Introduction à la posturologie clinique

par

P.M. GAGEY, J.B. BARON, N. USHIO

[Agressologie, 1980, 21, E : 119-123 (Reproduit avec lâautorisation de lâéditeur)]

Définition

Les syndromes posturaux cliniques sont définis par le regroupement systématique de l'hypertonie posturale (Gagey, 1974 a), on doit la retrouver :

  1. sur toute une hémi musculature axiale : muscles des gouttières paravertébrales et muscles oculomoteurs d'un seul côté,
  2. et sur toute une hémi musculature distale : extenseurs et abducteurs des membres, supérieur et inférieur, d'un seul côté.

En dehors de cette systématisation, on ne peut pas parler de syndrome postural.

Pour garder le langage traditionnel des O.R.L, on dit que 1e syndrome postural est harmonieux si l'hypertonie axiale est controlatérale à lâhypertonie distale, ou que le, syndrome est dysharmonieux si l'hypertonie axiale est homolatérale à lâhypertonie distale.

Chez le singe, ces syndromes posturaux apparaissent à la suite de lésions stéréotaxiques du tronc cérébral atteignant les structures d'intégration automatique qui participent à la régulation de lâactivité tonique posturale (Uemura & Cohen, 1973). Nous pensons que chez lâhomme ces mêmes syndromes posturaux manifestent la souffrance de structures homologues (Vedrenne, 1975).

Ces remarques préliminaires devraient permettre de cerner au mieux les limites de la posturologie clinique et en particulier de la distinguer clairement d'une étude d'autres troubles du tonus comme les hypertonies "pyramidales", "extrapyramidales" ou "du type spastique".

Figure 1: Les syndromes posturaux.

1 syndrome postural harmonieux: les muscles axiaux gauches et distaux droits (extenseurs et abducteurs) sont hypertoniques; lâhypertonie est croisée.

2 syndrome postural disharmonieux: les muscles axiaux et distaux (extenseurs et abducteurs) gauches sont hypertoniques; lâhypertonie nâest pas croisée.

 

Faute de cette systématisation il est risqué de parler de syndrome postural.

Sémiologie

Sémiologie purement posturale et sémiologie connexe.

Cliniquement l'hypertonie de posture s'exprime au mieux lorsqu'elle empêche le déroulement normal des réflexes posturaux : réaction d'équilibration, réaction d'origine oculomotrice, réflexes posturaux du cou, réflexes posturaux labyrinthiques, c'est alors sur son propre terrain qu'on juge du dérèglement de l'activité tonique posturale. Nous nous étendrons largement sur cette sémiologie, privilégiée, purement posturale.

On peut aussi palper directement sous la peau le tonus relatif des muscles sous-occipitaux, des muscles des gouttières paravertébrales. Les précautions de cet examen sont connues (Maigne, 1973). Avec un peu d'entraînement, le fait qu'il existe ici ou là une certaine hypertonie s'impose comme un fait d'expérience. Mais comme on a saisi cette hypertonie en dehors de son contexte postural, il reste un doute sur sa valeur sémiologique : est-elle ou n'est-elle pas hypertonie de posture ? Actuellement, nous n'avons pas d'autres critères que la cohérence de l'hypertonie à lâintérieur d'un syndrome postural.

La sémiologie des déséquilibres oculomoteurs est bien connue (Hugonnier, 1959). Comme les mouvements horizontaux des globes oculaires sont ceux dont l'impact sur la régulation de l'activité tonique posturale a été le mieux étudié nous simplifions les résultats de l'examen orthoptique en les ramenant à cette composante horizontale pour juger de lâinsertion du déséquilibre observé dans le syndrome postural. En ce sens la limitation du mouvement de convergence d'un țil constitue un bon résumé de l'examen orthoptique, mais non une dispense.

Les réflexes posturaux normaux

a. La réaction d'équilibration

Méthode

Le sujet est debout, immobile, les talons joints, pieds écartés à 45Ą, bras tendus horizontalement devant lui, mains tendues fermement accolées par leur bord radial. L'observateur, tête calée, s'assure d'un axe de visée rigoureux et note

On demande alors au sujet, de fermer les deux yeux et de rester ainsi en équilibre, les yeux fermés, pendant environ 15 secondes. L'observateur note alors parmi les oscillations de posture le déplacement moyen de la tête et des index du sujet. La manțuvre est recommencée une deuxième fois.

Figure 2 : Réaction dâéquilibration posturale.

  • 3 & 2: Yeux ouverts: notez que lâaxe bi pupillaire est penché soit vers la droite (2), soit vers la gauche (3). Si on demande au sujet de fermer les yeux, on observe:
  • Soit une translation vers la gauche et/ou une rotation vers la droite, si lâaxe bi pupillaire est incliné à droite,
  • Ou une translation vers la droite et/ou une rotation vers la gauche, si lâaxe bi pupillaire est incliné à gauche,

Résultats

Les sujets dont l'axe bi pupillaire est incliné à droite présentent normalement une déviation vers la gauche de lâaxe du corps et/ou une rotation autour de leur axe vertical amenant un déplacement vers la droite des index.

