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xx/xx/1929 - 14 Août 2011

  Hommage à Jean-Bernard BARON, le «Maudit»

PIERRE-MARIE GAGEY & VICTOR GURFINKEL

(Texte refusé par le Dr Theologis, rédacteur en chef de la revue Gait and Posture, revue officielle de l'ISPGR. Le texte publié par Gait & Posture se trouve à  la suite de ce texte français, vous pouvez aussi le consulter à cette adresse : http://dx.doi.org/10.1016/j.gaitpost.2012.11.023)

     Bien avant la naissance de Jean-Bernard BARON avait été proférée cette malédiction qui devait le poursuivre toute sa vie : «Un fait dont le déterminisme n'est pas rationnel doit être repoussé de la science» (Bernard C, 1865). Repoussé de la science… effectivement Jean-Bernard BARON l'a été, pratiquement jusqu'à sa mort, parce qu'il a mis en évidence un fait dont la rationalité ne correspondait pas à ce qui était admis alors par la communauté scientifique internationale. Ce fait mettait en doute le principe de proportionnalité entre la cause et ses effets que pourtant Claude BERNARD avait si brillamment démontré à propos du venin de crapaud (Bernard C, 1865).
     Tout avait commencé avec sa thèse de Médecine. Pourquoi Baron avait-il choisi le vertige hétérophorique comme sujet de thèse ?… En tout cas cette thèse piqua fortement sa curiosité car elle lui permit de se rendre compte que la Médecine de son époque ne savait pratiquement rien sur ces vertiges. Il décida donc d'en faire le sujet d'une thèse de science (Baron JB, 1955).
     Pour un sujet si nouveau, il adopta un protocole très simple. Baron essaya de réaliser un modèle expérimental de l'hétérophorie chez ses animaux d'expérience, uniquement en coupant quelques fibres seulement d'un muscle oculomoteur ; difficile d'imaginer intervention plus bénigne. Les premières observations furent totalement déroutantes : tantôt il ne se passait rien, l'animal se comportait comme si rien n'avait été fait, tantôt au contraire l'animal présentait une hypertonie massive de ses muscles paravertébraux, d'un côté seulement, de telle sorte qu'il était complètement tordu sur lui-même et ne pouvait plus nager droit devant lui ; dès qu'il commençait à avancer, il tournait sur lui-même et cela continuait indéfiniment, dans mouvement de manège.
     Le motif de cette disparité des résultats fut vite soupçonné, Baron savait bien que ses coups de bistouri rapides étaient loin d'être précis : ils ne sectionnaient sûrement pas exactement le même nombre de fibres musculaires chez tous les animaux. Une première piste de confirmation était facile à imaginer, il suffisait d'observer l'importance du déséquilibre oculomoteur induit par l'opération. Et de fait en multipliant ses interventions, Baron fut capable de séparer ses deux populations sur un critère simple : «Quatre degrés». Si l'opération avait été réussie, c'est-à-dire si elle avait produit un déséquilibre oculomoteur minime, inférieur à 4°, alors l'animal présentait l'hypertonie paravertébrale, sinon rien ne changeait dans son tonus. L'extraordinaire était donc que les effets majeurs étaient causés uniquement par la cause mineure : un déséquilibre oculomoteur inférieur à quatre degrés.
En 1955, cette absence formelle de proportionnalité entre la cause et les effets était totalement inacceptable dans la mentalité des médecins. Ce fait, pourtant si nouveau, si surprenant, n'eut donc aucun écho. La thèse de Baron ne fut même pas publiée, il n'en reste qu'un exemplaire grossièrement tapé sur une vieille machine « Underwood », illustré tant bien que mal à la main, déposé à la bibliothèque de la faculté de Médecine. Lorsque j'ai photocopié cet exemplaire, il se trouvait à la bibliothèque de Jussieu (Paris).
     Las de tous ces échecs, Baron lui-même a laissé tomber cette découverte ; entré au CRNS, il s'est occupé de posturographie et a participé à la fondation de la Société Internationale de Posturographie, devenue l'ISPGR.

