Le test des phories verticales «labiles» repère typologique au cours des syndromes douloureux chroniques
Eric MATHERON*, Patrick QUERCIA** et France MOUREY*
*INSERM-ERM 207, Université de Bourgogne, CHU Champmaillot, Dijon, France.
**Service dOphtalmologie, CHU de Dijon, Dijon.
Introduction
La possibilité de faire disparaître immédiatement une hétérophorie verticale par certaines manuvres kinésithérapiques constitue un repère précieux dans la prise en charge des syndromes douloureux chroniques, car elle permet de distinguer différents «types» de patients, à traiter par des techniques différentes, adaptées à leur type (Matheron et al., 2005). Lorsquune certaine manuvre est susceptible de faire disparaître immédiatement une hétérophorie verticale, alors elle oriente le traitement du patient dans une direction précise qui se révèle particulièrement efficace non seulement pour réduire lhétérophorie, mais surtout pour réduire son syndrome douloureux.
Soutenir une proposition aussi nouvelle demande que soient développés des arguments non seulement sur lefficacité de ce test des phories verticales «labiles» les traitements quil indique sont-ils vraiment supérieurs aux autres? mais aussi sur la validité de ce test nouveau la «fragilité» de cette hétérophorie verticale est-elle bien en rapport avec la manuvre incriminée et non spontanée, aléatoire?
Par ailleurs, la proposition peut paraître non seulement nouvelle mais aussi choquante dans la mesure où elle nest pas immédiatement inscrite dans un cadre rationnel cohérent : quel rapport entre les syndromes douloureux chroniques et lhétérophorie verticale ? Il sera donc nécessaire de discuter de la place des hétérophories verticales dans la régulation de lactivité tonique posturale et de limportance de cette régulation dans la genèse de certains syndromes douloureux chroniques.
Matériel et Méthodes
Recherche de lhétérophorie
La recherche de lhétérophorie verticale (Amos & Rutstein, 1987) a été pratiquée à laide de la baguette de Maddox, en espace libre (Schroeder et al., 1996 ;Lyon et al., 2005 ; Casillas Casillas & Rosenfield, 2006), sans évaluation de limportance des phories. Il sagit donc ici dune évaluation subjective, qualitative : y a-t-il orthophorie verticale stricte ou non ?
Matériel
La baguette de Maddox utilisée comporte 17 dioptres cylindriques biconvexes, rouges sombres (Scobee, 1951), de même et très faible rayon de courbure, parallèles ; lensemble en forme de disque est monté sur un manche.
La source lumineuse est une ampoule électrique à incandescence, émettant environ 30 lumens.
Protocole
Chaque détail du protocole de mise en évidence de lhétérophorie verticale est le fruit dun travail de recherche sur la répétabilité du test entre plusieurs cliniciens. Ce protocole a été rigoureusement suivi.
Le patient est debout, au repos, pieds en position naturelle, bras le long du corps, plan de Francfort horizontal. Linclinaison latérale habituelle de la tête nest pas corrigée.
La source lumineuse est placée à 5 mètres du sujet, à la hauteur de ses yeux, hauteur ajustée à chaque patient en mesurant au mètre ruban la distance de ses yeux au sol. Le test est réalisé dans une pièce sombre sans quaucune autre source lumineuse ne vienne interférer en formant une ligne lumineuse parasite à travers la baguette.
Le clinicien tient la baguette de Maddox devant un il du patient, choisi au hasard, puis, après un temps de vision binoculaire normale, devant lautre il, tel que suggéré par Van Noorden (1996) ; laxe des dioptres cylindriques est tenu le plus près possible de la verticale. Il demande au patient de regarder la source lumineuse, droit devant.
Le patient voit alors deux images dissociées de la source lumineuse : un trait horizontal rouge à travers la baguette de Maddox et un point lumineux incolore en vision directe. Il doit indiquer sil voit la ligne rouge exactement sur le point lumineux (Orthophorie verticale), décalée vers le haut ou vers le bas (Hétérophorie verticale).
