Avec les cicatrices, nous
quittons le terrain des grandes douleurs pour le domaine des troubles
mineurs, dont la chirurgie ne s'occupe guère, malgré
les incommodités de toutes sortes et la gène grave
qui en résultent parfois.
Leur étude est pleine d'intérêt. Elle conduit
à des sanctions pratiques, utiles à connaître.
C'est un fait que beaucoup de cicatrices sont douloureuses, aussi
bien celles qui résultent de plaies accidentelles que celles
qui succèdent à des opérations, même
aseptiques.
Je ne veux pas parler des minimes douleurs,
des agacements qui les traversent si fréquemment, surtout
lors des variations atmosphériques, mais de douleurs réelles,
soit au repos, soit dans les mouvements. Quelquefois, elles surviennent
peu après l'achèvement de la cicatrisation. Plus
souvent peut-être, elles n'apparaissent qu'assez longtemps
après. Presque toujours, elles s'accompagnent d'une sensation
de faiblesse du membre atteint, de dérobement d'une jambe,
si la cicatrice est à la cuisse, d'impossibilité
de fermer le poing, si elle siège au membre supérieur.
Le bras ou la jambe retombent plus vite que du côté
sain, si on les fait mettre dans la verticale. On trouve d'ailleurs,
lors de l'examen, qu'il y a un peu d'atrophie musculaire. Mais
cette atrophie n'est jamais suffisante pour expliquer l'impotence.
La douleur, au reste, est vive. C'est généralement
une douleur de brûlure, de cuisson, une causalgie à
minima, avec quelquefois sensation de striction, d'étau.
Voici deux exemples :
Un homme de 45 ans tombe un jour
en montagne et se fait, au niveau du mollet droit, tout près
de la terminaison de la masse des jumeaux, une déchirure
musculaire compliquée d'une plaie de 4 à 5 cm. de
long. Il ne semble pas qu'il y ait eu communication entre la déchirure
musculaire et la plaie cutanée. La cicatrisation se fit
sans incident. Mais, dès les premiers jouis, le malade
éprouva une sensation profonde de brûlure, à
laquelle ni lui ni son chirurgien n'attachèrent d'importance.
Au bout d'une quinzaine, la marche fut reprise. Or. contrairement
à ce que l'on avait annoncé, elle aggrava la sensation
douloureuse. Et depuis lors les choses sont allées sans
cesse en empirant. Évidemment, de nombreux médecins
ont été vus, et toutes sortes de traitements ont
été institués; aucun n'a eu la moindre efficacité.
On a parlé de névrite, injecté localement
de la naïodine, du lipiodol, puis fait des rayons infrarouges,
de l'ionisation calcique, de la radiothérapie lombaire,
mais sans succès.
Au bout de dix-huit mois, le malade souffre toujours. Il est devenu
nerveux, tachycardique, se plaint de vertiges, et l'on commence
à le traiter d'exagérateur, sinon de simulateur.
C'est dans ces conditions qu'il vient me trouver dans mon service
de l'hôpital de Grange-Blanche, à Lyon.
À l'examen, voici ce que je constate:
Dans l'ensemble, le membre inférieur
droit a une certaine atrophie globale, très visible dans
le domaine du quadriceps, et au niveau de la fesse qui est atonique.
Tous les mouvements y sont possibles. Il n'y
a aucune limitation. Sur le bord interne du mollet, au-dessous
du milieu de la jambe, il v a une cicatrice de 4 à .5 cm.
de long, un peu étalée, plongeant dans la profondeur.
Quand on fait contracter les jumeaux, on voit qu'elle leur adhère.
Mais, elle tient surtout au tendon d'Achille qui commence là.
Elle n'est sur le trajet d'aucun nerf. À la palpation,
il n'y a pas de sensibilité superficielle anormale. La
pression profonde éveille un peu de douleur, assez localisée,
mais peu de chose au fond. Par contre, dès qu'on fait mouvoir
la jambe, si l'on fait marcher le malade, la douleur apparaît
descendant au tendon d'Achille, comme une coulée d'huile
bouillante. Le repos la calme. La chaleur du lit ne la provoque
pas, et le malade dort bien. Il est à noter que le réflexe
pilo-moteur est intense pendant tout l'examen, et du côté
malade seulement.
Il n'y a hors cela aucun trouble nerveux apparent.
Les réflexes sont normaux. Le pouls est bien perçu
derrière la malléole interne et à la pédieuse.
Il n'y a pas de varices. L'oscillomètre donne une courbe
sensiblement identique sur les deux jambes. Mais, si l'on met
les deux membres inférieurs dans de l'eau froide, la courbe
du côté malade s'aplatit beaucoup plus que l'autre.
Il y a certainement une hypertonie des vasoconstricteurs de ce
côté.
Cet examen permet d'éliminer tout diagnostic
de névrite. Il s'agit simplement d'une cicatrice douloureuse,
et, de fait, une large infiltration de scurocaïne sur le
pourtour de la cicatrice et en profondeur empêche la douleur
à la marche d'apparaître.
Et cet autre cas:
Un homme de 29 ans fait une chute sur le genou
gauche. On le radiographie à cette occasion et l'on découvre
avec stupéfaction qu'il y a un corps étranger articulaire
libre, certainement antérieur à l'accident. Comme
il gêne le mouvement, on l'enlève peu de jours après,
par une petite arthrotomie dont les suites sont très simples.
La guérison opératoire a lieu sans incident, mais
quand il s'agit de reprendre les mouvements, la mobilisation est
rendue impossible par la douleur; le genou reste gros, chaud et
douloureux. En fait, aucun mouvement actif n'est possible. On
emploie vainement, pour assouplir l'articulation, massage, mécanothérapie,
héliothérapie, injections variées à
distance. Rien n'y fait. Neuf mois après l'opération,
le malade m'est adressé, à Lyon, avec un genou raide,
pour opération sympathique. Il marche avec des béquilles.
Le genou est bloqué. Tout effort spontané éveille
des douleurs très violentes. Cependant, la mobilité
passive est normale. Le quadriceps est très hypertonique,
non atrophié. Il n'y a aucun trouble sensitif et les réflexes
sont normaux. La radiographie ne montre aucun obstacle.
On infiltre de scurocaïne la cicatrice
opératoire. La transformation est instantanée aussitôt,
les mouvements actifs deviennent possibles. Ils sont indolores.
