La Posturologie de l'ophtalmologiste
Deuxième partie

Le système proprioceptif,
Pour mieux le comprendre
Dr Gabriel ÉLIE

Comment vous sentez-vous?

     On peut se demander si la conscience que nous avons de notre propre personne ne nous est pas fournie avant tout par cette sensation, émanant de tous nos muscles venant nous indiquer comment sont placés nos bras, nos jambes, bref dans quelle posture est notre corps (fig.1). Avant de penser, d'agir, d'écrire, Descartes aurait pu dire, "je me sens, donc je suis" (Génie de l'intellectuel qui brûle l'étape première pour mieux frapper).

FIG.1- Grâce au sens proprioceptif, l'athlète connaît la position de chacun des segments de son corps.

     Cette présence de notre corps nous est fournie par nos différents sens. Mais la vue, l'ouïe, l'odorat et même le goût nous indiquent surtout comment est l'espace autour de nous. Il en est de même en partie pour le tact. Le toucher est à la frontière. Il met en valeur l'interface entre cet espace extracorporel et notre propre corps. Au niveau de la peau, en surface existent des microcapteurs de pression, de douleur. Un peu plus profond des capteurs thermiques. Puis, au plus intime, c'est le foisonnement des myriades de sondes qui nous indiquent la position des différents segments de notre corps et leurs mouvements respectifs.

Comment allez-vous?

     A tout moment, avant toute action gestuelle, nous devons évaluer notre position, notre posture; Et, aussitôt après le geste, constater le résultat du mouvement commandé: Suite perpétuelle de contrôles qui permettent le suivi musculaire et l'ajustement du geste. C'est ce système tactile interne que nous appelons proprioception ou mieux "système proprioceptif".
     Il se noue alors une relation entre les données recueillies par les autres sens et celles données par ce système tactile interne pour évaluer la position réelle de notre corps vis à vis de notre environnement. Parmi les quatre autres sens, c'est à l'évidence avec la vue que les rapports et les confrontations de données sont les plus marquées. Inutile de dire que la position des images (des objets environnants) sur la rétine et la direction du regard sont primordiales dans l'évaluation de ce qui nous entoure. Et l'emplacement de ce que nous voyons par rapport à notre corps se fait par l'appréciation de la position de nos yeux dans les orbites, c'est à dire par les muscles oculomoteurs extrinsèques.

Comment vous voyez-vous?

     La réponse n'est-elle pas: "Par mon système proprioceptif"!. Similitude entre la vue et ce système (véritable vision interne): Il n'est pas étonnant alors que ces muscles oculomoteurs aient une place privilégiée dans le système proprioceptif et qu'ils puissent intervenir dans un dérèglement, mais aussi dans un sauvetage de nombreux déficits du système postural.
     C'est ce qui a amené le Dr Martins Da Cunha, spécialiste de rééducation fonctionnelle et le Dr Alves da Silva, ophtalmologiste, à confronter leurs deux spécialités dans une recherche commune. Depuis plus de 20 ans, leur méthode s'est enrichie et dépouillée. C'est surtout à celle-ci, celle de l'École de Lisbonne, que nous ferons référence dans les pages qui vont suivre.

Plusieurs centaines de sondes par gramme de muscle

     Quand tout va bien, nous n'avons qu'une sensation très vague de nos viscères. Nous ne sentons pas non plus les battements habituels de notre coeur. A peine avons-nous la notion de notre respiration. Mais nous avons conscience de la position de nos membres. Comment s'organise cette sensibilité distribuée dans la profondeur de notre corps, des "yeux de la tête" à la plante des pieds? Les récepteurs de Golgi situés au niveau des tendons, les palissades de Dogiel nous indiquent la contracture d'un muscle. Comme nous l'ont dit Sherrington et Herring, son muscle antagoniste se décontracte. Son étirement excite des palpeurs, les fuseaux neuro-musculaires d'une extrême complexité, situés au sein des groupes de fibres musculaires. La mise en tension de ces formations sensitives est un peu comparable à celle d'un sandow relâché qui se met à vibrer lorsqu'on l'étire brusquement (fig.2).

FIG.2- Schéma des capteurs musculaires (suivant C. Battini).

     Et justement ces formations sont aussi excitées en appliquant sur un muscle un vibreur mécanique. C'est autour de 70 vibrations/sec ( 70 hertz) que l'on obtient le meilleur effet (fig.3). Ainsi excités, les muscles du mollet donnent, par exemple, l'impression d'extension de la jambe alors que celle-ci ne bouge pas. Cette propriété a permis à l'équipe de J.P. et R. Roll, A. Kavounoudias de mener une expérimentation intéressante sur divers phénomènes proprioceptifs, dont les applications s'adressent jusqu'aux spationautes en apesanteur.

FIG.3- Des vibrations appliquées à certains muscles donnent au sujet la sensation de mouvement, alors que le membre ne bouge pas

A quoi ça sert?

     Ces sensations cheminent par des voies diverses jusqu'au cerveau. Ceux qui seraient intéressés par le trajet des voies afférentes et des centres cérébraux en trouveront la description dans l'excellent article de Pierre-Vital Bérard publié dans COUP D'OEIL n° 48 de 1994, duquel nous sortons les schémas ci-joints (fig.4). Le cerveau perçoit ces influx, les analyse et en constitue la base pour contrôler, coordonner, commander le geste et réguler le tonus musculaire. Attention si les données de ces capteurs se contredisent! Le tri cérébral en sera perturbé. Le trouble qui en résulte alors peut engendrer des inhibitions affectant l'équilibre corporel, mais dépassant aussi parfois les limites de cette seule fonction . Nous l'évoquerons plus tard.

FIG.4- Schéma des voies optiques (d'après F. Vital-Durand).