Ce test simple apparaît comme lun des plus intéressants à la disposition des cliniciens pour la mise en évidence de petites déviations verticales (Daum, 1991 ; Wong et al., 2002 ; Casillas Casillas & Rosenfield, 2006)
Reproductibilité du test des phories verticales
Cinq expérimentateurs ont participé à létude de la répétabilité du test de recherche dune hétérophorie verticale à laide de la baguette de Maddox. Ils ont été choisis dans des secteurs différents dactivité (1 ophtalmologiste, 3 kinésithérapeutes, 1 sage-femme). Le protocole sest déroulé par binômes. Chacun des expérimentateurs, à tour de rôle et de manière aléatoire, réalisait le test dont le résultat était gardé secret jusquau dépouillement final. Les différences entre les réponses obtenues par les deux expérimentateurs furent gommées à partir du moment où la cible lumineuse a été à la hauteur des yeux, lhorizontalité du plan de Francfort a été respectée, et la ligne vue par les sujets a été parfaitement horizontale
Une dernière série de 80 mesures faites par 2 expérimentateurs sur 20 sujets différents a permis alors détablir les scores définitifs de répétabilité du test intra- et inter-expérimentateurs.
Sujets
Quarante patients, entre 15 et 79 ans (âge moyen 43 ans), 29 femmes et 11 hommes (tableau I), souffrant dun syndrome douloureux chronique depuis plus de six mois, ont été sélectionnés parce quils présentaient aussi une hétérophorie verticale à la baguette de Maddox, en vision de loin.
Ils ont donné leur consentement éclairé pour participer à lexpérience.
Typologie des patients douloureux chroniques déterminée par le test dhétérophorie verticale labile.
A laide du test dhétérophorie verticale labile sont, ici, déterminés quatre types de patients douloureux chroniques caractérisés par la disparition immédiate ou non de lhétérophorie verticale après une manuvre minime pratiquée sur lune des régions suivantes (Matheron, 2000):
- Bassin
- Oropharynx
- Mandibule
Ce qui nous permet de distinguer
- le type «Bassin»,
- Le type «Oropharynx»
- le type «Mandibule»
- Le type «Autres»
Les patients du type «Autres» dont aucune manuvre narrivait à faire disparaître immédiatement lhétérophorie verticale, nont pas été inclus dans lexpérience.
Les manuvres utilisées pour chercher à faire disparaître lhétérophorie verticale sont :
Au niveau du bassin
La contraction isométrique des muscles fessiers capable de réduire lasymétrie de position des branches pubiennes. Cette manuvre nest donc pratiquée quen cas de détection dune malposition du bassin.
Patient en décubitus. Après avoir palpé la hauteur relative des branches pubiennes au niveau de la symphyse, on place en flexion maximum non douloureuse, la cuisse sur le bassin et la jambe sur la cuisse, du côté où la branche pubienne est la plus basse. Le clinicien pose alors son buste sur le genou fléchi et une main sur le genou controlatéral. Il soppose alors simultanément à lextension de la cuisse sur le bassin et à la flexion du segment crural controlatéral, commandées au patient en contraction musculaire forte, sans douleur et prolongée pendant au moins six secondes. Cette manuvre est répétée trois fois.
Au niveau de lOropharynx
La perturbation de la coordination de contraction de lensemble des muscles qui participent au mouvement de déglutition.
Patient debout. Il place la partie antérieure de sa langue entre ses incisives, la pince pour la maintenir dans cette position et effectue une série de trois mouvements de déglutition, pendant que le clinicien vérifie à la palpation les mouvements associés de los hyoïde.
Au niveau de la mandibule
La perturbation de la posture mandibulaire docclusion.
Lengrènement des cuspides dentaires est interdit par linterposition entre les arcades dun rouleau salivaire de 3 millimètres dépaisseur, placé dabord bilatéralement puis, éventuellement, unilatéralement, si la manuvre en position bilatérale est inefficace.
Kinésithérapie proprioceptive spécifique
La disparition immédiate de lhétérophorie verticale à la suite de lune ou lautre de ces manuvres mineures attire lattention sur la puissance de réaction, chez ce patient, du niveau où cette manuvre a été pratiquée; ce qui invite à traiter dabord ce niveau spécifié par la disparition de lhétérophorie verticale. Cest cela que nous nommons : «la Kinésithérapie proprioceptive spécifique».