Le malade descend lui-même de la table d'opération.
Il ne souffre plus, laisse ses béquilles et rentre triomphant
dans la salle où il est hospitalisé.
À quoi cet état de choses correspond-il
?
Il faut évidemment en chercher la cause
dans la cicatrice même.
Pour le bien comprendre, il nous faut partir
de l'étude des phénomènes normaux de la cicatrisation
d'une plaie.
C'est un thème très
ancien que celui de la réparation des plaies accidentelles
et chirurgicales.
Comment se fait-elle ?
Nous le savons assez bien. Tous les détails
histologiques du phénomène ont été
étudiés avec précision et depuis longtemps:
comme toujours, en médecine, ce qui est pure morphologie
est parfaitement connu.
La réparation d'une plaie se fait par une série
de modifications conjonctives qui coïncident avec une intense
congestion active. Tandis que du sérum et de la lymphe
exsudent, que de la fibrine se dépose, des leucocytes sortent
des vaisseaux; les cellules fixes du tissu conjonctif voisin changent
de forme, se multiplient: des bourgeons vasculaires naissent sur
les capillaires locaux et bientôt, dans ce milieu conjonctif
transformé, devenu neuf, embryonnaire suivant le terme
classique, des fibrilles conjonctives apparaissent autour des
cellules. Bientôt, sur place, il y a en somme, à
l'état naissant, ce qui va devenir la cicatrice
conjonctive, comblant la perte de substance. Quand celle-ci est
comblée, les cellules épithéliales épidermiques
des bords de la plaie s'éboulent et recouvrent le tout,
aidées, si la plaie est un peu étendue, par la multiplication
des cellules basales de l'épiderme.
En somme, la réparation est un phénomène
essentiellement conjonctivo-vasculaire, arrêté par
une coulée des cellules épidermiques.
Si, dans le fond de la plaie, du muscle a été
déchiré, s'il y a une articulation ouverte, s'il
y a une déchirure viscérale, c'est toujours de même
le tissu conjonctif qui répare la perte de substance. Il
n'y a de cicatrices que des cicatrices conjonctives.
Pourquoi en est-il ainsi ?
Les biologistes contemporains ont montré
la possibilité, dans certaines espèces, de régénérations
complexes, et en ont déterminé les conditions favorisantes.
Pourquoi n'en est-il pas de même chez
l'homme? Pourquoi y a-t-il cicatrisation et non régénération
des tissus spécifiques, comme cela existe chez certains
animaux? C'est probablement une rançon de l'extraordinaire
activité de notre tissu conjonctif. Dans des travaux très
intéressants, le chirurgien berlinois Bier a montré,
il y a quelques années, qu'il y a, chez l'homme, des ébauches
de régénération de tissus complexes, que
la régénération s'amorce, mais que la croissance
conjonctive, plus vigoureuse, l'étouffe, l'arête.
Il y a une sorte d'antagonisme entre régénération
et cicatrisation. Les cultures de tissus, en nous montrant à
l'état pur la singulière vitalité reproductrice
du fibroblaste, nous matérialisent les choses. Et l'on
comprend comment il se fait que, chez l'homme, il n'y a que des
cicatrisations conjonctives.
Mais, pourquoi cette vigueur conjonctive, normalement
éteinte, quiescente dans nos tissus une fois la croissance
terminée, prend-elle soudain de semblables valeurs quand
il y a une plaie ?
Weigert avait pensé, autrefois, que, par suite des modifications
que toute plaie apporte aux résistances et aux tensions
dans les tissus, les cellules retrouvaient soudain leurs lois
naturelles et leurs possibilités de croissance jusqu'au
moment du rétablissement intégral de l'équilibre
de résistance et de tension. En somme, à l'origine
de toutes les réparations, il ne voyait qu'un simple
phénomène physique.
Il y a, dans cette vue de Weigert, une part
de vérité. Très certainement, les phénomènes
mécaniques jouent un grand rôle dans la croissance
des tissus et dans sa limitation. Un tissu ne peut croître
que s'il a place pour s'étendre. Quand les cellules
s'épaulent les unes contre les autres, elles limitent mécaniquement
leur propre développement. C'est ainsi que tout tissu atteint
un jour cet état statique qui caractérise l'âge
adulte, où il y a bien encore des renouvellements cellulaires,
des changements d'unités, pièce à pièce,
pour ainsi dire, mais où il n'y a plus croissance. Que
la rupture d'équilibre modifie les états cellulaires,
que, par exemple, les rapports changent entre les volumes normalement
équilibrés du contenu protoplasmique et du noyau,
c'est bien probable. Mais, est-il permis de penser que cela suffise
à conditionner les modifications tissulaires considérables
qui se trouvent à l'origine du phénomène
cicatrisation et qui s'étendent à distance même
de la brèche? Il ne le semble pas. On a peine à
admettre qu'une simple modification des tensions intercellulaires
soit capable de ramener des tissus conjonctifs depuis longtemps
stabilisés à ce que l'on appelle souvent le stade
embryonnaire. Il faut, d'ailleurs, noter que si l'individu est
cachectique, s'il subit, dans un territoire voisin ou distant,
une forte vasodilatation avec hyperthermie comme celle qui accompagne
une complication pulmonaire par exemple, les modifications tissulaires
locales ne se produisent pas et la réparation cicatricielle
n'a pas lieu, bien qu'il y ait brèche.
Que la brèche soit nécessaire à l'expansion
de la poussée de croissance, c'est certain. Chez les tritons
qui régénèrent un membre amputé, la
régénération n'a pas lieu, si on suture la
peau au-devant de la perte de substance. Mais, que la brèche
soit la raison même de la poussée de croissance,
qu'elle détermine les conditions trophiques qui sont nécessaires,
cela paraît peu vraisemblable. Accouchement n'est pas fécondation.
On ne doit pas confondre la condition spatiale de la croissance
avec sa condition nutritive. Toutes deux sont nécessaires
au rythme de la croissance. Mais, dans la mesure où il
y a une hiérarchie dans de tels processus, la condition
nutritive prime certainement la condition d'espace.
L'hypothèse de Weigert ne peut donc être
retenue, malgré la part de vérité qu'elle
renferme.
En fait, elle est depuis longtemps oubliée. Pendant la
longue période des recherches histologiques sur les étapes
des diverses cicatrisations, il n'en a plus été
question.
