Constantinesco et Autet d'abord (1984), Villeneuve et Parpay ensuite (1991) ont proposé d'observer les variations du tonus postural, sous l'effet de diverses manipulations, en testant le tonus des muscles rotateurs externes des hanches du patient en décubitus. Les techniques de ces auteurs sont différentes, elles ont été nommées différemment "Le test des rotateurs" et "La manoeuvre de convergence podale", mais elles ont en commun de ne pas avoir été validées, jusqu'à présent.
Cette absence de validation n'a pas empêché la diffusion (Gagey et al., 1994; Gagey & Weber, 1999) et l'utilisation généralisée de ces tests tant ils sont d'un maniement rapide et aisé. De plus ils ne représentent pas, loin de là, un critère ferme de décision thérapeutique. Il s'agit de manoeuvres "pour voir" qui, avec les nombreuses autres observations récoltées au cours de l'examen clinique, alimentent le travail subconscient de l'esprit du thérapeute.
On pourrait qualifier de légèreté, d'insouciance, cet usage massif de tests non validés. Mais cette critique ne nous touche pas car nous savons que cette expérience risquée des posturologues nous permet aujourd'hui d'affirmer une contradiction et de l'affirmer avec d'autant plus de force que l'expérience a été plus largement diffusée et partagée. Nous savons que nous ne savons pas encore si ces tests sont répétables et pourtant nous avons la certitude qu'ils nous permettent de tester un changement du tonus! Telle est notre affirmation qui, pour le moins, mérite d'être critiquée.
Tout a commencé avec Eric Florin. Il voulait, pour son mémoire de fin d'études, tester l'hypothèse suivante: «La rotation de la tête d'un sujet en décubitus entraîne une modification du tonus des rotateurs externes de la hanche que l'on peut explorer en évaluant la résistance à l'étirement de ces mêmes muscles». En décembre 1999 Florin a donc organisé une expérience selon le protocole suivant: Six expérimentateurs ont testé successivement le tonus des rotateurs de 15 sujets dans trois positions de la tête (Tête en position neutre, tournée à droite, tournée à gauche). Après avoir pris le temps de se familiariser avec les réponses toniques de chaque sujet, les expérimentateurs devaient, les yeux bandés, dire dans quelle position se trouvait la tête du sujet; elle était tournée selon les ordres reçus, répartis de façon aléatoire. Les cliniciens n'avaient donc pas d'autres repères que le tonus des rotateurs pour savoir si la tête du sujet était tournée et de quel côté elle était tournée. L'analyse statistique des résultats de cette expérimentation fut sans appel: aucun expérimentateur n'a été capable de dire la position de la tête du sujet. Et Florin a conclu: «Dans les conditions utilisées par notre étude, nous ne pouvons pas confirmer l'hypothèse de l'influence perceptible manuellement du réflexe nucal en décubitus sur le tonus des muscles rotateurs externes de hanche.»
Le 23 Mars 2000, le groupe parisien de l'APE, au courant des résultats de Florin, a organisé, avec lui, une soirée d'études sur la validation de ces tests des rotateurs. Comme la première hypothèse pour expliquer "l'échec" de l'expérience Florin consistait à mettre en question l'entraînement des expérimentateurs à la délicate pratique de ces tests, tous les "Pères", "Barons" et autres grands praticiens de ces méthodes se sont sentis concernés et se sont retrouvés à l'Institut de Posturologie pour une soirée mémorable. Ce soir-là, ni Patrick Guillaume, ni Sylvie Villeneuve-Parpay, ni Alain Scheibel, ni Pierre-Marie Gagey n'ont fait mieux qu'Eric Florin et ses expérimentateurs! Aucun d'entre nous n'a réussi à donner la position de la tête en se basant sur la réponse du test des rotateurs ou de la manoeuvre de convergence podale. Pire, devant nos premiers échecs, nous avions simplifié le protocole, au lieu des deux positions de rotation de la tête nous n'en avions retenu qu'une seule, celle qui entraînait la plus forte variation du tonus selon le "toucher" de l'expérimentateur, mais le résultat n'a pas été plus brillant.
Cet échec a fortement interpellé les participants. Certains, comme Eric Blin, y ont vu une bonne raison de chercher un autre test pour remplacer ces tests des rotateurs dont les résultats apparaissaient soudain si aléatoires, d'autres ont préféré chercher d'abord les raisons de ces échecs. Bonnier a émis l'hypothèse que le test n'était plus le même lorsqu'on le pratiquait avec un écran entre l'expérimentateur et la tête du patient. Scheibel pense que les asymétries toniques sont plus marquées chez les patients que chez les sujets normaux pris comme sujets d'expérience, ce qui pourrait expliquer les incertitudes des expérimentateurs. Weber estime que de toute façon il faut impérativement travailler toutes contradictions car elles se révèlent très souvent riches d'enseignements.
Le 27 Avril 2000 le groupe parisien de l'APE s'est donc réuni à nouveau sur ce sujet de la validation des tests des rotateurs. On a tout de suite commencé par tester les hypothèses en supprimant d'abord l'écran entre l'expérimentateur et le sujet; la modification du tonus n'était plus induite par une rotation de la tête mais par la mise en place d'un plan de morsure asymétrique, dans un premier temps, ou par une stimulation plantaire, dans un deuxième temps. L'expérimentateur tournait le dos pendant la réalisation ou non de la stimulation, il se retournait pour le test, pouvait alors voir tout le corps du sujet, il devait simplement dire d'après la variation du tonus s'il y avait eu ou non stimulation. Un seul examinateur a donné des réponses qui n'étaient pas strictement aléatoires, elles étaient toutes systématiquement fausses!