     Baron est décédé au mois d'Août 2011 sans que SA découverte soit connue et reconnue… Seuls quelques rares thérapeutes d'Europe méridionale ont compris que Baron avait réalisé la première expérience connue de physiologie d'un système dynamique non linéaire : le système postural d'aplomb (Martinerie J, Gagey PM, 1992; Gagey PM et al., 1998).
     Si Baron s'était intéressé à la mécanique céleste, au problème des «trois corps» : définir les orbites de trois planètes en interaction selon les lois de Newton ou s'il avait cherché à résoudre des équations différentielles rétives, il aurait su que cinquante ans avant sa thèse, Henri Poincaré (1908) avait découvert ce comportement très particulier des systèmes dynamiques non linéaires , qui n'a rien à voir avec le principe de proportionnalité. Poincaré avait même imaginé une représentation très simple, l'espace des phases, qui permet de comprendre facilement ce qui se passe dans ces séries temporelles d'états successifs enchaînés du système. La «rationalité du déterminisme» mise en évidence par Baron était donc déjà connue… Mais Baron ne le savait pas, comme tous les médecins de cette époque auxquels il parlait de sa découverte… sans être écouté.
     L'absence de proportionnalité entre la cause et les effets bloquait tout, alors que les petits poissons de Baron qui tournent en rond disaient bien d'autres choses plus faciles à comprendre que les systèmes dynamiques non linéaires !…
     Par exemple : ils montraient que lorsqu'on manipule une entrée du système postural, on modifie immédiatement la régulation de l'activité tonique posturale - à condition que la manipulation soit très fine, bien sûr -. N'est-ce pas une donnée simple et qui plus est, pas étonnante : si l'on change le rapport du vivant à son monde extérieur, quoi de plus normal qu'il modifie son adaptation à ce monde ?
     Une autre information encore, tirée de cette expérience : si les petits poissons de Baron tournent en rond, c'est parce qu'ils sont complètement incurvés sur eux-mêmes avant même de se mettre à nager. L'activité cinétique, comme le disait Jacques Paillard, est implantée sur un système statique dont elle dépend ; impossible de nager droit devant soi lorsque le corps est tout tordu sur lui-même.
     Mais la malédiction qui s'était abattue sur Baron empêchait que même ces données très simples soient entendues. Il présentait des faits dont le déterminisme n'était pas rationnel, il devait être repoussé de la Science !

Pauvre Jean-Bernard , le «Maudit», quelle vie !…
Mais aujourd'hui cette malédiction est tombée et nous pouvons glorieusement lui dire un franc et chaleureux merci pour tout ce qu'il nous a appris.

Références

BARON J.B. — Muscles moteurs oculaires, attitude et comportement locomoteur des vertébrés. Thèse de Sciences, Paris, 158 pages, 1955

Bernard Cl. (1865) Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Delagrave, Paris.
Martinerie J., Gagey PM (1992) Chaotic analysis of the stabilometric signal. In M.Woollacott & F. Horak (Eds) Posture and gait: control mechanisms. University of Oregon Books (Portland), Tome I: 404,407.
Gagey P.M. Martinerie J., Pezard L., Benaim Ch.
(1998) L'équilibre statique est contrôlé par un système dynamique non linéaire. Ann. Oto-Laryngol., 115: 161-168.
Poincaré H. (1908) Science et méthode. Flammarion, Paris.

 

Hommage à Jean-Bernard BARON

 

Victor Gurfinkel & Pierre-Marie Gagey

 

Un des membres fondateurs de l'ISPGR est récemment décédé, oublié et même inconnu de la plupart d'entre nous... Jean-Bernard Baron, médecin ophtalmologiste, maître de recherche au centre national de la recherche scientifique a fondé la société qui deviendra l'ISPGR sous le nom de Société internationale de posturographie. Il était en effet un utilisateur des toutes premières plates-formes de force, ce qui lui a permis d’objectiver l’instabilité des traumatisés crâniens victimes d’un syndrome post commotionnel considérés à l’époque comme des simulateurs. Mais nous avons surtout intérêt à nous rappeler sa vie, son œuvre, car il nous a transmis une question essentielle, fondatrice de nombreux travaux ultérieurs.

Cette question, posée dans sa thèse de Médecine "Pourquoi le vertige des hétérophoriques?" a poussé Baron à étudier les rapports entre oculomotricité et contrôle postural [1, 2]. Pour un sujet si nouveau, il créa un modèle animal expérimental : l’hétérophorie était obtenue en sectionnant quelques fibres seulement d’un des muscles oculomoteurs. Les premières observations furent totalement déroutantes : tantôt il ne se passait rien, l’animal se comportait comme si rien n’avait été fait, tantôt au contraire l’animal présentait une hypertonie massive, unilatérale, de ses muscles paravertébraux de telle sorte qu’il était complètement tordu sur lui-même et ne pouvait plus nager (les poissons) ou marcher (les souris) droit mais se déplaçait en tournant toujours dans le même sens. En multipliant ses interventions, Baron fut capable  de différencier ces deux réponses à la ténotomie sur un critère simple : lorsque l’opération était réussie, c’est-à-dire si le déséquilibre oculomoteur obtenu était minime, inférieur à 4°, l’animal présentait une hypertonie paravertébrale responsable de ce comportement ; sinon, pour un déséquilibre supérieur à 4°, rien ne changeait. L'effet majeur était la conséquence de la cause mineure.