À vrai dire, les anatomo-pathologistes
se sont détournés du problème d'origine auquel
Weigert avait voulu donner une solution. Satisfaits d'enregistrer
les aspects morphologiques des phénomènes, ils n'ont
pas abordé le fond de la question. Leurs examens montrant
que presque toutes les réparations sont conjonctives, qu'à
leur niveau, les phénomènes vasculaires sont toujours
très manifestes, que, dans toutes les cicatrisations conjonctives,
il y a des signes d'inflammation, même quand les plaies
n'ont aucune évidence microbienne, ils se sont généralement
contentés de parler d'inflammation traumatique. Au
reste, avec le développement de la bactériologie
qui faisait trouver des microbes sans virulence clinique, dans
des plaies réunies par première intention, on tendait
de plus en plus à confondre inflammation et infection et
c'est presque à regret que les classiques prononcent les
mots d'inflammation traumatique. Quelques-uns, comme Letulle,
s'hypnotisant sur les rares cas où la vasodilatation
et les leucocytes semblent n'avoir aucune part, invoquaient
une suractivité fonctionnelle des cellules connectives
ayant pour but la restitution ad integrum des parties traumatisées.
Autant vaudrait dire, comme Bier le faisait récemment à
propos des processus de guérison de maladies, qu'il faut
revenir à la philosophie d'Héraclite que, dans son
active retraite, il a longuement étudiée et admettre
que l'organisme se "conduit comme une personnalité
agissante, tendant toujours vers un but défini".
Mais peut-on retenir cette explication métaphysique ? Si
l'on veut résoudre pareil problème, il ne
faut pas se payer de mots et c'est dans les tissus eux-mêmes,
dans les mécanismes normaux de leur vie régulière,
que nous devons chercher la solution.
C'est ce qu'a fait Nageotte dans ses
pénétrantes études sur la genèse du
tissu conjonctif. Sans aborder le point précis ici examiné,
il a montré, en partant de plaies expérimentales
aseptiques, que si un caillot se trouve au contact d'un tissu
vivant, son réseau fibrineux, substance inerte et non
vivante, croit et se modèle en prenant des dispositifs
qui rappellent toujours, et souvent reproduisent exactement, ceux
du tissu conjonctif modèle. Il y apparaît des systèmes
irréguliers de feuillets ondulés, le long desquels
s'engagent les cellules conjonctives et les capillaires sanguins.
Mais ce ne sont pas les éléments vivants qui dirigent
ce modelage fibrineux. Nulle action protoplasmique n'y préside.
Il est déjà amorcé au-delà du point
que les fibroblastes atteignent. Par pure métamorphie,
des fibres collagènes, de l'hyaline s'y individualisent
et, de même, les fibres synaptiques de Ranvier. Si j'ai
bien lu Nageotte, il n'y a là que jeu des propriétés
de la matière et la structure définitive du
tissu de cicatrice ne dépend que des interactions des cellules
et de la trame.
Nageotte ne traite nulle part, expressément,
de la question posée en tête de cet article.
Le problème qu'il étudie est plus élevé
et plus général. C'est celui de l'organisation de
la matière dans ses rapports avec la vie. Implicitement,
la question du point de départ des cicatrisations chirurgicales
s'y trouve bien contenue. Mais, en fait, Nageotte, cherchant à
suivre la formation de la substance intercellulaire conjonctive,
ne se place nulle part au point de vue des réactions physiologiques
qui accompagnent toutes plaies et sont les satellites obligatoires
de la réparation.
On conçoit qu'il ne soit pas dès
lors possible d'isoler, dans sa conception biologique général,
une formule particulière qui n'y est pas énoncée,
touchant la cicatrisation. Ce serait trahir sa pensée.
Retenons donc les faits très importants mis par lui en
évidence, sans en rien conclure pour ce qui nous intéresse.
À certain moment de son activité scientifique, Carrel
a étudié très explicitement la question des
facteurs déterminant la régénération,
sur des plaies abandonnées à la cicatrisation naturelle,
en considérant que la cicatrisation est une propriété
fondamentale de la matière vivante, et qu'il est aussi
impossible de connaître son essence que de connaître
l'essence de la vie.
Il est bien certain qu'il y a un suprême
pourquoi, auquel nulle recherche biologique ne peut répondre,
car il n'est pas de son domaine à proprement parler. Mais,
il y a un pourquoi immédiat, qui est une variété
du commun physiologique que nous pouvons aborder, et que Carrel
lui-même a étudié.
Dans des études pénétrantes,
menées surtout avec Lecomte de Nouy, il a déterminé
certaines conditions extrinsèques de la cicatrisation.
Finalement, il s'est trouvé conduit à une formule
mathématique de la vitesse de cicatrisation, qui dépend.
dans une certaine mesure, de l'âge de l'individu.
Mais, pris par d'autres soucis scientifiques,
Carrel a laissé de côté l'étude des
conditions biologiques déterminantes. Et la question ici
posée, est demeurée, après lui, somme toute,
entière.
Si l'on veut lui chercher une réponse, il faut, je crois,
bien poser le problème et, pour cela, n'examiner que des
cas purs, où les facteurs susceptibles d'agir sont aussi
réduits que possible.
Dans les plaies étendues, avec destruction
tissulaire et possibilité d'infection, les phénomènes
sont trop complexes. Il y a des modifications chimiques locales
dues à la protéolyse; le pH en est changé.
On ne sait plus.
Il faut travailler à un objectif limité et précis,
et n'examiner que des plaies linéaires, aseptiques, ou
évoluant aseptiquement. Or, si l'on procède de cette
façon, il semble que certaines acquisitions récentes
en physiologie et en pathologie peuvent nous orienter et nous
donner une idée du mécanisme déchaînant
la cicatrisation.
Un premier fait domine la question, c'est le suivant, expérimentalement
et cliniquement certain: toute section sympathique, quel que soit
son siège, quelle porte sur les gros rameaux, sur les centres
ganglionnaires ou sur les fines fibres périphériques,
produit toujours une vasodilatation active, que traduisent objectivement
l'hyperthermie locale, l'augmentation d'amplitude des oscillations
et une hyperleucocytose locale.
Un second fait est que tout traumatisme produit
toujours, après une vasoconstriction passagère qui
peut passer inaperçue, une vasodilatation active, accompagnée
d'hyperthermie et d'une augmentation d'amplitude des oscillations.
