Ce texte mérite d'être comparé au texte de Vierordt, édité plus tardivement (1860/ 1862/ 1864/ 1871/ 1877). Il est évident que Vierordt connaissait le livre de Longet et s'en est largement inspiré, mais il en savait davantage sur les entrées du système postural et il s'est impliqué lui-même dans une recherche sur la station debout et il en parle, alors que Longet a fait aussi un travail sur le contrôle postural, mais il n'en parle même pas.
|
À
la suite de recherches entreprises dans le but de déterminer
la position du centre de gravité du corps de l'homme, Borelli
s'est contenté de dire un peu vaguement qu'il était
situé inter nates et pubim. Dans ces derniers temps, W.
Weber (1) a repris cette question et a traité ce point
de science avec toute l'exactitude qui caractérise ses
travaux de mécanique animale. D'après W. Weber,
le centre de gravité du corps tout entier d'un homme de
la taille de 1,669 mètre est situé à 87.7
mm au-dessus de l'axe de torsion de la hanche, ou bien à
8,7 mm au-dessus du promontoire. Cet habile expérimentateur
ne s'est pas contenté de cette première détermination;
il a aussi cherché la solution d'une autre question, fort
importante, celle de la position du centre de gravité du
tronc. Opérant toujours sur le même cadavre, il a
vu que le centre de gravité du corps, séparé
de ses deux membres inférieurs, remontait jusqu'au niveau
de l'extrémité inférieure du sternum et de
l'appendice xiphoïde.
Ainsi donc, les parties mobiles
sur les têtes des fémurs ont leur centre de gravité
situé sur une ligne droite menée de l'extrémité
supérieure à l'extrémité inférieure
du rachis, au niveau de l'appendice xiphoïde. Nous verrons
que cette position élevée du centre de gravité
du tronc, au-dessus de sa base de sustentation, doit être
prise en sérieuse considération pour la détermination
des conditions d'équilibre dans la station verticale.
Parmi
les modes très nombreux et très variés de
station que l'homme peut affecter, nous nous contenterons de faire
l'histoire de la station verticale, comme étant la plus
importante et la plus caractéristique de l'espèce
humaine. Cette station verticale elle-même, nous l'étudierons
dans deux circonstances principales: d'abord quand le corps reposant
sur les deux fémurs, son poids est transmis également
aux deux pieds appuyés sur le sol; en second lieu, quand
le poids du corps est porté sur un seul des deux membres
inférieurs, le pied du côté opposé,
quoique reposant à terre, ne servant que très peu
et même pas du tout de moyen de sustentation.
A. Station verticale à deux pieds. - Supposons l'homme
debout, les deux pieds reposant à terre, les centres des
talons écartés de l'espace qui sépare les
centres des têtes des fémurs, le genou dans l'extension,
de manière que le fémur et le tibia, placés
sur une même ligne droite, reposent verticalement sur l'astragale,
et que la ligne menée d'une extrémité à
l'autre du rachis soit verticale et passe par l'axe de mouvement
du bassin sur les fémurs. La verticale menée par
le centre de gravité du corps tombera alors au milieu de
la ligne qui passe par le centre des articulations astragalo-tibiales,
et l'équilibre sera possible.
Les charges que supporte la colonne
vertébrale, à gauche et à droite de son axe,
sont si exactement équilibrées que, en l'absence
d'une cause extérieure de déplacement, rien ne peut
troubler l'équilibre dans le sens latéral. Le tronc
peut même exécuter sur les jambes des balancements
assez étendus de gauche à droite, ou de droite à
gauche, sans que l'équilibre soit réellement compromis.
En effet, tant que la verticale menée par le centre de
gravité du corps ne tombera pas en dehors de l'une des
articulations tibio-tarsiennes, le corps reposera solidement sur
la base de sustentation. Or, supposons que le déplacement
latéral soit assez considérable pour que cette verticale
tombe précisément sur une des deux articulations
tibio-tarsiennes, le membre inférieur du côté
où le déplacement aura été exécuté
se sera tout entier incliné en dehors, puisque l'articulation
du genou ne se prête à aucune flexion latérale.