Les manuvres thérapeutiques que nous utilisons nont rien de particulier et rien ne nous permet de supposer que dautres manuvres de Kinésithérapie proprioceptive, dostéopathie, de chiropractie ou autres techniques manuelles soient plus ou moins efficaces que celles que nous utilisons.
Ce qui caractérise la «Kinésithérapie proprioceptive spécifique» est donc uniquement le fait que nous traitons dabord la ou les région(s) spécifiée(s) par la disparition de lhétérophorie verticale.
Efficacité du test dhétérophorie verticale labile.
Le groupe des 40 patients présentant une hétérophorie verticale labile a été partagé par tirage au sort en deux sous-groupes de 20 patients, au sein desquels la répartition en âge et en sexe nest pas statistiquement différente (tableau I).
Femmes
|
Femmes
|
Hommes
|
Hommes
|
Total
|
|
Classes dâge |
1
|
2
|
1
|
2
|
|
KPS |
5
|
9
|
1
|
5
|
20
|
TS |
4
|
11
|
1
|
4
|
20
|
Total |
9
|
20
|
2
|
9
|
40
|
TAB I Tableau de contingence de la répartition des effectifs des groupes KPS et TS, selon le sexe et lâge.
1 : Âge en dessous de la moyenne ; 2 : Âge moyen et au-dessus.
Il nexiste pas de différences statistiquement significatives entre les deux populations, selon le sexe et lâge (Chi2 = 0,42 ; ns).
Les patients dun de ces sous-groupes, nommé KPS, ont été pris en charge immédiatement selon les indications données par le test dhétérophorie verticale labile ; chaque patient a subi, sur deux semaines, trois séances de kinésithérapie proprioceptive, spécifique au type de patients auquel il appartenait. Cette kinésithérapie proprioceptive spécifique était associée à une kinésithérapie non spécifique.
Les patients de lautre groupe, nommé TS, ont été pris en charge pendant les deux premières semaines par un traitement de kinésithérapie non spécifique uniquement, répartie de même sur trois séances.
Au 14ième jour, les patients des deux groupes ont été réévalués, douleurs et phories verticales.
Puis, pendant les 11 jours suivants les patients du groupe TS ont été pris en charge à nouveau, mais alors selon les indications données par le test dhétérophorie verticale labile ; chaque patient a subi trois séances de kinésithérapie proprioceptive, spécifique au type de patients auquel il appartenait. Au 25ième jour, ils ont été réévalués, douleurs et phories verticales.
Évaluation de la douleur
Limportance de la douleur a été évaluée par léchelle analogique EVA (Huskisson, 1974).
Analyses statistiques
Un test du Chi2 a été pratiqué sur les tableaux de contingence. Le niveau de signification exigé était de p < 0,05.
Résultats
Distribution des «types» de patients
Type |
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
Cohorte KPS |
0
|
6
|
10
|
2
|
1
|
1
|
Cohorte TS |
0
|
6
|
10
|
1
|
1
|
2
|
TAB. II Distribution des types de patient observés dans chacune des cohortes.
1 : Type «Oropharynx» ; 2 : Type «Bassin» ; 3 : Type «Mandibule» ; 4 : Type mixte «Bassin-Mandibule» ; 5 : Type mixte «Bassin-Oropharynx» ; 6 : Type mixte «Mandibule-Oropharynx»
Il nexiste pas de différences statistiquement significatives entre les deux populations étudiées selon la distribution des différents types (Chi2=0,64 ; ns).Type 1 2 3 4 5 6
Cohorte KPS 0 6 10 2 1 1
Cohorte TS 0 6 10 1 1 2
Reproductibilité du test des phories verticales
Lévaluation qualitative des phories verticales par la baguette de Maddox a montré que leur détermination est strictement reproductible à 100% dans les conditions du protocole utilisé, entre divers examens du même clinicien et entre les examens de divers cliniciens.