Tout traumatisme est toujours un traumatisme sympathique, excitateur
ou suspensif de l'activité végétative, un
traumatisme de la vasomotricité. Or, l'étude des
suites de certains traumatismes montre que la réaction
hyperhémique qui en est l'aboutissant est susceptible d'avoir
des conséquences conjonctives, qui revêtent les apparences
de l'inflammation aseptique.
On peut donc se demander si, quand une brèche
est faite dans les tissus et crée la condition spatiale
de Weigert, nécessaire à la poussée conjonctive,
ce n'est pas l'hyperhémie active produite par le traumatisme
qui déclenche les modifications tissulaires qui sont à
l'origine de la réparation aseptique. Du fait d'un
apport sanguin plus actif, les conditions chimiques et nutritives
de la croissance conjonctive sont réalisées, et
dès lors, toutes les étapes de la cicatrisation
se déclenchent automatiquement.
Mais il est possible aussi que la question soit
plus complexe, et qu'il faille faire jouer un rôle aux déchets
de l'autolyse locale post-traumatique. Certains faits me donnent
à penser que la désintégration azotée
d'une plaie joue un rôle dans la réparation même
de cette plaie. Il ne serait pas impossible que certains matériaux
chimiques détruits, réduits à leurs éléments
simples, soient utilisés sur place pour la reconstruction.
Quoi qu'il en soit du sort de cette hypothèse, qui nécessiterait
de longues recherches, de toute façon, le déterminisme
de la réparation, son mécanisme de mise en train
paraît bien être vasomoteur.
Il y a là une question de biologie chirurgicale
qui ne devrait plus nous laisser indifférents comme elle
le fait depuis longtemps.
Revenons-en à la cicatrice organisée. Quand la cicatrisation est en apparence achevée, en fait, le processus vital d'organisation de la cicatrice, le nouvel ordre du tissu néoformé n'est pas établi pour toujours. La cicatrice n'est pas un astre éteint, une production sans vie personnelle. Elle garde dans toutes ses parties, et surtout dans sa partie conjonctive profonde, un dynamisme intrinsèque, qui lui confère une réelle activité que rien ne limite dans le temps. Parmi les manifestations morphologiques les plus intéressantes de cette activité, il y a son organisation nerveuse.
Il y a quelques années,
avec E. L. Howes, de New-Haven que son maître Harvey m'avait
envoyé à Strasbourg comme assistant, j'avais étudié
cette organisation. Howes était une sorte de spécialiste
en matière d'étude analytique des plaies. Avec Harvey,
il en avait déjà consciencieusement analysé
la plupart des particularités. J'y insiste, parce que je
crois que n'importe qui ne peut pas, du jour au lendemain, aborder
ces questions délicates. Il y faut une préparation,
une expérience, si l'on veut que les conclusions soient
impeccables.
Donc, Howes, sur des cicatrices que j'enlevais, m'a montré,
au bout de trois semaines, à la périphérie
de la portion fibreuse de la cicatrice, des fibres amyéliniques.
Après six mois, il en a trouvé un peu partout, en
assez grand nombre. Des fibres myéliniques ont été
rencontrées à la périphérie au cours
de la cinquième semaine, et trouvées dans toute
la cicatrice après le septième mois.
Les fibres myéliniques régénérées
sont tortueuses, plus épaisses que les fibres normales
et, dans certains cas, presque nodulaires. Myéliniques
et amyéliniques, toutes suivent les faisceaux collagènes.
Celles qui se trouvent immédiatement sous l'épithélium
lui sont parallèles et lui envoient des faisceaux gros
et courts. Cet arrangement contraste beaucoup avec la structure
normale, où de longues fibres amyéliniques et parfois
myéliniques montent sur l'épithélium entre
les papilles, pour s'épanouir en un réseau fibrillaire
délicat ou en fins organes terminaux. Parfois, les fibres
myéliniques sont bien plus nombreuses et bien plus épaisses
que d'habitude. Beaucoup se terminent en massue. J'en ai vu en
tourbillons. Nous en avons figuré, Howes et moi, dans un
article de la Presse médicale.
Parfois, enfin, on trouve de véritables
petits névromes dans le tissu de sclérose. Nous
en avons, Howes et moi, compté plusieurs dans une cicatrice
cutanée d'amputation.
Est-ce très étonnant?
La section, l'infection coupent ou détruisent
de nombreuses petites terminaisons nerveuses. Leur extrémité
évolue comme le fait celle de tous les nerfs coupés.
Il s'y développe un névrome de régénération
identique à ceux qui se font sur les gros troncs nerveux,
et plus encore à ceux que nous avons vus, R. Fontaine et
moi, après les sections sympathiques. Et, en fait, beaucoup,
la plupart peut-être, ont des allures de névromes
sympathiques.
Si l'on veut bien, en outre, se souvenir que
l'on ne trouve pas de corpuscules du tact dans les tissus de cicatrice,
on est conduit à penser que si les cicatrices et les tissus
de sclérose sous-jacents ont une riche organisation nerveuse,
c'est par des éléments irréguliers, nus la
plupart du temps, prêts à toutes les excitations
normales et anormales, qui ne manquent jamais dans un bloc cicatriciel
exposé.
On comprend dès lors
que beaucoup de cicatrices soient douloureuses.
La douleur y est la conséquence même
de ce que nous appelons la régénération nerveuse,
processus physiologiquement très imparfait.
Mais, du point de vue de
l'analyse pathologique, la douleur est ce qu'il y a de moins important
dans ce qui peut naître par excitation des terminaisons
nerveuses d'une cicatrice. La douleur n'est importante que cliniquement.
Traduction cérébrale d'une excitation forte, elle
naît en dérivation sur un cycle réflexe, dont
l'aboutissant ultime est toujours une action motrice, portant
soit sur le muscle lisse, soit sur les glandes d'innervation sympathique,
soit sur le muscle strié, soit sur les trois en association.