     Les capteurs proprioceptifs se répartissent de haut en bas dans notre corps. Et certains étages sont plus importants et sans doute plus innervés. Les muscles oculaires extrinsèques représentent une zone privilégiée, nous l'avons signalé. Elle préside au regard. Juste en dessous, les muscles du cou sont importants aussi. La tête repose comme sur une rotule. Elle tourne à droite à gauche, se penche, s'incline en avant ou en arrière. Elle contribue à mettre les orbites en direction du but à regarder. Et ce geste sera ensuite affiné par la musculature intra-orbitaire.
    Puis tous les muscles du reste du corps interviennent, sans oublier les périvertébraux. La cheville est encore un relais important. Tous ces étages sont en interaction, s'épaulent par sommation des données et coordination dans les résultats. Il semble ainsi que l'étage oeil-nuque agit dans l'orientation du corps dans l'espace extra-corporel et que la cheville intervienne dans la régulation de cette orientation.

Et c'est le pied

     La zone plantaire agit un peu différemment. Ses capteurs cutanés réagissent surtout à la pression. Ce sont des mécano-recepteurs. Les pressions ne sont pas également réparties sur toute la sole plantaire. Et tout mouvement du corps les fait varier.
     Curieusement, les vibrations mécaniques activent ces capteurs de la même manière que pour les capteurs musculaires. Il est ainsi possible de faire varier le tonus musculaire et d'induire des déplacements posturaux en appliquant ces vibrations sur l'une ou l'autre partie de la plante du pied. Cette sensibilité plantaire diminue avec l'âge. Sa baisse paraît corrélée à la fréquence des chutes chez les personnes âgées. Ces capteurs plantaires semblent sensibles aussi aux infrarouges envoyés par la chaleur du pied et réfléchis par une semelle-miroir.
     Ces multiples étages président au tonus musculaire de tout notre corps. Les données du système proprioceptif contribuent ainsi à notre équilibre vertical et doivent être en concordance avec les données venant des canaux semi-circulaires. Cette sensation d'équilibre en rapport avec l'action de la pesanteur se répartit dans tout le corps. Un point est particulièrement apte à l'évaluer, ce sont les muscles masticateurs. Le maxillaire inférieur se comporte comme un balancier. Et l'on a vu des déséquilibres survenir à la suite de pose de prothèses dentaires!

Équilibre instable

     Un corps est en équilibre stable lorsque son centre de gravité est situé au-dessous de sa base d'appui. Ce n'est pas le cas de notre corps situé en équilibre instable, puisqu'il doit toujours lutter pour garder son centre de gravité au-dessus de sa base (fig.5), c'est à dire le polygone délimité par la surface des deux pieds. C'est pour lutter contre la chute que les influx proprioceptifs et le tonus musculaire est perpétuellement en éveil, afin de rétablir l'équilibre. Continuellement des petites oscillations font varier la ligne d'appui du centre de gravité, perpendiculaire au sol. Celle-ci décrit une surface en fait bien plus petite que celle correspondante à la plante des pieds (fig.6).

FIG.5- Si le centre de gravité du corps sort du polygone de sustentation, l'équilibre est rompu.
FIG.6- Statokinésigramme: Hors déficit, les oscillations de la perpendiculaire au sol descendue du centre de gravité du corps s'inscrivent sur une surface minime, au centre du polygone. En cas de déficit, cette surface s'agrandit nettement

     Dès qu'il existe un trouble de l'équilibre, cette surface d'oscillations s'élargit. Si elle dépasse le polygone de sustentation plantaire, il y a essai de rattrapage ou chute. Toutefois, selon les personnes, on peut avoir un appui reposant plus sur un pied que sur l'autre. On parle d'appui plantaire droit ou gauche, souvent avec un partage inégal entre les deux. Nous y reviendrons. Mais un tonus unilatéralement exagéré peut provoquer des contractures, source de fatigue, de crampe, de douleur et une multitude d'autres inconvénients.

La Posturologie de l'ophtalmologiste
Troisième partie

La clinique du Syndrome de Déficience Posturale

de Martins da Cunha

Dr Gabriel ÉLIE

     Dans l'article précédent, nous avons essayé de brosser à grand traits le système proprioceptif, si utile pour la conscience de nous-mêmes. Mais il existe parfois des déficiences de ce "sixième sens". Et l'ophtalmologiste est souvent amené à les constater. Il peut aussi les soigner. Nous le verrons dans un article ultérieur.

Les multifacettes subjectives de la déficience posturale

     Nous sommes pour la plupart en asymétrie: Résultat de notre constitution, de nos habitudes, de notre mode de vie. Mais nous compensons cette prévalence unilatérale et nous n'avons pas de troubles. Il n'en est pas de même pour d'autres. En effet, chacun a une résistance variable. Cette résistance personnelle peut aussi être mise en échec si elle est confrontée à la fatigue ou autres circonstances variées: conditions de vie, de travail, traumatismes, etc...
     La déficience posturale se traduit alors par une grande variété de troubles fonctionnels. Malgré tout, certains sont plus fréquents. Nous allons donc les énumérer, sans avoir la prétention de tous les nommer. Ils peuvent survenir à tout âge et ils sont soignables à tout âge.

Troubles du système musculaire:

Fatigue permanente. Difficulté à faire certains mouvements articulaires ou des membres, hyperalgie de l'épaule. Rétrognatisme mandibulaire, spasme des ptérygoïdiens. Douleurs musculaires. Torticolis, cervicalgie, rachialgie, sciatalgie, douleur lombaire ou inguinale, douleur thoracique ou abdominale sans lésion organique simulant une urgence médicale. Dyspareunies. Bourdonnements d'oreille. Parésies, paresthésies.

Troubles du système vasomoteur:

     Pâleur de la peau, Syndrome de Raynaud (fig.7), pincement entre la pression artérielle maxima et minima, céphalées, migraines.

FIG.7- Syndrome de Raynaud: vasoconstriction momentanée de la circulation digitale.

Troubles de la somatognosie et de l'orientation spatiale:

     Imprécision des mouvements, dysmétrie, morsure de la langue ou de l'intérieur de la joue. Chutes inexplicables, entorses à répétition. Troubles de la conduite automobile. Déficience de la convergence oculaire, exotropie de près, instabilité de l'amétropie.