Chez tous les patients du groupe TS, on retrouve exactement la même hétérophorie verticale, inchangée après 15 jours de traitement par kinésithérapie ordinaire, non orientée spécifiquement vers les zones à traiter en priorité selon la typologie à laquelle appartient le patient.
Évaluation de lHétérophorie verticale
À J14
Au quatorzième jour de lexpérience, seul le groupe KPS, traité par une kinésithérapie spécifique à chaque type de patient, présente une réduction du nombre de patients présentant une hétérophorie verticale (tab. III) ;.
OV
|
HV
|
Total
|
|
Cohorte KPS |
15
|
5
|
20
|
Cohorte TS |
0
|
20
|
20
|
Total |
15
|
25
|
40
|
TAB III Tableau de contingence des hétérophories verticales dans chacune des cohortes à J14
Au quatorzième jour, les sujets du groupe KPS présentent une diminution statistiquement très significative des hyperphories verticales, par rapport aux sujets du groupe TS (Chi2 = 24; p<0,001)
À J25
Au vingt-cinquième jour de lexpérience, le groupe TS, alors traité par une kinésithérapie spécifique à chaque type de patient, présente une réduction statistiquement très significative de lincidence de lhétérophorie verticale (tab. IV) ;
OV
|
HV
|
Total
|
|
J 14 |
0
|
20
|
20
|
J 25 |
16
|
4
|
20
|
Total |
16
|
24
|
40
|
OV HV total
J 14 0 20 20
J 25 16 4 20
Total 20 20 40
TAB IV Tableau de contingence des phories, à J14 et J25, dans la cohorte TS (Avant et après son traitement par kinésithérapie proprioceptive spécifique).
Au vingt-cinquième jour, les sujets du groupe TS présentent une diminution statistiquement très significative des hyperphories verticales, par rapport au quatorzième jour (Chi2 = 26.67; p<0,001).
Évaluation de la douleur
À JØ
Au départ de lexpérience les notes dautoévaluation de la douleur donnée par les sujets des cohortes KPS et TS ne sont pas statistiquement différentes (tab V)
Degrés de léchelle | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Cohorte KPS | 0 | 0 | 0 | 1 | 3 | 2 | 7 | 4 | 3 | 1 |
Cohorte TS | 0 | 0 | 0 | 2 | 3 | 2 | 2 | 7 | 3 | 1 |
Degrés de léchelle 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Cohorte KPS 0 0 0 1 3 2 7 4 3 1
Cohorte TS 0 0 0 2 3 2 2 7 3 1
TAB V Tableau de contingence des notes dautoévaluation de la douleur données par les sujets des cohortes KPS et TS à JØ. (Échelle EVA)
Chi2 = 3,91; ns.
À J14
Au quatorzième jour de lexpérience, les notes dautoévaluation de la douleur données par les sujets des cohortes KPS et TS sont statistiquement très différentes (tab. IV) ; A cette date, seul le groupe KPS a été traité par une kinésithérapie spécifique à chaque type de patient.
Degrés de léchelle | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Cohorte KPS | 6 | 5 | 5 | 0 | 1 | 2 | 1 | 0 | 0 | 0 |
Cohorte TS | 0 | 0 | 0 | 2 | 3 | 4 | 6 | 4 | 1 | 0 |
Degrés de léchelle 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Cohorte KPS 6 5 5 0 1 2 1 0 0 0
Cohorte TS 0 0 0 2 3 4 6 4 1 0
TAB IV Tableau de contingence des notes dautoévaluation de la douleur données par les sujets des cohortes KPS et TS à J14. (Échelle EVA)
Chi2 = 28,24; p<0,001
À J25
Au vingt-cinquième jour de lexpérience, le groupe TS, alors traité par une kinésithérapie spécifique à chaque type de patient, présente une réduction statistiquement très significative des notes dautoévaluation de la douleur (tab. V).