Dans le muscle strié, elles produisent
des secousses toniques ou cloniques, des contractures passagères,
fréquentes dans les muscles du visage après des
plaies cervico-faciales, et dans les muscles des moignons d'amputation,
où elles vont jusqu'à l'épilepsie, phénomène
bien moins rare qu'on ne le croirait à en juger par la
littérature. Elles produisent surtout des hypotonies musculaires
qui troublent l'activité de tant d'hommes blessés,
auxquels il semble que leur volonté est devenue désormais
impuissante à commander tels ou tels mouvements. Dans le
muscle lisse, elles sont bien plus importantes encore et plus
habituelles. Elles se traduisent par des phénomènes
vasomoteurs périphériques, du spasme artériolaire,
de la cyanose, des troubles de nutrition de la peau, des ongles,
du tissu conjonctif sous-jacent dont l'évolution fibreuse
est un bon test. En même temps, il y a des signes d'hyperactivité
sécrétoire, une sudation abondante, une moiteur
continuelle.
Tout ceci n'apparaît pas toujours
aussitôt après la cicatrisation. Et cela se conçoit;
à ce moment, l'organisation nerveuse de la cicatrice n'est
pas faite. Et quand elle a commencé, il est probable qu'elle
se fait lentement. En tout cas, les troubles engendrés
à distance par des cicatrices peuvent n'apparaître
qu'après des années de vie silencieuse. Et c'est
cela même qui prouve que la vie tissulaire de la sclérose
n'est pas une vie ralentie dans des tissus physiologiquement morts,
comme on a trop tendance à le penser.
De même que l'épilepsie traumatique
ne survient parfois que six, huit ans après l'accident,
de même qu'un moignon d'amputation ne devient souvent douloureux
qu'après des années de comportement satisfaisant,
de même une cicatrice peut créer des inconvénients
graves après une longue période de vie normale.
Et je crois ce fait d'une grande importance sociale et médico-légale,
car il tend à lever sur beaucoup d'accidentés le
lourd handicap du pithiatisme et de l'exagération.
On dira peut-être que
ces troubles à distance sont en fait bien insignifiants,
et ne méritent guère qu'on s'en occupe. C'est souvent
le point de vue de certains médecins experts. Ce n'est
pas l'avis de ceux qui les supportent, même quand ils sont
médecins. Ces troubles peuvent, d'ailleurs, être
assez accentués pour créer l'apparence d'une maladie
grave. Un de mes malades ayant des troubles vasomoteurs importants,
avec cyanose, refroidissement et impotence musculaire, me fut
adressé comme artéritique.
Un autre portait un grand appareil orthopédique
prenant le bassin et tout le membre inférieur, et ne pouvait
marcher qu'avec peine.
Et nous ne sommes pas encore entrés,
à cause des difficultés de l'analyse, dans l'étude
des retentissements viscéraux. Je suis à peu près
certain d'avoir vu des cicatrices extra crâniennes épileptogènes,
et d'autres qui étaient arrivées à produire
un véritable syndrome angineux.
Les troubles nerveux produits par les cicatrices
sont particulièrement accentués quand la cicatrice
siège dans une région où, normalement, la
peau a peu de souplesse, où elle est fixée aux plans
profonds, et surtout quand elle a, pour les conditions habituelles,
juste ce qu'il faut comme dimensions. Il en est ainsi à
la face antéro-externe de la jambe, dans la région
malléolaire, dans la région fessière, à
la face postérieure de l'avant-bras. Dans toutes ces régions,
dès que la plaie a créé une certaine perte
de substance cutanée, si on l'a abandonnée à
la cicatrisation naturelle, si l'on n'a pas remplacé la
peau manquante par des greffes, la cicatrice est fréquemment
de médiocre qualité, très souvent, elle devient
pathologique et surtout douloureuse. Il se produit alors ce que
j'appelle familièrement dans mon service, le syndrome de
la peau trop courte.
En voulez-vous un exemple
? Le suivant va faire comprendre ce que je veux dire :
L'automne dernier, un homme de 40 ans m'est
adressé pour des douleurs de plus en plus intolérables
dans la région de la fesse, à la face postérieure
de la cuisse et du mollet. Des traitements variés ont été
faits avec le diagnostic de sciatique: infiltrations lombaires,
injections diverses, rayons X, diathermie, etc. Rien ne l'a soulagé.
On me demande de voir si une intervention radiculaire ne serait
pas indiquée, parce que cet homme ne peut plus rien faire.
Je l'interroge. Il me raconte le détail
de sa douleur, qui a bien une allure de douleur sciatique, qui
augmente pendant la marche et qu'exaspère la flexion de
la cuisse sur le bassin et le relèvement du membre inférieur
en l'air.
En l'examinant, je suis frappé par la
présence d'une cicatrice de brûlure en apparence
superficielle sur la fesse droite, empiétant sur la fesse
gauche, et descendant légèrement sur la cuisse.
Elle est peu visible et dans le fond insignifiante. L'homme a
été brûlé par un fer rouge, dans son
travail, en 1917. Il a cicatrisé lentement, en sept à
huit mois, puis il a repris son travail. Et, jusqu'en 1934, il
n'a jamais été incommodé. Sa sciatique, pense-t-il,
n'a rien à faire avec cela.
Je pense autrement, et fais aussitôt des
explorations en conséquence. Au repos, dans la verticale,
l'étoffe est assez bonne et il y en a assez. Mais, manifestement,
dès que l'on fléchit la cuisse sur le bassin,
la peau de la fesse se tend, blanchit et comprime ce qui
est sous jacent. Il est donc permis de penser que les douleurs
tiennent à ce que la peau est réellement trop courte,
et au lieu d'une radicotomie, je fais chez cet homme l'excision
de sa cicatrice et quelques jours après, une greffe.
Au bout de deux mois, il est complètement
guéri. Il peut fléchir la cuisse sans éprouver
de tiraillements dans la fesse. Les douleurs ont disparu complètement,
et quelques mois plus tard, il revient nous voir, complètement
guéri.
Dans la cicatrice enlevée, il y avait
histologiquement de nombreux filaments nerveux très fins,
isolés dans les couches du derme, filaments de néoformation
de toute évidence.
Syndrome de la peau trop courte et chirurgie de la douleur.
Je crois que pareille interprétation
des phénomènes douloureux relevant d'une cicatrice
doit souvent être admise, du moins faut-il y penser
systématiquement dans certaines régions : à
la fesse, à la jambe, à l'avant-bras, au poignet,
partout où la peau tendue est peu mobile. Ailleurs, même
si la cicatrice est régulière, ne parait ni indurée,
ni extensive, il faut s'aider de l'infiltration avant de prendre
n'importe quelle décision opératoire.