Troubles du psychisme:

     Agoraphobie. Stratégie d'hyper ou d'hypoactivité. Réveils fatigués. Déficit de la concentration. Dépression avec un accompagnement d'autres signes proprioceptifs, mais résistant aux traitements médicamenteux et disparaissant à la reprogrammation posturale.

Troubles de la perception:

     Déformation de l'image visuelle, diplopie monoculaire, scotomisation. Déficit de la perception auditive: Ces personnes écoutent sans comprendre. Dyslexie.

Troubles de l'équilibre:

     Infirmité à la marche, vertiges, déséquilibre.

Troubles du système vagal:

     Nausées, vomissement, sudation froide des membres.

     *Chez les enfants, les troubles plus fréquents sont la dyslexie (voir l'article compagnon), dysgraphie, dysorthographie, le déficit d'apprentissage, la perte de concentration., Les épigastralgies, chutes fréquentes, choc contre les objets. La surdité de perception.
     Devant ce nombre important de manifestations d'un déficit postural, on en viendrait vite à penser que beaucoup de plaintes de malades peuvent venir de là. Il ne faudrait surtout pas s'y tromper. Il faut avoir la hantise d'une autre cause organique. Une cause proprioceptive ne doit être évoquée que lorsque tout autre cause a été écartée par les examens appropriés.

L'unique facette objective de la déficience posturale

     L'un des caractères du syndrome de déficience posturale (SDP) est que les examens complémentaires, imagerie de toutes sortes, épreuve de Barany, analyses biologiques s'avèrent négatifs. Les traitements d'épreuve aux anti-inflammatoires, tranquillisants, somnifères n'apportent que peu ou rien. Une fois la cause organique éliminée, on peut penser à une origine fonctionnelle de déficience de la proprioception.

     L'examen clinique va alors montrer une remarquable similitude dans les signes objectifs observés. Et ce, malgré la grande variété des traductions fonctionnelles décrites plus haut.
     En fait, presque tous les signes cliniques que nous allons observer mettent en évidence la mauvaise interprétation posturale du cerveau. Celle-ci provoque une contracture musculaire généralisée à prédominance unilatérale.

Un corps de chair ou de pierre?

- Appréciation de la position des pieds:

     Le sujet ne doit pas regarder ses pieds. Debout, le regard droit devant lui, on positionne son pied gauche bien droit parallèle à l'axe antéro-postérieur de son corps (fig.8) Le pied droit est ensuite légèrement mis en retrait arrière, mais lui aussi bien parallèle. On demande alors au sujet de dire comment il évalue la position de ses pieds. Parallèles: l'appréciation est bonne. En convergence:, l'appréciation est erronée. Pour mieux connaître sa réponse, on lui demande de positionner ses mains pour mimer la position de ses pieds. Le trouble d'appréciation est évident. On le lui fait remarquer.

FIG. 8- Sans regarder, le sujet simule avec les mains la position supposée de ses pieds. Malgré le parallélisme des pieds, il pense qu'ils sont en convergence en cas de SDP.

- Limitation de la convergence tonique:

     On demande au sujet de fixer la pointe d'un stylo à bille en la rapprochant juste à la hauteur de ses yeux. Le stylo doit être présenté oblique et non vertical ou horizontal, dans l'axe du visage., Déjà, vers 30 à 25 centimètres, il a tendance à fuir en portant sa tête en arrière. Il a la sensation de trop converger. Ou bien, l'un de ses yeux décroche, mais sans partir en divergence (à la différence de ce qui se passe dans l'insuffisance de convergence habituelle).

- Test main-oeil

     La main dominante à plat la paume vers le bas, doigts étendus accolés sauf le pouce écarté au maximum. On trace au crayon à bille une ligne reliant le fond de la cavité entre les métacarpiens et l'arc de la bride cutanée reliant le pouce et l'index. Cette marque est donc perpendiculaire à la concavité de cette bride (fig.9).

FIG. 9- Test oeil-main:

Par un mouvement en fauchage, le repère entre pouce et index doit se superposer à l'objet visé (photo de gauche). En cas de déficience, l'impact se décale vers l'index (photo de droite), mauvaise visée de l'objet-cible.

     On présente alors le stylo vertical à une distance un peu moindre que la longueur du bras. Par un rapide mouvement horizontal de fauchage, on demande au sujet de mettre en coïncidence le trait de sa main avec le stylo. En cas de déficit, le stylo se heurte à la base de l'index, c'est à dire à 1 ou 2 cm du trait de repère: mauvaise appréciation de l'espace. On le fait remarquer au sujet.

- Ouverture de la bouche:

Le sujet peut rentrer dans sa bouche 2 à 3 doigts, la main horizontale dans un plan sagittal (fig.10). On marque sur ses doigts par un trait de stylo jusqu'où il peut les rentrer. Ce test servira de comparaison pour évaluer le résultat après traitement qui devrait décontracter les muscles masticateurs (fig.11). Il en va de même pour l'élévation des bras à la verticale. Elle sera facilitée après traitement.

FIG.10- Contraction des muscles masticateurs: Les 3 doigts pénètrent seulement d'environ 2 phalanges. Marquer la pénétration par un trait d'encre sur l'index.
FIG.11- Dès le début du traitement, la bouche s'ouvre plus grande, les doigts pénètrent plus amplement: le trait d'encre est largement dépassé

- Rotation de la tête:

La tête bien droite ni penchée sur le côté, ni en déflexion, on demande au sujet de tourner la tête en rotation du cou vers l'épaule droite (fig.12). On mesure la distance entre l'acromion et le milieu du menton. Même manoeuvre faite en rotation vers l'épaule gauche (fig.13). On estime vers quel côté la tête peut le moins tourner (fig.14). Le sujet sent lui-même souvent qu'il est plus limité d'un côté et que son muscle sterno-cléido-mastoïdien est plus contracté du côté de cette limitation.