Degrés de léchelle | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
J 14 | 0 | 0 | 0 | 2 | 3 | 4 | 6 | 4 | 1 | 0 |
J25 | 6 | 2 | 6 | 4 | 1 | 1 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Degrés de léchelle 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
J14 0 0 0 2 3 4 6 4 1 0
J25 6 2 6 4 1 1 0 0 0 0
TAB V Tableau de contingence des notes dautoévaluation de la douleur données par les sujets des cohortes TS aux temps J14 et J25. (Échelle EVA)
Chi2 = 28,47; p<0,001
Discussion
Discussion des résultats
Les résultats confirment lhypothèse de travail : la disparition immédiate dune hétérophorie verticale par certaines manuvres de kinésithérapie constitue un repère typologique efficace dans la mesure où elle oriente le traitement de certains syndromes douloureux chroniques vers des gestes spécifiques qui se révèlent plus efficaces que dautres non seulement pour corriger lhétérophorie verticale.
Et cette «fragilité» de lhétérophorie verticale ne dépend pas de facteurs personnels incontrôlés du thérapeute dans la recherche de lhétérophorie, elle est retrouvée identique par des thérapeutes différents à condition quils utilisent la même technique.
Ces résultats étonnants posent encore plus explicitement la question : quel rapport y a-t-il donc entre les syndromes douloureux chroniques et lhétérophorie verticale ?
La place des hétérophories verticales labiles dans la régulation de lactivité tonique posturale
Lhétérophorie verticale labile participe au cadre général des asymétries de la posture orthostatique dont elle manifeste toutes les propriétés. Il sagit de phénomènes asymétriques, labiles et toniques (Kertesz, 1983 ; Kapoula et al., 1996 ; Van Noorden, 1996) dont les déterminants sont inconnus.
Phénomène tonique de déterminants inconnus
Lhomme debout au repos stabilise la position de son centre de gravité au voisinage dune position moyenne par une série de mécanismes physiologiques qui commencent à être connus. Mais on ignore complètement ce qui détermine cette position moyenne du centre de gravité. On admet bien sûr quil sagit dun phénomène tonique puisque lactivité musculaire en jeu ne saccompagne pas de mouvements. On sait que cette position est déterminée dune manière systématique, car dune mesure à lautre à des heures et des semaines de distance, cette position varie dans les limites dun intervalle de confiance de quelques millimètres détendue (AFP, 1985 ; Gagey & Weber, 2004). Mais on ignore les déterminants de cette position, on a seulement quelques raisons de penser quils sont centraux (Kluzik et al., 2007).
.
Selon Javal (1868) lorsque les yeux sont libérés de la contrainte du réflexe optomoteur de fusion, les centres de régulation du tonus oculomoteur contrôlent la position des globes oculaires indépendamment lun de lautre. Cette interprétation des phénomènes peut être discutée, par contre il est absolument sûr quon ignore les déterminants de cette position.
Phénomène asymétrique labile
Lorsquon examine le corps dun homme debout au repos, on découvre quantité de petites asymétries, si minimes parfois quil faut prendre des précautions pour les observer. Ces asymétries peuvent avoir des causes variées (Marignan, 1997) ; certaines sont anatomiques en rapport par exemple avec les séquelles dun accident, ou un problème de croissance ou tout autre cause anatomique. De ces asymétries anatomiques, on ne sattend pas à ce quelles soient labiles : rien ne peut les faire disparaître dun instant à lautre. Dautres asymétries sont réputées en rapport avec les comportements moteurs latéralisés ; ces asymétries de latéralité ne sont pas davantage labiles, on ne peut pas les faire disparaître immédiatement.
Il nen est pas de même des asymétries toniques de la posture orthostatique.
Les premiers travaux cliniques qui se sont intéressés à ces asymétries de la posture orthostatique, sur le sujet normal, ont dabord montré quelles nétaient pas aléatoires (Gagey et al., 1977), quil était parfois possible de mettre en évidence leur corrélation à une asymétrie de lactivité EMG (Gentaz et al., 1979). Cet aspect systématique, organisé, des asymétries de la posture orthostatique est confirmé par leur caractère labile qui non seulement permet de les contre-distinguer aisément des asymétries anatomiques ou de latéralité, mais encore souligne leur nature tonique posturale car on arrive à les faire disparaître immédiatement par une manipulation dune entrée du système postural (Gagey et Weber, 1995; 2004).