Le cas suivant montre bien la façon
dont il faut procéder:
Un blessé de 1916 m'est adressé
en janvier 1931, parce que, depuis quatre ans, il ne peut; plus
marcher.
En 1916, une balle entrant par la fesse gauche est ressortie par
la face externe de la cuisse, en faisant de gros dégâts
musculaires. La cicatrisation demanda huit mois, et le malade,
bien remis peut, de 1913 à 1930, être mécanicien
sans trop de gêne: de temps en temps un peu de douleur avec
sensation de faiblesse. Au début de 1930, les douleurs
deviennent plus vives, plus fréquentes. Il sent sa cuisse
se dérober sous lui, et il a plusieurs chutes au cours
de son travail. Les douleurs et l'impotence croissant, on lui
fait porter un grand appareil orthopédique, avec ceinture
et cuissard. Malgré cela, les douleurs augmentent, et,
en 1932, il dut interrompre son travail.
Les douleurs naissent dans la cicatrice et s'irradient
à la face antérieure de la cuisse. Elles s'exagèrent
par la fatigue et par temps froid: elles sont comme une déchirure,
comme une brûlure. Et c'est dans ces conditions qu'on me
l'envoie au début de 1934.
Je constate une grande cicatrice irrégulière,
occupant toute la partie antéro-externe de la cuisse depuis
l'épine iliaque antéro-supérieure jusqu'au
tiers inférieur. Il y a au-dessous une perte de substance
musculaire considérable : la cicatrice est plaquée
sur l'os. L'atrophie est très marquée. Le moindre
contact est douloureux: la palpation, l'effleurage éveillent
exagérément des douleurs qui existent même
au repos. L'impotence est absolue. Ce n'est qu'avec grande peine
que le malade étendu à plat peut soulever la cuisse
du plan du lit.
La marche est pénible, très douloureuse,
même avec l'appareil. À l'exploration, tous 1es mouvements
passifs sont cependant possibles.
L'oscillométrie montre un indice un peu
inférieur à celui du côté sain.
Les troubles sont si intenses que je songe d'abord
à faire une arthrodèse de la hanche pour permettre
la marche sans douleur; puis, je me décide à essayer
une infiltration scurocaïnique.
Celle-ci est faite le 23 février, par
mon aide, van der Linden, dans le tissu sous-jacent à la
cicatrice. Les douleurs disparaissent instantanément. Je
demande au malade de faire des mouvements de flexion et d'extension
de la cuisse. À sa grande surprise, tous se font bien sans
douleur et sans limitation.
Je l'invite à descendre seul de la table,
sur laquelle on l'a péniblement porté. Il descend
sans aide, essaie quelques pas d'abord timidement puis plus franchement
et rentre à pied dans sa salle, ayant sous le bras son
appareil orthopédique. Puis il sort dans le jardin se promène
autour du pavillon. Au cours de l'après-midi, survient
une réaction douloureuse, comme cela est assez fréquent
dans les heures qui suivent les grandes infiltrations. Pendant
deux heures, les mouvements actifs furent de nouveau impossibles,
puis la douleur cessa et la motilité réapparut.
Le lendemain elle persistait, et le malade put circuler sans douleur
et sans appareil. Le troisième jour, il fallut refaire
une injection, quelques douleurs étaient réapparues.
Le calme complet fut obtenu pendant cinq jours. On refit encore
deux injections et, deux mois après, la guérison
persistait.
A-t-elle été définitive
? Je ne sais pas. Avant quitté Lyon, j'ai perdu de vue
ce malade. Mais, je pense que, même s'il a récidivé,
on savait désormais ce qu'il fallait faire. Il était
évident que les douleurs et l'impotence n'étaient
ni de la simulation, ni de l'exagération, que les unes
et les autres naissaient sur place, par l'effet de l'irritation
s'exerçant dans les mouvements sur les terminaisons nerveuses
mal formées, exposées et nues de la cicatrice. Dès
lors, ou par des infiltrations répétées,
on doit arriver à une guérison complète,
ou il faut exciser largement la cicatrice et faire une autoplastie
qui, remplaçant la cicatrice par de la peau saine, ne permettra
plus aux réflexes de se produire.
Depuis quelques années, j'ai recueilli
un assez grand nombre de faits de ce genre. J'ai vu de nombreuses
cicatrices douloureuses, en toutes régions, devenir indolores
après quelques infiltrations, cicatrices de plaies accidentelles
et cicatrices opératoires.
Est-il besoin de dire que,
toutes choses égales d'ailleurs, il n'y a, en fait, aucune
différence entre les unes et les autres? La nature ne connaît
pas la doctrine de l'intention.
En 1931, une dame vient me trouver, parce que,
opérée six ans auparavant d'appendicite, elle a.
depuis peu de pénibles sensations de brûlures dans
la paroi abdominale, avec de brusques dérobements de la
jambe droite. L'état général est parfait.
Il n'y a aucun signe de maladie nerveuse. La cicatrice est petite,
régulière. Je l'infiltre de scurocaïne. Tout
disparaît. Je répète les infiltrations. Après
chaque infiltration, la sédation est de plus longue durée,
et les phénomènes sont moins intenses. Au bout de
huit infiltrations en un mois, la guérison est complète,
et deux mois après. Aucune douleur n'est reparue.
Mais, pour un motif qui se comprend, sans qu'il
y ait besoin d'explication, l'importance de la gène fonctionnelle
s'observe surtout au niveau des zones de mouvement. Et c'est après
des arthrotomies du .genou que j'ai vu le plus souvent le syndrome
douleur et impotence provoqué par une cicatrice.
En voici un exemple:
Un homme de 50 ans vient me trouver,
dans mon service à Lyon, parce que, depuis près
de deux ans, il ne marche qu'avec peine et douleur. En 1931, il
a eu dans un accident d'automobile une fracture fermée
de la rotule. Immédiatement opéré par un
excellent chirurgien, dans l'hôpital voisin du lieu de son
accident, il a guéri sans incident. Mais, quand il s'est
agi de marcher, il n'a pas pu. Et, depuis, il n'a fait que de
minimes progrès, malgré tous les traitements habituels.
Il marche le genou raide, avec une canne, et très péniblement.
