la figure : YO/YF. Moyennes et écarts-types des longueurs de statokinésigrammes de la série des enregistrements comparant la situation yeux ouverts (colonnes gauches de chaque population) et la situation yeux fermés (colonnes droites de chaque population) dans la population qui ne modifie pas son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique,(colonnes blanches) et la population qui modifie son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique (colonnes noires).

À droite de la figure : -SO/+SO. Moyennes et écarts-types des longueurs de statokinésigrammes de la série des enregistrements comparant la situation sans stimulation optocinétique (colonnes gauches de chaque population) et la situation sous stimulation optocinétique (colonnes droites de chaque population) dans la population qui ne modifie pas son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique,(colonnes blanches) et la population qui modifie son rythme de Sasaki sous stimulation optocinétique (colonnes noires).

     Sous stimulation optocinétique, les sujets qui modifient leur rythme de Sasaki modifient aussi les longueurs de leurs statokinésigrammes alors qu’ils n’en modifient pas les surfaces. Rappelons que les longueurs sont une image de l’énergie dépensée par le système postural pour atteindre son objectif de stabilisation (Vallier, 1994).

Discussion

     Le paramètre de surface du statokinésigramme quelle soit sa technique de mesure — surface de l’ellipse de confiance (Takagi et al., 1985), RMS (Paulus et al., 1984) ou autre (Imaoka et al., 1997) — évalue la précision de la stabilisation du sujet par son système postural.

     Le paramètre de longueur du statokinésigrammequelle que soit la cadence d’échantillonnage du signal — à condition qu’elle reste cohérente avec les caractéristiques métrologiques de la plate-forme — évalue l’importance des déplacements du centre de pression utilisés par le système pour stabiliser le sujet.

     Chacun de ces vieux paramètres conventionnels évalue donc des aspects différents du fonctionnement du système postural, et l’analyse dynamique non linéaire du signal stabilométrique souligne l’intérêt de ces deux opérateurs qui doivent être utilisés l’un et l’autre dans notre approche logique du fonctionnement du système postural de nos patients. Il ne faut privilégier ni l’analyse du résultat, ni l’analyse des moyens mis en œuvre pour y arriver. Le fameux quotient du Romberg doit donc être calculé à l’aide de ces deux paramètres pour être sûr d’évaluer correctement le poids de l’information visuelle dans le contrôle postural.

     Comme il existe deux paramètres dérivés des mesures de longueur, la vitesse des déplacements du centre de pression et sa variance, on peut se demander si le quotient de Romberg ne devrait pas être calculé aussi ou préférentiellement à partir de ces paramètres dérivés des mesures de longueur. La réponse est évidemment négative pour la vitesse de déplacement du centre de pression, qui n’est autre que la longueur divisée par une constante, la durée de l’enregistrement. La réponse par contre n’est pas évidente pour la variance de la vitesse, nous ne disposons d’aucune donnée fermes pour répondre à la question. On peut seulement noter qu’Ouaknine et Grini (2000), Usatchev et Mokhov (2004), Gagey et Gentaz (1993) estiment et montrent que la variance de la vitesse est un opérateur logique qui introduit à une compréhension des mécanismes du contrôle postural qui échappent au paramètre de longueur. On peut ajouter, gratuitement et en passant comme à titre d’hypothèse, qu’il est vraisemblable que la variance de la vitesse est corrélée au rythme de la danse du centre de pression.

     Mais cela reste à critiquer. Comme il faut critiquer aussi cette idée, séduisante mais non encore fondée, qu'on peut apprécier le poids de l'entrée visuelle dans le contrôle de la posture orthostatique par une étude de la verticale subjective. Il ne suffit pas qu'existe entre les deux phénomènes une corrélation, même forte, pour pouvoir affirmer qu'existe entre eux un lien de type causal.

Bibliographie

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Gagey P.M., Ouaknine M., Sasaki O. (2001) Pour manifester la dynamique de la stabilisation: la plate-forme AFP40/16. In M. Lacour (Ed.) Posture et équilibre. Nouveautés 2001, conceptuelles, instrumentales et cliniques. Solal, Marseille, 95-106.

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Le Van Quyen M, Adam C, Martinerie J (2000) Spatio-temporal characterizations of non-linear changes in intracranial activities prior to human temporal lobe seizures. Eur J Neurosci, 12: 2124-2134

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Romberg M.H. (1840) Lehrbuch der Nervenkrankheiten des Menschen. Berlin, Duncker

Sasaki O., Usami S-I, Gagey P.M., Martinerie J., Le Van Quyen M., Arranz P. (2002) Role of visual input in nonlinear postural control system. Ex. Brain Res., 147:1–7

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Vallier G. (1994) Analyse statistique multivariée concernant 60 patients présentant un syndrome de déficience posturale. Thèse Médecine, Paris

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