Les hétérophories verticales «labiles» possèdent certaines propriétés des asymétries toniques de la posture orthostatique. Il sagit évidemment dune asymétrie, lil droit et lil gauche ne se comportent pas de la même manière (Kertesz, 1983 ; Kapoula et al., 1996 ; Van Noorden, 1996). Cette asymétrie est vraisemblablement dorigine tonique. Cette asymétrie enfin est labile, ce qui tend à confirmer son origine tonique. Mais, il na pas encore été montré, à notre connaissance, que ces hétérophories verticales labiles entretiennent des relations systématisées avec la régulation de lactivité tonique posturale générale ;. Cest une hypothèse tacite de la recherche présentée dans cet article, suscitée par les travaux de Roll (1988) : pour autant que lintégration de lespace visuel est concerné, tout muscle locomoteur est oculomoteur dans la mesure où effectivement il mobilise les yeux dans leur environnement.
Régulation de lactivité tonique posturale et syndromes douloureux chroniques.
Lorsquon observe les asymétries toniques posturales dune population, on constate quelles ne sont pas toutes de même importance chez tous les sujets de cette population, mais que limportance de chaque asymétrie se distribue aléatoirement dans la population autour dune valeur moyenne (Gagey et al., 1973; Weber et al., 1984 ; Lamarche et Rémy, 1995 ; Nahmani et al., 2003 ; Jaïs & Weber, 2003). Cette approche statistique des asymétries toniques posturales permet dobserver lexistence chez certains sujets dasymétries «anormales».
Il nest pas prouvé, à notre connaissance, que ces asymétries toniques posturales anormales puissent être la cause de syndromes douloureux. Mais par contre lexistence dune corrélation entre régression de syndrome douloureux et régression dasymétries toniques posturales anormales est régulièrement observée en pratique clinique (Gagey & Weber, 2004).
Lobservation de cette corrélation entre syndrome douloureux et asymétrie tonique posturale suggère lhypothèse que lasymétrie tonique anormale peut engendrer des contraintes anormales au niveau des articulations. Il est certain que la trajectoire du mouvement des pièces squelettiques autour dune articulation est dirigée par des facteurs indépendants : la géométrie des surfaces articulaires qui impose la série des centres instantanés de rotation, le torseur des forces dues à la mise en tension des ligaments et le torseur des forces dues à lactivité musculaire (Tardy, 2005). Lindépendance de ces facteurs est certaine, elle interdit de penser quils soient toujours nécessairement congruents. Et le facteur le plus labile de cette mécanique articulaire est à lévidence lactivité musculaire.
S i lasymétrie tonique posturale anormale engendre des contraintes anormales au niveau des articulations, alors il ny a plus dincohérence logique à évoquer lexistence de possibles relations systématiques entre hétérophorie verticale et syndromes douloureux chroniques.
Or lexistence dune relation systématisée entre lhétérophorie verticale labile et des syndromes douloureux chroniques est bien fortement désignée, sinon prouvée, par ce travail.
Intérêt de lapproche typologique des patients douloureux chroniques
Généralement, le médecin, en ne sait pas où est la lésion du patient douloureux chronique, il ne sait même pas s'il y en a une... Il est donc inéluctablement confronté à l'obstacle de ce sophisme: «Je sais où cela est, donc je sais que cela est, et ce que c'est.» (Bachelard, 1938) Comme la souffrance du patient ne renvoie à aucun "quelque part", elle risque bien d'être questionnée, surtout si rien dans son cours ne paraît susceptible de faire l'objet d'interprétation, donc d'avoir du sens, de pouvoir être pensé comme du psychique.
Que si, par hasard, le médecin "croît" à la réalité objective de ce syndrome douloureux chronique parce que tous ceux qui en souffrent disent la même chose (Marie, 1916), l'objectivité de cette maladie n'est alors soutenue par aucune lésion, mais seulement par l'intersubjectivité des patients, et elle laisse le clinicien totalement désarmé. Il n'a plus de "diagnostics" anatomo-cliniques pour structurer sa démarche intellectuelle, mais seulement des "noms" pour nommer divers aspects du syndrome.