Il souffre presque aussitôt et, au bout d'un instant, la
douleur le force à s'arrêter. Tout son caractère
s'est modifié non pas seulement par le fait du souci, mais,
dit-il, en lui-même. Il est devenu irritable et s'exaspère
pour un rien.
À l'examen, je note une atrophie énorme de tout
le membre inférieur. Le genou est d'apparence normale,
sans liquide, sans gonflement ; il a passivement des mouvements
normaux, mais il n'obéit plus à la volonté.
S'il s'agit de faire quitter le talon du plan du lit, le malade
y parvient à peine, avec d'énormes efforts et avec
de vives douleurs. Et cela provoque aussitôt des myoclonies
considérables. La flexion active est impossible.
Séance tenante, j'infiltre la cicatrice
opératoire, qui est fine, régulière, sans
la moindre particularité apparente.
Aussitôt, le malade, d'un seul coup, peut lever la jambe
en l'air, non sans tremblements et myoclonies. Bientôt,
il peut la fléchir. Au bout de deux minutes, il se lève
et marche sans canne. Il est étonné de ne plus souffrir,
et se trouve déjà transformé. Pendant deux
mois, il vient se faire infiltrer une dizaine de fois. Le gain
a régulièrement progressé. Les douleurs ont
complètement disparu. L'impotence a considérablement
diminué. Le gain, me dit cet homme, est de 50 p. 100. J'ai
observé le résultat pendant près d'un an:
le bénéfice s'est maintenu.
En présence de tels
faits, une question se pose? Comment se réalise ce mélange
de douleurs et d'impotence?
J'ai, aux fins d'analyse, substitué parfois à l'infiltration
locale l'infiltration à distance du sympathique, fait l'anesthésie
stellaire ou l'anesthésie du sympathique lombaire et les
résultats ont été identiques.
On peut donc penser que c'est surtout dans le
sympathique que se consomment finalement les actions nerveuses,
parties de la cicatrice.
Le fait suivant est comme la démonstration
de cette hypothèse.
Un homme jeune, il y a huit mois, a passé
la main dans une vitre, ce qui lui a occasionné
diverses sections tendineuses au niveau des fléchisseurs.
Il a été immédiatement opéré.
Il a eu un peu d'infection. Bref, il se présente
avec une cicatrice dure, épaisse au niveau du poignet,
qui lui fait mal et qui gêne tous ses mouvements.
Le fait est que l'impotence de la main est presque complète,
bien que manifestement, il n'y ait pas eu section nerveuse: il
n'y a pas de troubles sensitifs. Passivement, on fléchit
bien les doigts, sans trop de peine. Si l'on commande un mouvement
isolé d'un doigt, le malade n'arrive qu'à
l'ébaucher péniblement, avec des efforts ridicules
et excessifs. La main est froide, moite, un peu cyanosée.
Les oscillations y sont très diminuées.
On infiltre le stellaire; aussitôt la
main se réchauffe. Tous les mouvements deviennent possibles
sans effort. Les doigts bougent presque normalement: les phalanges
sont encore un peu enraidies, mais beaucoup moins qu'on
ne le pouvait craindre.
Il a été fait six infiltrations.
Tous les mouvements ont été récupérés.
Il est donc établi par la thérapeutique
que le sympathique est partie prenante dans le cycle réflexe.
Comment cela peut-il s'accorder avec notre puéril
compartimentage du système nerveux ?
Quand on analyse les faits de la physiologie
normale, on trouve constamment intriqués réflexes
spinaux et réflexes végétatifs. Je ne vous
en donnerai qu'un exemple.
Quand nous voulons faire un mouvement, la volonté
commande, les muscles striés obéissent, l'articulation
joue. Mais pour que le mouvement se continue, et même pour
qu'il commence, il faut que les muscles passent de la circulation
de repos à la circulation fonctionnelle. Celle-ci exige
sept à huit fois plus de sang que celle-là. Il faut
donc qu'au début de l'acte volontaire du mouvement, le
sympathique entre en jeu, suspende son action frénatrice,
et il est nécessaire que cela continue.
N'est-ce pas une image-type des intrications
fonctionnelles des deux systèmes de l'innervation ?
Dès lors, est-il étonnant qu'il
y ait à l'état pathologique des réflexes
se traduisant à la fois sur le muscle strié et sur
le muscle lisse par de l'hypotonie ou de l'hypertonie musculaire
et par de la vasoconstriction ?
Je crois cette double réponse extrêmement banale
dans toutes sortes d'états pathologiques, dans l'angine
de poitrine, dans l'asthme, dans les troubles nerveux des cicatrices.
En somme, on peut aujourd'hui
comprendre, d'une façon toute nouvelle le traitement des
cicatrices qui provoquent des douleurs et de la gêne fonctionnelle,
sans être par elles-mêmes un obstacle anatomique à
la fonction:
Infiltration locale ou à distance du
sympathique ganglionnaire régional, avec de la scurocaïne,
sans adrénaline.
Répétition de l'infiltration tous les trois ou quatre
jours, suivant les nécessités.
S'arrêter dès que le résultat paraît
acquis. . Recommencer s'il y a rechute.
Si la sédation ne dure que quelques heures avec réapparition
rapide des symptômes, S'il n'y a pas diminution réelle
de l'intensité des troubles, au bout de quatre ou cinq
essais, il vaut mieux ne pas s'entêter et changer de méthode.
C'est alors, mais alors seulement, qu'il faut chercher du côté
des causes générales, de la syphilis, des insuffisances
ovariennes, etc.
Chez une femme qui a été castrée,
ou qui est au moment de la ménopause, il faut toujours
essayer un traitement par la folliculine. On peut avoir ainsi
des résultats inespérés.
Au contraire si la sédation est bonne,
mais ne tient pas, l'infiltration indique le sens de la thérapeutique
: la cause est locale et attingible.
Il faut exciser la cicatrice et réparer
la région par la méthode autoplastique, la greffe
italienne étant préférable à la greffe
dermo-épidermique ou à la cutanée totale
fragmentaire, parce que, généralement, on est mal
étoffé par-dessous. La greffe dermo-épidermique
ne matelasse pas assez.
On ne saurait vraiment s'étonner de voir
de temps en temps l'amélioration ne pas persister au-delà
de quelques heures. La scurocaïne n'oppose jamais qu'une
action fonctionnelle à ce qui dépend d'une cause
anatomique permanente.