Les sujets dont l'axe bi pupillaire est incliné vers la gauche présentent à l'occlusion des yeux une translation vers la droite et/ou une rotation vers la gauche (Dasse, 1975 ; Gagey, 1973b ; 1974a ; 1977 d).

b. Réaction d'origine oculomotrice

Méthode

Le sujet est debout, immobile, les pieds joints et regarde devant lui. Lâobservateur, 1a tète calée, sâassure d'un axe de visée rigoureux et note la . position de la tête du sujet par rapport à des repères fixes, puis demande au sujet de tourner les yeux sur Sa droite pendant dix à quinze secondes, puis de tourner les yeux vers la gauche pendant une quinzaine de secondes.

Figure 3: Réaction posturale oculomotrice

2: Les pieds du sujet sont lâun contre lâautre, ses yeux regardent droit devant : position de départ.

3: Lorsquâon demande au sujet de garder les yeux tournés vers la droite, on observe normalement une translation de son corps vers la gauche.

1: Lorsquâon demande au sujet de garder les yeux tournés vers la gauche, on observe normalement une translation de son corps vers la droite.

Résultats

Normalement on observe une translation vers la gauche de l'axe du corps lorsque le sujet tourne les yeux à droite, et inversement (Baron,. 1973 ; Dasse, 1975 ; Gagey, 1974a). (Voir figure 3).

c. Réflexes posturaux nucaux.

Aux membres supérieurs la manțuvre de Cyon-Paillard.

Méthode

Le sujet assis, les bras tendus horizontalement devant lui, poings fermés sauf les index qui, tendus, se font face. Les yeux fermés, le sujet fait quelques mouvements de ciseaux avec ses membres supérieurs puis arrête ses index 1e plus exactement possible au même niveau, l'un en face de l'autre. La manțuvre est répétée plusieurs fois, d'abord la tête au repos, puis la tête tournée à droite et la tête tournée à gauche.

Figure 4: Test de de Cyon

2 Yeux clos, tête en position neutre, un sujet normal est capable de placer lui-même ses doigts exactement au même niveau,

1 Mais lorsquâil garde sa tête tournée à droite il place systématiquement son index droit plus haut que le gauche..

3 et vice versa.

Résultats

La rotation de la tête entraîne une position systématiquement plus élevée de l'index du côté où pointe le menton. (Cyon, 1911 ; Dasse, 1975 ; Gagey, 1974a ;Marchal-Fabin, 1977 ; Paillard, 1974). (Voir figure 4).

Aux membres inférieurs : la manțuvre de piétinement de Fukuda.

Méthode

Le sujet debout au centre de la piste de Fukuda, yeux bandés, bras tendus à 1'horizontal devant lui, est invité à piétiner sur place.50 fois en levant bien 1es genoux. La manțuvre est répétée, tête au repos, tète tournée à droite et tête tournée à gauche.

Figure 5: Test de piétinement de Fukuda.

2: Lorsquâil garde sa tête en position neutre, un sujet normal piétinant sur place ne sort pas de la zone hachurée sur le schéma.

3: Mais tête tournée à droite il tourne sur sa gauche.

1: Et tête tournée à gauche il tourne sur sa droite.

(Les diamètres font un angle de 30Ą entre eux. Le sujet piétine 50 fois sur place)

Résultats

Alors que, la tête au repos, le sujet ne sort pas du cadran de 60Ą situé devant lui, il est renvoyé à gauche quand sa tête est tournée à droite et il est renvoyé à droite quand sa tête est tournée à. gauche (Dasse, 1975 ; Fukuda, 1959 ; Gagey, 1974a ; Ushio, 1977).

d.- Réflexes posturaux labyrinthiques.

Méthode

Le sujet est soumis à une rotation extrêmement douce, deux tours en dix secondes, sur, fauteuil de Barany, avant d'effectuer un test de piétinement la tête au repos.

Figure 6: Réflexe postural labyrinthique.

1: Après une rotation horaire douce sur fauteuil de Barany (deux tours en dix secondes) un sujet normal tourne sur sa droite pendant le test de piétinement.

2: Après une rotation antihoraire douce sur fauteuil de Barany (deux tours en dix secondes) un sujet normal tourne sur sa gauche pendant le test de piétinement.

Résultats

Après une rotation horaire, le sujet est renvoyé sur sa droite, et après une rotation antihoraire le sujet est renvoyé sur sa gauche. (Dasse, 1975 ; Fukuda, 1961 ; Gagey, 1974a). (Voir figure 6).

Examens posturaux complémentaires

Les quelques examens que nous venons de décrire constituent lâessentiel de l'examen clinique postural qui peut éventuellement être complété par le Test de la clé (Gagey, 1974b), la recherche du signe du déplacement des pieds (Gagey, 1973a ; 1975), la définition de l'țil de verticalité (Dasse, 1975 ; Gagey, 1974a), la mesure de la rotation du bassin (Gagey, 1974a ; 1977). Mais nous ne décrirons pas ces examens ici car ils ne servent qu'accessoirement à la mise en évidence des syndromes posturaux cliniques.

Conclusions

La posturologie clinique, longtemps, restée au laboratoire après les travaux de Magnus et de Kleyn, peut maintenant, grâce au soutien des enregistrements posturographiques (Gagey, 1973b) entrer dans la pratique clinique quotidienne. Certes la Posturologie clinique est encore en train de se faire, mais déjà elle apparaît d'une grande richesse et ses finesses qui peuvent paraître déroutantes au premier abord ne l'emportent pas sur la finesse de toute clinique humaine. Elle se situe aux confins de lâobservation et de la réflexion neurophysiologique, ce qui nous paraît un gage d'une saine position épistémologique.

 

Bibliographie

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