Dans un tel univers déstructuré où le médecin ne se reconnaît aucun droit à refuser tous les symptômes apportés par le patient et ne peut donc que colliger un ensemble informe de symptômes (Da Cunha, 1979) on voit réapparaître depuis quelques années, à propos des "patients fonctionnels posturaux", une procédure intellectuelle d'ordre typologique, orientée par la nécessité thérapeutique (Alves Da Silva et al., 1987). Le thérapeute s'appuie sur des signes physiques qui lui servent de critères pour classer le patient dans tel ou tel "type" dont il sait/constate qu'il réagit assez bien à tel traitement (Élie, 2001). Cette démarche apparaît intellectuellement bien pauvre au regard de l'éclatante richesse des diagnostics anatomo-cliniques; elle ne doit pas pour autant être méprisée car au moins elle instaure des premiers liens structurants dans un monde dépourvu de structure.
À partir de critères d'asymétries toniques posturales, se développe toute une série de typologies des patients douloureux chroniques qui font directement progresser nos connaissances fondamentales sur le système postural car, toutes, elles soulignent la présence du "Phénomène Papillon" de Poincaré-Lorenz (Poincaré, 1908; Lorenz, 1972) considéré comme caractéristique des systèmes dynamiques non linéaires. Des processus morbides sont stoppés par des manipulations tout à fait mineures, sans aucune commune mesure avec l'importance et la durée des processus qu'elles guérissent (Moro, 2006).
Remerciements:
Aux Professeurs Pierre Pffitzenmeyer et Thierry Pozzo pour leur soutien et au docteur Pierre-Marie Gagey pour sa générosité, sa disponibilité et ses précieux conseils
Bibliographie
Alves Da Silva O., Mendes A., Pinhal F., Martins Da Cunha H. (1987) A new aspect of convergence insufficiency orthoptic training by improvement of postural deficiency syndrome - P.D.S - Journal Français d'Orthoptique,19, 157-162.
Amos, J.F., Rutstein, R.P. (1987) Vertical deviation. In: Amos, J.F. (Ed) Diagnosis and management in vision care. Butterworts, pp 515-583.
Bachelard G. (1938) La formation de l'esprit scientifique, PUF, Paris.
Casillas Casillas E., Rosenfield M. (2006) Comparison of subjective heterophoria testing with a phoropter and trial frame. Optom Vis Sci, 83 (4) : 237-241.
Da Cunha H.M. (1979) Syndrome de Déficience Posturale, In: Actualité en rééducation fonctionnelle et en réadaptation, 4° série Masson, Paris, 27-31.
Daum, K.M. (1991). Heterophoria and heterotropia. In: J.B. Eskridge, F.J. Amos, & J.D. Barlett (Eds.), Clinical procedures in optometry (pp. 72-90). Philadelphia: J.B. Lippincott Compagny.
Elie G. (2001) Le système proprioceptif, pour mieux le comprendre. Réalités ophtalmologiques, n° 85: 44-47.
Elie G. (2001) La clinique du syndrome de déficience posturale de Martins da Cunha. Réalités ophtalmologiques, n° 86: 28-32.
Elie G. (2001) Le traitement du syndrome de déficience posturale. Première partie. Réalités ophtalmologiques, n° 87: 44-47.
Elie G. (2001) Le traitement du syndrome de déficience posturale, Deuxième partie. Réalités Ophtalmologiques, n°88: 40-45.
Gagey P.M., Baron J.B., Lespargot J., Poli J.P. (1973) Variations de lactivité tonique posturale et activité des muscles oculocéphalogyres en cathédrostatisme. Agressologie, 14, B: 87-96.
Gagey P.M., Asselain B., Ushio N., Baron J.B. (1977) Les asymétries de la posture orthostatique sont-elles aléatoires? Agressologie, 18, 277-283.
Gagey P.M., Weber B. (1995) Entrées du système postural fin. Masson, Paris.
Gagey P.M., Weber B. (2004) Posturologie; Régulation et dérèglements de la station debout. Troisième édition. , préface du professeur Henrique Martins da Cunha, Masson, Paris. ISBN 2-294-01448-0
Gentaz R., Asselain B., Levy J. Gagey P.M. Approche électromyographique des aymétries de la posture orthostatique, Agressologie, 20, B, 113-114, 1979.