FIG.12- Rotation de la tête vers la droite. On mesure la distance acromion-menton FIG.13- Rotation de la tête vers la gauche. Mesure de la distance acromion-menton. FIG.14- Comparaison de ces deux distances. La contraction du sterno-cléido-mastoïdien bride la rotation de la tête

- Déflexion de la tête en arrière:

On fait glisser de haut en bas de chaque côté du cou ses mains jusqu'à ce qu'elles s'arrêtent sur les muscles latéraux liant le cou à l'épaule. Puis on demande au sujet de laisser partir sa tête en arrière. On apprécie alors la hauteur entre le flanc de l'index de l'examinateur et l'oreille du sujet (fig.15). D'ordinaire il y a corrélation entre le côté où cette distance est moindre et le côté ou la tête va moins loin en rotation.

FIG.15 - Déflexion de la tête. Asymétrie bien visible: l'oreille touche le flanc de l'index à droite, pas à gauche.

Une recherche à la portée de tout ophtalmo

     En cas de SDP, on trouvera une anomalie à chacun de ces tests, quel que soit le trouble dont le malade se plaint.
    L'examen s'arrête là dans la plupart des cas. Il a demandé quelques minutes: Aucun instrument compliqué, seulement une étude clinique à laquelle il faut s'initier. Comme d'habitude chez un ophtalmologiste, le sujet reste habillé.
   Certes, il serait bon de mieux connaître l'appui plantaire. Mais le fait que le sujet se sente épié modifie son attitude; et l'expérience a montré que l'on peut difficilement se fier aux résultats de cette étude. Nous nous en servirons quand même, un peu plus tard, pour signifier les différentes postures d'équilibre. Mais l'examen clinique portugais n'emploie pas de plateforme stabilométrique et ne se sert pas non plus du test de piétinement de Fukuda. C'est la grande différence entre l'école portugaise et l'école française.

La posturologie de l’ophtalmologiste
Quatrième partie

Le traitement du
Syndrome de Déficience Posturale

Dr Gabriel ÉLIE

     Dans les articles précédents, nous avons voulu attirer l'attention sur les déficits posturaux. Nous en sommes venus maintenant au traitement

Unicité du traitement

     Prismes, semelles; rééducation posturale. Le traitement ne varie pas ou si peu, quel que soit le trouble. L'expérience clinique est là pour renforcer cette ligne de conduite. Mais ces trois piliers forment un ensemble qu'il ne faut pas dissocier au risque de ne pas avoir de résultat. Détaillons-le.

- Les prismes

     C'est dans leur prescription qu'il y a quelques variantes:
     Dans la plupart des cas, nous trouvons une cohérence entre le côté où la rotation de la tête est plus limitée et le côté de la moindre distance entre le flan de la main de l'examinateur et le pavillon de l'oreille du sujet (voir article précédent). C'est le cas de loin le plus fréquent, soit 90% des sujets. Il faut donner un prisme oblique sur chaque oeil, de manière à relâcher les 2 muscles petits obliques. La base du prisme est donc tournée en supéro-temporale, à 125° à droite et 55° à gauche. La puissance du prisme est de 2 dioptries pour un oeil et de 3 à 4 dioptries pour l'autre (jamais plus). Le prisme le plus fort est mis du côté où la rotation de la tête est la plus limitée.
     Ce cas de bonne correspondance entre les 2 mouvements-tests de rotation et de déflexion de la tête correspond toujours à un appui plantaire mixte pur (Cf cas "e" du tableau synoptique); c'est à dire une répartition presque égale de l'appui sur les 2 pieds. D'ordinaire ces 2 pieds reposent sur le sol en divergence, c'est à dire que les talons sont plus rapprochés que les pointes et à peu près au même niveau d'avant en arrière. Mais nous répétons que cette classification plantaire n'a pas une grande importance pour l'école portugaise.

Le lion dans la cage:

     Lorsqu'il n'y a pas de correspondance entre les 2 tests de rotation et de déflexion de la tête, il faut préciser la prescription du prisme par un examen orthoptique au synoptophore de Clement Clarke. A cet instrument et à lui seul. C'est le test du scotome directionnel. La tête du sujet ne doit pas être inclinée vers l'avant ou vers l'arrière, bien droite si possible dans sa position habituelle, calée sur la mentonnière. En revanche, il serait préférable de supprimer l'appui frontal de l’instrument qui peut induire des positions inhabituelles de la tête.
     On fait la mise au point de l'écart pupillaire. On cherche l'angle où il est le plus facile pour le sujet de bien voir le lion et la cage se superposer. C'est à 0° ou tout proche et on solidarise les deux bras du synoptophore. Et l'on tourne l'axe du synoptophore de 20° dans le regard vers la droite (dextrogyre) (fig.16 et 17), puis dans le regard vers la gauche (fig.18) (lévogyre).

FIG.16- Recherche du scotome directionnel: Le synoptophore tourné vers la droite FIG.17- Vu en surplomb de la rotation du synoptophore et du regard vers la droite. FIG.18- Vu en surplomb du synoptophore et du regard vers la gauche

     Les images choisies sont le grand lion et la cage (mires G 3 et G 4 du Clarke: lion devant OD, cage devant OG (fig.19). Mais le phénomène se produit aussi avec le petit lion et la petite cage du même test de la série maculaire). Le test doit se faire en lumière atténuée On remarquera qu'au fur et à mesure que l'on tourne les oculaires du synoptophore, certains barreaux de la cage ou certaines parties du lion disparaissent, indifféremment sur le test positionné à droite ou à gauche (fig.20 et 21). Test troublant et curieux: Cette éclipse d'une partie de l'un des tests est fugitive et il faut en être prévenu pour la remarquer. Elle pourrait passer inaperçue. Il s'agit bien d'un phénomène cérébral d'inhibition limité, difficile à expliquer. L'école de Lisbonne s'en sert d'une manière intéressante comme nous allons le voir. À lui seul, ce test justifie le titre que nous aimerions donner à tous ces chapitres: La posturologie de l'ophtalmologiste.