Mais, dans cette position, le tibia aura atteint la limite des
déplacements latéraux possibles sur l'astragale;
de plus l'articulation coxo-fémorale sera arrivée
à l'adduction extrême, en sorte que les dispositions
articulaires et la résistance des ligaments s'opposeront
à ce que ce mouvement de balancement aille plus loin, retiendront
le corps en équilibre dans cette situation extrême,
et rendront impossible une chute latérale. Dans ce sens
donc, les rapports des surfaces articulaires et la résistance
des ligaments suffisent pour maintenir et assurer l'équilibre,
sans recourir à la contraction musculaire.
En est-il de même dans le
sens antéro-postérieur, dans le cas que nous examinons
maintenant, c'est-à-dire lorsque le fémur se trouve
exactement dans la direction du tibia, et que les articulations
du genou et de la hanche n'ont pas atteint les limites extrêmes
de l'extension? Le centre de gravité du tronc, situé
au niveau de l'appendice xiphoïde et sur une verticale qui
coupe l'axe de rotation du bassin, est en équilibre instable
et placé très haut au-dessus de sa base de sustentation.
D'ailleurs la flexion et l'extension de l'articulation coxo-fémorale
sont très faciles, et la contraction musculaire peut seule
empêcher le tronc, légèrement ébranlé,
de tomber en avant ou en arrière. Ce que nous venons de
dire de l'articulation de la hanche s'applique exactement aux
articulations tibio-tarsienne et tibio-fémorale. Cette
position serait donc très précaire et extrêmement
fatigante, puisque ce serait seulement au moyen de contractions
musculaires continuelles que le corps pourrait être maintenu
et ramené dans sa position primitive.
Mais que le tronc soit rejeté
légèrement en arrière, les articulations
du genou et de la hanche étant placées dans leur
état d'extension extrême, et cette modification suffira
pour rendre la position verticale beaucoup plus stable dans le
plan antéro-postérieur et beaucoup moins fatigante
à maintenir, sans d'ailleurs altérer ses conditions
de solidité dans le sens latéral.
Alors, en effet, la verticale passant
par le centre de gravité du tronc placé au niveau
de l'appendice xiphoïde tombera un peu en arrière
de l'axe de rotation du bassin sur les têtes des fémurs.
Le poids du corps tendra donc à accroître l'extension
de l'articulation coxo-fémorale et à faire basculer
le bassin en arrière, mouvement rendu impossible par la
résistance du ligament supérieur et de la bandelette
iléo-trochantéro-tibiale. Quant à la chute
du tronc en avant, elle ne pourrait se faire sans déterminer
préalablement une légère ascension de son
centre de gravité, et celle circonstance suffit seule pour
l'empêcher. L'équilibre du tronc sur les articulations
coxo-fémorales est donc assuré indépendamment
de toute contraction musculaire.
Dans cette situation, la verticale
menée par le centre de gravité du corps tombera
toujours sur le milieu de l'axe de rotation des deux articulations
tibio-tarsiennes, mais elle passera un peu en avant des articulations
tibio-fémorales. Par rapport aux articulations du genou,
considérées comme base de sustentation, le corps
a donc une seule tendance très marquée, celle d'une
chute en avant, mais ce mouvement n'est plus possible, car l'extension
de ces deux articulations est parvenue à ses dernières
limites, et la grande résistance de l'appareil ligamenteux
suffit pour assurer et maintenir l'équilibre.
Tant que ne surviendra pas une cause
extérieure notable de déplacement, le corps sera
donc retenu en équilibre sur les articulations de la hanche
et du genou, sans fatigue musculaire et par le seul effet de la
tension de l'appareil ligamenteux. Mais le poids tout entier est
transmis aux articulations tibio-tarsiennes. Ici le renversement
est possible et facile dans le plan antéro-postérieur.