Il est déjà assez surprenant qu'elle
puisse garder parfois son extraordinaire efficacité pendant
des mois, et quelquefois pour toujours, montrant ainsi que nos
maladies sont, dans leur traduction clinique, moins anatomiques
que fonctionnelles en nombre de circonstances.
En tout cas, les résultats de l'infiltration
sont tels qu'il y a avantage à étendre le champ
d'application d'une méthode aussi simple.
Et voici des conditions dans lesquelles cette
extension est possible.
Il y a des cicatrices douloureuses sans cicatrice,
si l'on peut ainsi parler. Il y a des malades qui ont eu
des traumatismes plus ou moins sévères, n'ayant
pas fait de plaie, mais ayant causé des déchirures
ou des contusions profondes qui laissent de la douleur et de l'impotence.
Il y a lieu de les infiltrer. On obtient ainsi parfois des résultats
immédiats surprenants, qui peuvent fixer une orientation
thérapeutique difficile. J'en ai vu plusieurs exemples
après des traumatismes du poignet, avec ou sans fracture
du scaphoïde.
Mais je veux donner un exemple de plus grande
portée.
Un homme d'une soixantaine d'années,
dans une excursion de montagne, en sautant d'un rocher à
un autre, perçoit une brusque et violente douleur au voisinage
du genou droit. Il tombe, a de la peine à se relever. On
le ramène péniblement chez lui. Il est laissé
au lit, immobilisé; puis, quand il essaie de reprendre
la marche, est arrêté par de vives douleurs dans
la région traumatisée. Bientôt, il apparaît
des mouvements cloniques de toute la cuisse, extrêmement
douloureux, qui se répètent de plus en plus. Bref,
la situation empire et devient intolérable au point
que le malade songe à se faire amputer. On lui a conseillé
de porter un grand appareil orthopédique, avec lequel il
marche, le genou raide, avec beaucoup de peine. L'état
moral est épouvantable. Le malade, inquiet, préoccupé,
ayant renoncé à toutes ses occupations, ne dort
plus. C'est un vrai psychique.
Je le vois au bout de deux ans: manifestement,
il y a eu une déchirure incomplète du tendon rotulien.
Le doigt trouve une encoche, une dépression nette dans
le tendon. Les ligaments articulaires latéraux paraissent
intacts. Il n'y a pas de liquide. L'atrophie musculaire de la
cuisse est considérable. L'exploration provoque les secousses
toniques: toute la cuisse est soulevée par de violentes
et brèves contractions du quadriceps, et cela est très
douloureux. J'examine avec soin, et trouve sur le tendon rotulien
un point où la pression provoque immédiatement la
douleur et le clonus.
Une infiltration est faite le lendemain de tout
le tendon et des ligaments péri-articulaires: la pression
sur le tendon devient indolore. La marche a lieu sans provoquer
rien d'anormal. L'effet dure trois jours, pendant lesquels le
malade délivré repose vraiment.
Je conseille de la renouveler. Puis, si l'effet
n'est pas suffisant d'intervenir et de réparer le tendon.
Il semble certain qu'il y a au niveau de la déchirure tendineuse
un état anormal des terminaisons sensitives. Les tendons
ont une riche innervation sensitive. Ils ont des corpuscules de
Golgi, très nombreux, des corpuscules de Vater-Pacini.
Une blessure tendineuse est toujours une blessure nerveuse, et
l'on doit, dans le cas particulier, pouvoir considérer
l'opération éventuellement nécessaire comme
une opération nerveuse autant que tendineuse.
Je n'ai pas revu le malade, mais j'ai su que des infiltrations
ultérieures l'avaient considérablement amélioré.
Puis il y avait eu rechute, et que l'on n'avait pas cru devoir
suivre mon conseil d'intervention sur le tendon. J'imagine que
le pauvre homme est devenu la proie de tous les guérisseurs
qui exploitent actuellement l'éternelle foi des hommes
dans l'irrationnel, à moins qu'il n'ait été
amputé, ce qui sans aucun doute aura été
la pire des solutions, car dans ces cas, une amputation
aggrave presque toujours la douleur et ne diminue jamais l'impotence.
De toute façon, dans un cas de ce genre, aucune opération
sympathique ne peut être efficace. C'est à l'action
directe qu'il faut recourir. On ne saurait trop y insister. Beaucoup
d'échecs de la sympathectomie sont dus à ce que
les chirurgiens n'ont pas compris que, toujours, quand on peut
atteindre une lésion, c'est à elle qu'il faut aller.
L'infiltration locale et
l'anesthésie sympathique ne doivent pas être réservées
aux cicatrices établies depuis longtemps et depuis longtemps
douloureuses. Elles peuvent être utiles au moment même
de la cicatrisation. En provoquant de l'hyperhémie, en
supprimant les petites douleurs, en aidant aux reprises fonctionnelles,
elles facilitent la formation d'une cicatrice souple et indolore.
Elles paraissent s'opposer à la sclérose. Elles
sont particulièrement utiles pour les plaies des extrémités
et des articulations, pour les traumatismes des doigts de la main,
des tendons. Depuis des années, nous les employons constamment
à la clinique chirurgicale de Strasbourg et mes élèves
de Lyon en font autant.
Les chirurgiens qui n'utilisent pas ces méthodes
ne savent pas de quelles ressources ils se privent. Je sais bien
qu'ils n'y croient pas. Ils demeurent dominés par la morphologie,
et restent des mécaniciens. S'ils songeaient à ce
que c'est que la fonction, ils essaieraient et seraient vite convaincus.
La pensée de la fonction, la pensée physiologique
n'est encore dans la chirurgie qu'au stade verbal. La plupart
des chirurgiens s'imaginent qu'avoir une orientation physiologique,
cela consiste à opérer des chiens. Il s'agit bien
de cela Penser physiologiquement, c'est penser à la vie
et non au cadavre, à la fonction, et non pas seulement
à la forme.
Les résultats extraordinaires des infiltrations
locales et sympathiques dans le syndrome douleur et impotence
causé par les cicatrices peuvent aider à l'évolution
des idées à ce sujet. C'est un autre service que
les infiltrations nous rendront. Pour tous ceux qui veulent réfléchir,
il est certain qu'elles ont une valeur d'éducation générale.
[Remerciements au docteur Donald ARCHER qui a transmis ce texte pour qu'il soit mis sur la page Web de l'ADAP]