FIG.19- Tests employés pour la recherche du scotome directionnel: le lion et la cage FIG.20- Dans ce cas, le scotome se produit dans le regard à gauche: Quelques barreaux de la cage manquent, alors que, dans le regard droit devant soi ou sur la droite, le lion et la cage sont vus entièrement.
FIG.21- Même phénomène, mais en ce cas lion et cage sont amputés. La signification est identique à celle du cas précédent

La trouvaille des ophtalmos pour les 10% restants

     Il faut distinguer alors 4 cas:

- Le scotome directionnel se produit dans le regard vers la gauche vers 20°. Pas de scotome vers la droite. On doit mettre un prisme sur l'oeil droit base temporale, axe horizontal. Ceci correspond à un appui plantaire droit (Cf cas "a" du tableau synoptique).

- Le scotome se produit dans le regard vers la droite vers 20°. Pas de scotome vers la gauche. On doit prismer l'oeil gauche base temporale, axe horizontal. Ceci correspond à un appui plantaire gauche (Cf cas "b" du tableau synoptique)..

- Le scotome se produit dans le regard à gauche dès 20° et aussi dans le regard à droite, mais pas avant une rotation de 30°. On prescrit un prisme sur l'oeil droit base supéro-temporale axe à 125°. Il s'agit d'un appui plantaire mixte droit (Cf cas "c" du tableau synoptique).. Pour aller jusqu'à 30° de rotation, il est nécessaire dans certains modèles de Clarke de désolidariser les deux bras du synoptophore. Sinon la rotation se bloque vers 25° environ.

- Le scotome se produit dans le regard à droite dès la rotation de 20° de l'axe du synoptophore, mais pas avant 30° dans le regard à gauche. On prescrit un prisme sur l'oeil gauche base supéro-temporale, axe à 55°. Il s'agit d'un appui plantaire mixte gauche (Cf cas "d" du tableau synoptique)..

     Parfois, le scotome ne se manifeste que pour une rotation plus importante, jusqu'à 40°. L'important est de bien noter quelle est la rotation la plus courte, dextrogyre ou lévogyre, qui provoque le phénomène; Et de voir s'il est uni ou bilatéral.

     Remarquons que le prisme se met toujours sur l'oeil situé du côté de l'appui plantaire dominant et surtout opposé à l'apparition la plus rapide du scotome.

     Si l'on voulait faire le test pour un appui mixte pur, cas décrit en tout premier, le scotome apparaîtrait dès une rotation d'environ 20° autant à gauche qu'à droite. Mais cet examen n'est pas nécessaire dès lors qu'il y a cohérence entre les deux tests de rotation et de défléchissement de la tête: Cette cohérence signe un appui plantaire mixte pur. Comme indiquée ci-dessus, la prescription prismée est alors bilatérale avec un écart de puissance d'un oeil à l'autre. Rappelons que c'est 90% des cas.

---Se reporter au tableau synoptique, sur lequel on comprendra mieux la position des pieds selon l'appui plantaire---

Cas
Test au synoptophore: le scotome apparaît
Position du prisme
Correspond à
dans le regard à D
dans le regard à G
un appui plantaire
a
Pas de scotome
à 20°
OD 180°
a) Droit
b
à 20°
Pas de scotome
OG 0°
b) Gauche
c
à 30°
à 20°
OD 125°
c) Mixte Droit
d
à 20°
à 30°
OG 55°
d) Mixte Gauche
e
à 20°
à 20°
OD 125° + OG 55°

prisme le plus fort du côté où la rotation de la tête est la plus limitée

e) Mixte Pur
a) Appui droit
b) Appui gauche
c) Mixte droit
d) Mixte gauche
e) Mixte pur

     Souvenons-nous déjà que l'un des pieds est posé plus de travers que l'autre. C'est le pied d'appui accessoire. La jambe et la cuisse correspondantes ont un hypertonus pour leurs muscles rotateurs externes et extenseurs. Le traitement vise à égaliser le tonus musculaire des deux jambes. Mais pas seulement de la jambe...

Que faut-il encore à ce prisme?

    Nous venons de parler de la position des prismes: côté, base, axe. Mais quelle puissance choisir? Elle est en fait minime et ne dépasse jamais plus de 4 dioptries. Au-delà, elle provoque une diplopie. L'effet postural n'est plus possible.

     C'est le résultat immédiat sur le tonus des muscles qui va guider le choix de la puissance. On met sur une lunette d'essai un prisme de 2 dioptries chez l'enfant, de 3 dioptries chez l'adulte avec l'orientation indiquée. Ou bien un prisme sur chaque oeil, en cas d'appui mixte pur. Nous l'avons déjà dit.
     Et les tests sont refaits:
     Appréciation de la position des pieds, convergence tonique, test oeil-main, rotation de la tête et ouverture de la bouche. Quel étonnement de voir d'emblée l'asthénopie de convergence disparaître, le test oeil-main se normaliser, la rotation de la tête s'égaliser et les doigts s'engouffrer dans une bouche bien plus ouverte par décontraction des muscles masticateurs.
     Si cette normalisation est insuffisante, il faut passer à un prisme de 1 dioptrie supérieure. D'ordinaire la puissance moyenne nécessaire est un peu plus faible chez l'enfant en prescription uni ou bilatérale. L'apparition d'une diplopie signe qu'il faut diminuer la puissance du prisme à moins que l'on se soit trompé dans son orientation.
     Dans l'appui plantaire mixte pur, cas le plus fréquent, pourquoi a-t-on le plus souvent besoin de 2 dioptries à droite et de 3 à gauche si le sujet est originaire du sud et le plus souvent 3 à droite et 2 à gauche pour les origines nordiques? Que de choses encore inexpliquées?

Des lunettes, et des bonnes!