Les ligaments de cette articulation ne peuvent s'opposer ni à
la flexion ni à l'extension, et une fois l'équilibre
rompu en avant et surtout en arrière, la verticale passant
par le centre de gravité serait bientôt entraînée,
par la continuation du mouvement, en dehors de la base de sustentation,
et la chute aurait lieu. Les puissances
musculaires peuvent seules, par leur action, prévenir ces
déplacements, les limiter ou les corriger quand ils sont
déjà commencés. Ainsi, dans la station verticale
sur deux pieds, l'équilibre de la tête sur la colonne
vertébrale est assuré par le jeu des muscles de
la région cervicale; les vertèbres sont retenues
dans leur position relative par l'élasticité des
disques intervertébraux et des ligaments jaunes, et aussi
par l'action des muscles du dos. Le rachis est ramené ainsi
à la condition d'une verge inflexible appuyée sur
le sacrum. Dès lors le tronc étant légèrement
porté en arrière, et les articulations de la hanche
et du genou ramenées à l'extension extrême,
la résistance de l'appareil ligamenteux suffit pour assurer
l'équilibre du tronc sur les cuisses, et des cuisses sur
les jambes. Le seul axe de rotation autour duquel la chute du
corps soit possible est donc celui des articulations tibio-tarsiennes.
Là, en effet, ni les surfaces articulaires ni les ligaments
ne sont disposés pour s'opposer à une chute du corps
en avant ou en arrière. Or, de la situation très
élevée du centre de gravité du corps au-dessus
de ces articulations, il résulte que tout déplacement
détermine un abaissement de ce centre de gravité,
et que, par suite, tout déplacement commencé tend
par lui-même à continuer, jusqu'à ce que le
corps soit ramené à la position horizontale. L'équilibre
du corps sur les pieds est donc instable; la contraction musculaire
peut seule l'assurer, et c'est dans ce but que la jambe se trouve
pourvue de muscles si nombreux et si puissants.
B. Station verticale naturelle, sur un pied. - Dans ce
genre de station, l'homme est, comme on dit vulgairement, en position
hanchée. Pour fixer les idées, supposons-le
appuyé sur le membre droit, ce qui, d'ailleurs, est le
cas le plus commun. Le pied droit est fortement appuyé
à terre, l'articulation du genou en extension extrême,
l'articulation de la hanche ramenée à l'adduction
et à l'extension extrême. Le corps est légèrement
penché à droite et en arrière; le membre
inférieur gauche reporté un peu en avant, sensiblement
fléchi sur les articulations de la hanche et du genou,
repose sur le pied légèrement appuyé à
terre. Le poids du corps porte donc à peu près complètement
et exclusivement sur le membre inférieur droit. D'ailleurs,
la verticale passant par le centre de gravité du tronc
tombe un peu en arrière de l'articulation coxo-fémorale
droite, et la verticale menée par le centre de gravité
du corps passe un peu en avant de l'articulation du genou droit
et tombe sur l'articulation tibio-tarsienne du même côté.
Dans le sens latéral, le
déplacement est impossible à droite, parce que les
trois articulations du membre inférieur ne permettent aucun
mouvement de ce genre. À gauche, l'équilibre pourrait
être rompu autour de l'articulation coxo-fémorale
surtout, mais le membre inférieur gauche, bien que reposant
à peu près librement à terre, offre une résistance
suffisante pour s'opposer à toute chute de ce côté.
Ce que nous avons dit de la disposition
des centres de gravité du tronc et du corps entier, par
rapport au membre inférieur droit, indique suffisamment
que, dans le plan antéro-postérieur, l'équilibre
est assuré autour de l'articulation du genou et de la hanche,
par le même mécanisme que nous avons exposé
dans la station verticale sur deux pieds. C'est donc seulement
autour de l'articulation tibio-tarsienne que le corps peut être
entraîné à tomber en avant ou en arrière,
et que la contraction musculaire doit intervenir activement pour
prévenir et empêcher une chute. Mais, sous ce rapport,
le mode de station dont il s'agit a sur le précédent
un avantage considérable et qui explique pourquoi il peut
être prolongé plus longtemps et avec moins de fatigue,
pourquoi même après une longue station sur deux pieds,
il y a soulagement véritable à passer à la
station hanchée sur un seul pied.