Après ces deux soirées de travail, la question reste donc entière et plus excitante que jamais: Comment peut-on prétendre être capable de tester une variation du tonus avec une manoeuvre dont on n'est pas capable, apparemment, de vérifier la répétabilité?
Et pourtant Depuis dix ans des dizaines de posturologues ont régulièrement utilisé l'un ou l'autre de ces tests pour orienter les premiers choix d'une stimulation posturale plutôt que de la choisir au hasard. Ils ont constaté une cohérence certaine entre ces tests et les autres tests cliniques posturaux (Fukuda, Pouces, Barré, Posturodynamique), de même avec les résultats thérapeutiques et/ou stabilométriques. Cette longue pratique des tests des rotateurs ne leur laisse pas du tout le sentiment de manoeuvres aux réponses aléatoires mais plutôt la certitude du contraire. Certes rien n'est plus dangereux que les fausses certitudes, j'en sais quelque chose: la seule fois où j'ai défoncé la porte de mon garage, j'avais la certitude que mon pied était sur la pédale du frein de ma voiture! Mais on ne jette pas ses certitudes à la poubelle sans, quand même, y regarder de plus près.
Au cours de l'examen clinique postural d'un patient, lorsqu'il pratique un des tests des rotateurs le praticien cherche à percevoir non un indice de position ou un indice d'état, mais un indice que la transition d'un état A à un état B s'accompagne d'un retentissement tonique. Pour tester la répétabilité du test, telle que le clinicien l'utilise, il ne suffit pas de s'assurer qu'on lui présente bien exactement un état B' semblable en tout point à l'état B qu'il est censé pouvoir reconnaître, il faut s'assurer aussi qu'on lui présente un état B' semblable à B après lui avoir présenté un état A' semblable à l'état A. Et en toute logique il faut même pouvoir être sûrs que la transition de A' à B' est semblable à la transition de A à B. Un exemple simple peut être tiré de la pratique quotidienne: si la position B d'un prisme, soit OG55, entraîne la chute du tonus des rotateurs droits, il faudrait noter alors que la position A précédemment testée était, mettons OG180, pour pouvoir vérifier que la transition de A', OG180, à B', OG55, s'accompagne bien à nouveau d'une chute du tonus des rotateurs droits... Si elle est enchaînée dans les mêmes délais, le même environnement sonore, la même vigilance, les mêmes etc. Or «on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve» disait déjà Parménide!
Connaissant la fluidité du tonus postural, largement décrite par des auteurs aussi remarquables qu'André Thomas et Juan de Ajuriaguerra (1949), on peut s'interroger sur l'utilité d'une recherche obstinée du protocole qui permettrait de prouver la répétabilité des tests des rotateurs. Pourquoi ne pas dire tout simplement: Nous savons que nous ne savons pas si ces tests sont répétables mais nous avons l'évidence qu'ils nous permettent de tester un changement du tonus et le devenir de cette évidence à travers les consciences des posturologues n'est pas un critère de vérité inférieur à celui qui serait fourni par un protocole réussi et toujours critiquable.
L'objectivité, quoi qu'on fasse, est toujours au terme d'une intersubjectivité.
Bibliographie
AUTET B.M. - Examen ostéopathique prenant en compte l'activité tonique posturale. Mémoire de la Sereto, Montpellier, 1985.
GAGEY P.M., BIZZO G., BONNIER L., GENTAZ R., GUILLAUME P., MARUCCHI C., VILLENEUVE P. - Huit leçons de posturologie. Editées par l'Association Française de Posturologie, 4, avenue de Corbéra, 75012 Paris, Quatrième édition, 1994.
GAGEY P.M., WEBER B. - Posturologie; Régulation et dérèglements de la station debout. Deuxième édition. Masson, Paris, 1999.
MATHURIN B. Le test des rotateurs : recherche de l'asymétrie tonique segmentaire. In M. Lacour et B.Weber (Eds) Posture et équilibre, Bipédie, contrôle postural et représentation corticale, Solal, Marseille, 2005, 289-293.
THOMAS A., de AJURIAGUERRA J. - Étude sémiologique du tonus musculaire. Flammarion, Paris, 1949.
VILLENEUVE Ph., PARPAY S. - Examen clinique postural. Rev. Podologie, 59, 37-43, 1991.
Le point de vue du philosophe
Je n'ai bien entendu aucune idée pertinente sur le fond de l'histoire : quel intérêt y aurait-il à valider le test en question ? Sera-il possible d'y arriver par delà les premiers échecs des tentatives faites dans ce sens ?
J'approuve par contre le positionnement philosophique que tu t'efforces de prendre par rapport à ce qui pourrait passer pour un pur entêtement des posturologues. Une théorie vraiment éclairante de ce qu'est la vérification expérimentale nous fait défaut et dire des choses significatives sur le sujet requiert certes au minimum que l'on fassse une place à la sensibilité clinique des expérimentateurs. Elle est toujours présente et active même s'ils en offusquent l'impact là où ils croient avoir rencontré l'objectivité pure. Elle n'est jamais sans intérêt quand ils n'ont à se mettre sous la dent qu'une certaine convergence de leurs attentes.