     Les lunettes sont exécutées chez un bon opticien. Si la personne a besoin d'une correction amétropique, il faut la mélanger à la prescription posturale. Inutile de dire que l'écart pupillaire doit être scrupuleusement respecté, sinon on risque de générer un autre effet prismatique non recherché qui pourrait fausser la prescription. La stabilité de la monture est importante. L'opticien doit veiller à donner une monture solide, peu déformable et à bien l'ajuster au visage. On conseille un léger coude de 3° au niveau du nez dans le plan frontal (fig.27) et une inclinaison de 15° sur la verticale (le bas du verre en arrière). Pour les enfants, un petit pont en plastique reposant sur l'arête nasale renforce encore la stabilité. Dès que les lunettes sont mises au point, il est bon de les mettre sur la platine d'une photocopieuse. Cette photocopie permettra de surveiller une déformation possible et d'indiquer qu'une remise en forme est nécessaire.

FIG. 27- Les lunettes doivent avoir une inclinaison de 15° sur la verticale. Les plans des verres sont décalés l'un et l'autre de 3° au niveau du nez.

     La prescription de prismes est une manière étonnante de corriger le tonus musculaire et donc le déficit postural. Cette prescription est l'une des principales clés qui nous fait rentrer à l'intérieur du système proprioceptif pour le reconditionner. Son action est admise comme provoquant une relaxation des muscles rotateurs externes et extenseurs du membre inférieur opposé à l'oeil prismé. Mais il décontracte en fait les muscles hypertoniques du haut en bas du corps. Malgré son effet primordial, ce n'est pas à lui seul suffisant. Négliger les autres clés de réparation serait souvent aller vers un échec avec d'ailleurs des prismes mal supportés. Il faut maintenant s'occuper de la plante des pieds et de la reprogrammation posturale.

Les semelles, mais lesquelles?

     Si la prescription de prismes est préconisée depuis quelques décénnies, il avait semblé encore plus évident depuis longtemps que les déséquilibres de la statique du corps pouvaient être compensés par une semelle plus épaisse à droite ou à gauche. On a ensuite affiné la correction par des petites cales distribuées selon l'étude des appuis plantaires, associé à l'examen de la statique vertébrale, des épines iliaques et autres points de repère bien connu des posturologues.

      Il faut toujours savoir être discret dans cette approche du capteur plantaire, sinon les palpeurs plantaires , trop sollicités, peuvent finir par s'atrophier, et le résultat devient inverse. Au-delà d'une surépaisseur de 3 à 4 mm, il y a risque d'écrasement des récepteurs. Les podologues savent éviter ce risque. Il faut savoir leur confier le patient dès que cela semble utile.

     Toutefois, l'école portugaise a tendance à utiliser un autre système basé sur la réflexion des infrarouges envoyés par la chaleur plantaire(fig. 8). Des systèmes réfléchissants, placés dans l'épaisseur de la semelle, au niveau de la voute plantaire, incitent les orteils à mieux jouer leur rôle pendant la marche, au moment où l'on passe de l'appui plantaire horizontal à l'appui antérieur.

FIG.28 - Les semelles posturales: La trace des appuis se remarque bien sur ces semelles un peu usagées. La zone la plus ombrée correspond au gros orteil, mettant ainsi l'accent sur son rôle prépondérant Le miroir réfléchissant les infrarouges se situe au niveau de la voûte plantaire.

     Le gros orteil est l'une des clés de notre équilibre. Cette incitation au travail des orteils agit sur le tonus musculaire de toute la moitié inférieure du corps. Elle a été étudiée par stéréophotogrammétrie. Cette méthode consiste à envoyer des faisceaux parallèles d'ombre et de lumière en couches successives, tangentes au relief musculaire dorsal. Elle met en valeur les changements de ce relief. On peut ainsi déterminer que les prismes agiraient surtout sur la partie supérieure du corps en s'amenuisant en V pour finir vers le bas de la colonne vertébrale (fig.29). En revanche, les influx plantaires agiraient sur le bas du corps sur une zone en forme de M, dont la concavité supérieure encadrerait le bas du V.

FIG.29 - Les prismes agissent sur la partie supérieure du corps jusqu'au bas de la colonne vertébrale. Les semelles influent sur la partie inférieure en encadrant le V supérieur.

La semelle dans la chaussette

     Si l'on veut que ces semelles agissent, et que la réflexion des infrarouges ne se perde pas, il faut les porter à même la peau plantaire. Ne pas hésiter à les introduire dans les chaussettes.
On les nettoie avec un coton imbibé d'alcool. Elles sont lavables aussi au lave-linge, mais jamais à une température de plus de 40°. Si elles devaient être un peu raccourcies, il faut mesurer le raccourcissement nécessaire, puis, enlever un tiers de la mesure au talon et deux tiers à la pointe. Afin qu'elles trouvent leur place, il faut souvent ajouter une pointure de plus aux chaussures, surtout pour les enfants.
Ces semelles sont toujours les mêmes. Seule change la pointure.

La rééducation posturale

     Une fois les lunettes prescrites, les semelles achetées, le sujet est muni de son matériel principal. Sous peu, il s'habitue au port et aux quelques modifications visuelles que cela entraîne. Il trouve les autres personnes plus petites. Et cela, en l'absence de diplopie. A condition de bien répondre au déficit postural, ces prismes sont fort bien supportés. En revanche, les "prismes d'allégement" inclus dans certains verres progressifs le sont beaucoup moins. Ils ont été inclus pour rendre les verres plus fins dans leur partie supérieure et faciliter le regard vers le bas en vision proximale. Une bonne partie des intolérances aux progressifs serait due à ces prismes. Il serait souvent bon de demander qu'on les supprime, ce que savent faire les fabricants (Essilor, Rodenstock).
     Le sujet va avoir à se munir de plus de persévérance pour sa rééducation posturale.

La rééducation en quatre dimensions: Debout et marche, dors, respire, lis et écris.

- Debout et marche
     Debout, à l'arrêt, il faut surveiller sa position de bas en haut. Les pieds sont mis parallèles, le pied droit légèrement en retrait. Le corps un peu en avant doit reposer plutôt sur la jambe gauche. Rentrer le ventre et avancer un peu les épaules. Les mains se rejoignent en avant. La tête droite, le menton légèrement rentré. Si vous voulez un modèle, regardez l'épouse de Ramsès II, la reine Néphertari (fig.30), ou bien allez à Abou Simbel.