Quel que soit, en effet, le genre
de station verticale adoptée, la tendance marquée
du corps est la chute en avant autour des articulations tibio-tarsiennes.
Or, dans la station sur les deux pieds, les puissants muscles
du mollet peuvent seuls s'opposer à ce déplacement,
ils sont nécessairement en contraction presque permanente
et de cette continuité d'action résulte une fatigue
réelle, considérable, inévitable. Au contraire,
dans la station sur un pied, le membre inférieur opposé
à celui qui supporte le poids est légèrement
fléchi et repose à terre dans un plan antérieur.
Dans tout déplacement en avant, le corps tombe donc sur
ce membre à peu près inactif; et ce membre légèrement
fléchi fait l'effet d'un véritable arc-boutant,
résiste à cette pression du corps, le maintient
dans sa position et même l'y ramène au besoin par
une légère contraction musculaire. Cette résistance
vient en aide à l'action des muscles du mollet, les soulage
en les dispensant d'une contraction aussi persistante et aussi
active, et, par cela même, diminue considérablement
la fatigue inséparable de la station verticale.
(1) Consultez:
AQUAPENDENTE (d') Fabrice, De gressu,
p. 332; De Volatu, p. 372; De natatu, p. 377; De reptatu, p. 379.
Dans Op. omn. anat. et physiol., in-4. Leyde, 1738.
BARTHEZ, Nouvelle mécanique des mouvements de l'homme et
des animaux, Carcassone, 1798, in-4
BORELLI, De motu animalium, La Haye, 1743, in-4.
CHABRIER, Essai sur le vol des insectes, Dans Mém. du Muséum
d'Hist. Nat., t. VI, VII, VIII.
CHABRIER, Mém. sur les mouvements progressifs de l'homme
et des animaux. Dans Journal des progrès des sciences médicales.
t.X, XI, XII.
COMPARETTI, Dynamique animale des insectes (en italien), in-8,
Padoue , 1800.
FUSS, dans Nov. act. Soc. sc. Petrop, XV, 180690
GERDY, Physiol. Médic. t.I, 2ième partie, Paris,
1832.
GERDY, Sur le mécanisme de la marche de l'homme, Dans Journ.
de physiol. expérim., 1829, t.IX, p.1.
HORNER, dans GEHLER Physik. Wrterbuch, t.IV, p. 477
HUBER (de Genève), Observ. sur le vol des oiseaux de proie,
in-4. Genève, 1784.
MAISSIAT, Étude de physique animale, avec trois planches
et une tab., in-4, Paris, 1843
RICHERAND, dans les mém. de la Soc. Méd. d'émul.,
t.III, p.161, an VIII.
ROULIN, Recherches théoriques et expérim. sur le
mécanisme des mouvements et des attitudes de l'homme, dans
Journ. de physiol. expérim., t.1, p. 209, 301; t.2, p.
45, 156, 283. Même Rec., t. VI, p. 14.
SILBERSCHLAG, dans: Schriften der Berl. Gesellschaft. Naturf,
Freunde, 1784, Tome III.
TREVIRANUS, dans Zeitschrift für Physiol., t.IV, p. 87
WEBER E & Wilh., Mechanik der Menschlichen etc., Gttingue,
1836.
WEBER E & Wilh., Traité de la mécanique des
organes de la locomotion, trad. par Jourdan, avec atlas, Paris
1843.
WEISS Emm., Sur le mouvementprogressif de quelques reptiles. In
Act. soc. helvel., t. III, p. 373-390.