Huskisson E.C. (1974) Measurement of pain. Lancet 9, 1127-1131.
Jaïs L, Weber B La meilleure façon de piétiner. In : Dupui Ph, Montoya R., Lacour M. (Eds) Posture et équilibre. Physiologie, techniques, pathologies. Solal, Marseille, 2003, 81-90.
Javal E.L.. (1868) Du strabisme dans ses applications à la physiologie de la vision. thèse de médecine.Paris.
Kapoula, Z., Eggert, T., & Bucci, M.P. (1996). Disconjugate adaptation of the vertical oculomotor system. Vision Res, 36 (17), 2735-2745.
Kertesz, A.E. (1983). Vertical and cyclofusional disparity vergence. In: C.M. Schor, & K.J. Ciuffreda (Eds.), Vergence eye movements. Butterworth-Heinemann, Boston, Mass.
Kluzik, J; Peterka, RJ; Horak, FB (2007) Adaptation of postural orientation to changes in surface inclination Exp. Brain Res. 178, 1, 1-17
Lamarche Y., Rémy C. (1995) Les asymétries du tonus postural chez les joueurs de tennis par le test de piétinement de Fukuda. Mémoire EPSKE, Liège.
Lorenz E.N. (1972) Meeting of the American Association for the Advancement of Science, Washington, D.C December 1972. (Does the Flap of a Butterflys Wings in Brazil set off a Tornado in Texas?)
Lyon D.W.,Goss D.A., Honer D., Downey J.P., Rainey B. (2005) Normative data for modified Thorington phorias and prism bar vergences from the Benton-IU study. Optometry, 76 : 593-9.
Marie P. (1916) Les troubles subjectifs consécutifs aux blessures du crâne. Revue de Neurologie, 4-5: 454-476.
Marignan (1997) http://pmgagey.club.fr/AsymetriesPosturales.htm
Matheron E (2000) Hétérophories verticales et normalisation myotonique. Kinésithér. Scient., 34 : 23-28.
Matheron, E., Quercia, P., Weber, B., Gagey, P.M. (2005) Vertical heterophoria and postural deficiency syndrome. Gait and posture, 21 (suppl 1), S132, 20.23.
Moro F. (2006) Podologia non lineare introduzione. Marrapese, Roma.
Nahmani L., Zarrinpour A., Lévy M., Thiry G., Jaïs L., Gagey P.M. (2003) Validation du test de piétinement naturel de Nahmani (TPN) et comparaison avec le test de piétinement de Fukuda (TPF). In M. Lacour (ed.) Posture et Équilibre. Physiologie, Techniques, Pathologies. Solal, Marseille. 63-70.
Poincaré H. (1908) Science et méthode. Flammarion, Paris.
Roll J.P., Roll R. (1988) From eye to foot: a proprioceptive chain involved in postural control. In B. Amblard, A. Berthoz, F. Clarac (Eds) Posture and gait, Development, adaptation and modulation. Elsevier, Amsterdam, 155-154.
Schroeder T.L., Rainey B.B, Goss D.A, Grosvenor T.P. (1996 ) Reliability of and comparisons among methods of measuring dissociated phoria. Opton Vis Res., 73 : 389-97.
SCOBEE RG (1951) Esotropia. Incidence, etiology, and results of therapy. Am J Ophthalmol.34, 6: 817-33.
Tardy D. (2005) Traité d'anatomie fonctionnelle et de biomécanique ostéoarticulaire et myofasciale du tronc humain. Tome I: Le THORAX. Éditions Tardy, Le Vanneau
Van Noorden GK (1996) Binocular Vision and Ocular Motility: Theory and Management of Strabismus, 5th ed. St. Louis: Mosby, chapter 12, 163-205.
Weber B., Gagey P.M., Noto R. (1984) La répétition de l'épreuve modifie-t'elle l'exécution du test de Fukuda? Agressologie, 25: 1311-1314.
Wong AM, Tweed D, Sharpe JA. (2002) Vertical misalignment in unilateral sixth nerve palsy. Ophthalmology. Jul;109(7):1315-25.