FIG.30 - Nephertari: posture debout optima

     Appuyé contre un mur, mettre les 2 pieds à environ 5 à 10 cm en avant du mur, les jambes raides. Le reste du corps comme indiqué ci-dessus. Le dos assez collé au mur (fig.31).

FIG.31 - Attitude adossée à un mur: Les pieds bien parallèles sont écartés du mur d'environ 10 cm. La courbure dorsale est rectifiée. La tête est en légère flexion. Les incisives se touchent par leurs tranchants. Les mains sont croisées en avant. Dans cette attitude, on favorise la respiration ventrale.

     Pendant la marche, avancer les pieds bien parallèles (fig.32), pas de marche en canard (fig.33). Le pied doit rouler sur le sol d'arrière en avant en 3 temps: pose du talon, de la sole plantaire, puis des orteils. Les semelles refléchissantes doivent pouvoir aider ce mouvement. Mais il faut surtout que les chaussures ne se relèvent pas en avant en spatule de ski (fig.34). Sinon, les orteils ne peuvent faire leur travail. La semelle de la chaussure ne doit pas être trop élastique. Le pied doit sentir le sol.
Les enfants réapprennent à marcher assez vite. Pour les adultes, il faut qu'ils y pensent plus longtemps avant de l'acquérir spontanément.

FIG.32 - Marche les pieds bien parallèles. A préconiser. FIG.33 - Marche en canard. A proscrire FIG.34 - A supprimer: les chaussures dont l'avant rebique

- Dors
     Il faut dormir sur un matelas bien horizontal et assez dur. Éventuellement, une feuille de contreplaqué avec un léger revêtement souple de 5 cm suffit. L'oreiller passe du chevet au bas du lit. Sa fonction est de soulever les draps pour laisser les pieds libres du poids des draps et couvertures.
     Sur cette surface, 2 positions de plus grande relaxation sont à privilégier:
- Sur le dos, bien à plat, les jambes droites et les pieds bien verticaux (fig.35). L'oreiller empêche la tendance des pieds à retomber sur les côtés sous le poids des draps.

FIG.35 - Attitude de sommeil: Sur le dos, les pieds bien parallèles. L'oreiller soulève les draps et non la tête.

- la deuxième position est plus complexe. Se référer à la photo (fig.36) pour mieux comprendre. Sur le ventre, la jambe droite bien allongée et ramenée un peu en avant, le bras droit allongé en arrière le long du corps. La jambe gauche pliée fait comme un 4 avec la jambe opposée, et son coup de pied repose sur le mollet de la jambe opposée. Le bras gauche replié, la main bien à plat devant la figure. Le visage est tourné vers la gauche. Dans cette position, le regard doit voir, dans le même alignement, le coude gauche, le genou gauche et le bout du pied droit. Il ne reste plus qu'à se laisser aller, mou sur le matelas. Le bassin et les épaules s'affaissent. L'oreiller n'a plus sa raison d'être sous la tête. On pourrait prendre la même position sur le côté opposé, mais il semblerait que la circulation se fasse moins par légère compression cardiaque...

FIG.36 - Attitude de sommeil la meilleure. Elle favorise la détente musculaire.

- Respire

     Deux exercices sont recommandés pendant 5 minutes chacun, chaque jour. Le compte-minute évite la tricherie.
- Le premier se fait debout, adossé contre le mur dans la position déjà décrite plus haut. Il faut privilégier la respiration abdominale pour faire travailler le diaphragme. Il faut aussi expirer doucement l'air résiduel, celui que l'on laisse habituellement dans ses poumons en fin d'expiration. Le laisser filer entre ses incisives réunies par leurs tranchants. Cette position de la mâchoire libère le trijumeau qui passe près de l'articulation du maxillaire inférieur.
- Le second exercice respiratoire se fait couché sur le dos, après avoir mis une chaise couchée en travers du lit (fig.37). Les jambes doivent faire un peu le Z. Rentrer le ventre, le dos bien à plat. Expirer bien à fond entre les incisives et inspirer en préférant la respiration abdominale. Aider cette respiration en appuyant avec ses mains sur le haut du ventre.

FIG.37 - Attitude d'exercice respiratoire: Les jambes en Z surélevées par une chaise.

- Ecris et lis

     La norme européenne de l'assise d'une chaise est de 44 cm au-dessus du sol. Compte tenu de cela, il faut calculer un repose-pied de manière que le creux poplité décolle légèrement du plateau de la chaise; D'environ 2 doigts (fig.38). Par exemple, pour les enfants de 8 à 9 ans, le repose-pied mesure en gros 16 cm de haut. Vérifier si le siège de travail à la maison ou à l'école correspond bien à la norme. Sinon, rectifier la hauteur du repose-pied d'autant afin d'obtenir que les genoux soient légèrement plus hauts que les hanches.
Le livre, le cahier est mis sur un pupitre posé sur la table de travail de telle sorte que la lecture ou l'écriture se fasse sur un plan incliné de 30° sur l'horizontale. Ces deux aménagements deviennent encore plus utiles pour un enfant dyslexique. Il faut faire accepter ces aménagements par les enseignants. Toute maman est capable de construire en contreplaqué les repose-pieds et les pupitres pour la classe et la maison. Elle trouvera la force de persuasion pour l'imposer aussi à l'école. A vos rapporteurs, équerre et mètre de couturière, mesdames. Les papas, ne vous tapez pas sur les doigts! Et quel plaisir de voir ensuite changer le comportement de votre enfant.

FIG.38 - Attitude de lecture et d'écriture sur plan incliné à 30° sur l'horizontale. Les pieds sur un repose-pied qui soulève légèrement les genoux par rapport aux hanches. Particulièrement recommandé pour les dyslexiques.