En 1955, année de sa thèse de Sciences [3], comme en 1969, année de la fondation de l'ISPGR à Amsterdam, nous n'avions pas encore compris que la logique des systèmes dynamiques non linéaires intervient en biologie. La question du comportement “irrationnel“ de ses animaux, question majeure que Baron a léguée à l'ISPGR, est maintenant résolue [4, 5]. Mais il en reste bien d'autres qui méritent que les publications d'un de nos fondateurs soient lues et relues, comme un testament scientifique.

 

Jean-Bernard BARON, notre père!

    L'image qui s'impose lorsqu'on pense à Jean-Bernard BARON est celle du père... L'image du père, en effet, renvoie à l'origine, à notre origine, et il est difficile de prétendre que BARON n'est pas à l'origine de la posturologie clinique! Les "petits poissons de Baron"!... Son expérience sur les muscles oculomoteurs et la posture, qu'il a décrite dans sa thèse de sciences (1955), fonde les bases de notre discipline. Elle montre que la manipulation d'une entrée du système postural d'aplomb modifie immédiatemment la régulation de l'activité tonique postural... Lequel d'entre nous n'utilise pas continuellement cette donnée de base? Et tout cela se passe dans la logique des systèmes dynamiques non linéaires... Qui d'entre nous ira encore poser un coin pronateur pour traiter un défaut d'aplomb? Enfin, contre ceux qui récusent l'existence ou l'importance du système d'aplomb en ne souhaitant s'intéresser qu'au mouvement — l'homme n'est pas fait pour rester debout, disent-ils — BARON prouve le contraire: ses poissons ne peuvent que tourner en rond parce que la régulation de leur activité tonique posturale incurve complètement leurs corps d'un côté. Le système d'aplomb existe! Et non seulement il existe mais encore il conditionne le bon fonctionnement du mouvement à la base duquel il se situe. Oui, Baron est notre père, il est à l'origine de notre discipline.

     Pour ceux qui l'ont connu, ils n'auront pas de peine à se souvenir que Baron disait à chaque instant: «C'est votre problème!», «C'est leur problème!», «C'est son problème!», etc. Renvoyer ainsi la personne à sa propre responsabilité, n'est-ce pas faire œuvre de père? L'inverse en tout cas d'une ingérence maternelle...

     Enfin j'ai tué, nous avons tué, symboliquement le père le jour où nous avons fondé l'Association Française de Posturologie. Pour ceux qui n'étaient pas là, j'en rappelle les circonstances . L 'un après l'autre, BARON nous a tous reçu chaleureusement dans son laboratoire, il nous a donné de son temps pour nous expliquer ses travaux, sa pensée... Mais au bout de quelques mois, quelques années, selon les cas, il nous a tous chassés de son laboratoire pour diverses raisons. Alors, comme il nous avait donné le goût de la posturologie, nous nous sommes retrouvés pour travailler ensemble, sans lui, qui n'a pas accepté de nous rejoindre, bien sûr. Mais cette absence ne l'empêche pas d'être notre père à tous, tous les posturologues, et à l'occasion de son départ, nous pouvons, nous devons lui dire merci.

Références

BARON J.B. — Muscles moteurs oculaires, attitude et comportement locomoteur des vertébrés. Thèse de Sciences, Paris, 158 pages, 1955

Bernard Cl. (1865) Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Delagrave, Paris.
Martinerie J., Gagey PM (1992) Chaotic analysis of the stabilometric signal. In M.Woollacott & F. Horace (Eds) Posture and gait: control mechanisms. University of Oregon Books (Portland), Tome I: 404,407.
Gagey P.M. Martinerie J., Pezard L., Benaim Ch.
(1998) L'équilibre statique est contrôlé par un système dynamique non linéaire. Ann. Oto-Laryngol., 115: 161-168.
Poincaré H. (1908) Science et méthode. Flammarion, Paris.

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