Le suivi, les résultats

     Les lunettes sont à porter le plus souvent possible, du lever au coucher. Toutefois, il existe une certaine rémanence de l'effet des prismes qui peut aller de quelques quarts d'heure au moment des essais (attention, cela est à prendre en compte dans l'évaluation au cours de l'examen) jusqu'à plusieurs jours après un port prolongé.
     Une visite chez l'opticien pour redresser les montures est utile au bout de 6 mois. Surtout si la photocopie de la monture révèle une déformation. L'ophtalmologiste aimera dans les premiers temps revoir son patient plus vite pour apprécier les résultats. Avec plus d'expérience, il espacera les contrôles à un an.
     Bien sûr, dans la mesure du possible, pour la reprogrammation posturale, l'aide d'une conseillère permet de préciser certains détails oubliés pour la marche, la station debout, le sommeil. Elle peut vérifier si tout est bien mis en oeuvre et rappeler qu'il s'agit d'un tout où rien ne doit être abandonné.

Trois effets qui pourraient passer inaperçus

     Les progrès sont parfois immédiats sur le plan du tonus musculaire. Ainsi disparaissent vite certaines contractures. Il est remarquable que, sitôt les prismes en place, le tour de taille diminue. Le pantalon ne serre plus à la ceinture. Certaines personnes ont une impression de soulagement, de légèreté. Il est plus facile de lever les bras en l'air. Attention aux enfants dyslexiques chez qui cette sensation de bien-être inciterait facilement à ne plus faire d'effort.
     Lorsque existent des points douloureux, la pose du prisme les fait disparaître presque aussitôt. Parfois ces points sont à rechercher (fig.39). Ils sont mis en évidence à la percussion de la joue, à la palpation de la base du cou, du tiers moyen de la face dorsale de l'avant bras, du grill intercostal juste en dessous et en dehors du sein et, du côté opposé, au niveau des adducteurs de la cuisse près du creux inguinal. Il en est de même des 3 points de Hartmann; points douloureux au niveau de l'angle supéro-interne de l'orbite, de la tempe et de la nuque.

FIG.39 - Les différents points douloureux fréquents en cas de SDP.

     Cet ensemble de mesures semble aussi agir sur le système sympathique et parasympathique. Il s'ensuit une vasodilatation, visible parfois au niveau du visage, qui se recolore, encore plus évident par thermographie de la face.
     Enfin la cartographie cérébrale démontre une normalisation de l'activité neuronale. Avant le traitement, la cartographie cérébrale pour les ondes lentes delta et téta indique une asymétrie marquée entre les deux hémisphères. Il existe des zones d'hypermicrovoltage. La puissance peut monter jusqu'à 1500 à 1600 microvolts-carré. Après traitement, le voltage se normalise autour de 200 à 300 microvolts-carré.
     C'est peut-être ce qui explique cette nouvelle aptitude à la mémorisation, à l'apprentissage qui favorise les progrès des enfants dyslexiques. On peut se figurer que les inhibitions, dont l'enfant avait besoin pour neutraliser certains influx posturaux en contradiction avec d'autres, s'étendaient au-delà de cette fonction pour déborder vers d'autres fonctions cérébrales qu'ils inhibaient aussi.
     Bien sûr, on est dans le domaine des hypothèses. Il était plus aisé de trouver le chemin entre des troubles musculaires et la déficience posturale. Il fallait toute la finesse de l'observation clinique, dont ont fait preuve Martins da Cunha et Alves da Silva pour rattacher la dyslexie au SDP.
     Mais le retard qu'ont pris ces enfants oblige à restructurer tout ce qu'ils ont mal assimilé. Ce n'est pas le moment de relâcher les efforts. "Lorsque le fer est chaud, c'est alors qu'il faut le modeler", aime à dire Orlando Alves da Silva.

Et l'orthophoniste?

     Les séances d'orthophonie pour les dyslexiques, les exercices scolaires doivent continuer. Mais l'attention de l'enfant est plus soutenue, la compréhension des mécanismes grammaticaux se fait mieux, la mémorisation de l'orthographe s'améliore, l'écriture se normalise, les gestes deviennent plus précis. La représentation de son corps ( normalisation du test oeil-main) lui permet de mieux percevoir où est sa gauche et sa droite, où se situent avant et arrière, avant et après. La copie et la reproduction de mémoire de la "figure complexe de Rey" montrent une amélioration. Les progrès sont plus aisés mais ne sont pas acquis comme par magie. L'effet du comportement extra-scolaire est plus vite obtenu. Je renvoie le lecteur à l'interview d'une maman de dyslexique déjà publié plus avant.
     Quand peut-on supprimer les prismes? Pour cela, il faudrait que le patient soit capable de garder spontanément une posture correcte sans ses prismes. C'est assez rare surtout chez l'adulte.
     En pratique, un bilan annuel refait le point, modifie si nécessaire la prescription et fait le bilan des symptômes et des signes objectifs. Revérifier l'ensemble dès que le malade se sent moins bien.

FIG.40 - Vers de nouvelles découvertes: Lisbonne au temps des caravelles.

Bibliographie:

Alves da Silva O. and al.: Fusion, Visual information and Proprioceptivity. Procedings XVII Meeting of ESA Madrid 1988 J. Murube del Castillo Editor . p.89-93.
Baron J.B. Correction prismatique dans les syndrômes subjectifs post-commotionnels. Bull. Soc.Belge. Opht. 1963, 133,245.
Bérard P.V.: Proprioception et motilité oculaire. Coup d'Oeil 0pht.1994, n°48, p.26-39
Bérard P.V. et O. Alves da Silva: Les prismes posturaux. Leur utilisation en pratique quotidienne. Coup d'Oeil Opht.1994, n°53 p. 29-36
Martins da Cunha H.: Le syndrome de déficience posturale, son intérêt en ophtalmologie. Jour. Fr. d'ophtalmologie1986, 9, p;747-755.
Gagey P.M.:L'oculomotricité comme endocapteur du système postural. Agressologie 1987, 28, p.899-903.
Roll JP. et Roll R.: La proprioception extraoculaire comme élément de référence posturale et de lecture spatiale des données rétiniennes Agressologie1987, 28, 905-911.
Vital-Durand F.: Anatomie fonctionnelle des voies optiques intracraniennes. Encycl. M-Chir. Opht. 1986, 21008 A 40,4-11-04.

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