PEUT-ON DÉFINIR DES CRITÈRES DE NORMALITÉ EN POSTUROLOGIE CLINIQUE ?
Bertrand BRICOT, CIES, Marseille
En fait, les différents travaux réalisés depuis plus dune centaine dannées (Da Cunha, Paillard, Bricot) nous amènent à considérer le système postural comme un tout structuré à entrées multiples ayant plusieurs fonctions complémentaires :
- lutter contre la gravité et maintenir une station érigée ;
- sopposer aux forces extérieures ;
- nous situer dans lespace temps structuré qui nous entoure ;
- nous équilibrer dans le mouvement, le guider et le renforcer.
Pour réaliser cet exploit neurophysiologique, lorganisme utilise différentes sources :
- les extérocepteurs, nous situent par rapport à notre environnement (tact, vision, audition) ;
- les propriocepteurs, situent les différentes parties de notre corps par rapport à lensemble, dans une position donnée ;
- les centres supérieurs, intègrent les sélecteurs de stratégies, les processus cognitifs (Paillard) et traitent les données issues des deux sources précédentes.
Il existe toutefois un invariant postural qui représente la position idéale du corps dans lespace, à un moment donné de notre évolution phylogénétique.
I) La position idéale du corps dans lespace
A ) DE PROFIL (PLAN SAGITTAL)
Laxe vertical du corps passe par :
- le vertex;
- lapophyse odontoïde de C2;
- le corps vertébral de la 3° vertèbre lombaire;
- et se projette au sol au centre du quadrilatère de sustentation, à égale distance des deux pieds.
Les plans scapulaires et fessiers sont alignés.
Chez ladulte la flèche lombaire doit être de 4 à 6 cm ( 3 travers de doigts) ;
la flèche cervicale de 6 à 8 cm (4 travers de doigts).
B ) DE FACE (PLAN FRONTAL).
Différentes lignes doivent être horizontales :
- la ligne bipupillaire ;
- la ligne bitragale ;
- la ligne bimamelonnaire ;
- la ligne bistyloïdienne ;
- la ceinture scapulaire ;
- la ceinture pelvienne.
Certains posturologues considèrent une légère bascule des ceintures comme normale et physiologique : nous ne partageons pas cette opinion car la correction du système postural, telle que nous la concevons, permet souvent une correction complète des bascules.
Il est vrai que notre latéralité et notre éducation normodextrique nous poussent au déséquilibre mais nous ne pouvons pas considérer ce phénomène comme normal. Il est flagrant de constater que les rares sujets parfaitement équilibrés ne souffrent jamais du dos.
Les pieds reposent au sol de façon harmonieuse et symétrique, un léger valgus lié à lappui bipodal peut être considéré comme physiologique, il disparaît en appui unipodal.
C ) LE PLAN HORIZONTAL.
- Il ny a ni avancée, ni recul dune fesse ou dune épaule par rapport à lautre.
CONCLUSION.
Ainsi peut être définie la statique normale, seulement moins de 10 % de la population semble correspondre à ces critères, ces sujets nont quasiment jamais de douleurs.
POSTURE NORMALE
=
ABSENCE DE CONTRAINTE, RAPPORTS HARMONIEUX,
=
PAS DE DOULEUR.
II ) Le déséquilibre postural
Plus de 90% des individus présentent un déséquilibre postural:
A ) DANS LE PLAN ANTÉRO-POSTÉRIEUR.
Quatre paramètres principaux sont à étudier:
1 ) le plan scapulaire;
2 ) le plan fessier;
3 ) la flèche cervicale;
4 ) la flèche lombaire.
Seule l'occurrence A est normale ; quatre troubles statiques principaux :
- B, plan scapulaire et fessier alignés : avec augmentation des flèches;
- C, plan scapulaire postérieur.
- D, plan scapulaire antérieur;
- E, plan scapulaire et fessier alignés : avec diminution des flèches.
La distance occiput/plan postérieur doit être inférieure à deux travers de doigts.
B ) TROUBLES STATIQUES DE FACE.
Cest au niveau des ceintures que lon notera le plus facilement les perturbations posturales.
1 ) La bascule des épaules :
En labsence dune grille de référence ou dexamens complémentaires, cette bascule sétudie plus facilement au niveau des poignets (styloïdes radiales).
2 ) La position du bassin dans lespace :
Seule létude en médio-iliaque nous donnera avec certitude la position du bassin dans lespace. En effet, il nest pas rare de constater une discordance entre les paramètres classiques antérieurs et postérieurs, elle est le reflet dune torsion hélicoïdale du bassin sur son grand axe.
3 ) trois notions fondamentales doivent se dégager :
a- Le déséquilibre de la ceinture scapulaire est lié à la latéralité :
- généralement chez le droitier : lépaule gauche est la plus haute ;
- chez le gaucher, cest le contraire.
b- Lorsque les épaules et le bassin basculent dans le même sens :
- le capteur initialement perturbé est oculaire;
- une cause podale initiale provoque, pour sa part, un déséquilibre du bassin inverse de celui des épaules.
c- Il existe toujours un déficit neuromusculaire et micro-circulatoire dans le membre supérieur de lépaule la plus basse (généralement celle de la latéralité).
C ) TROUBLES STATIQUES DU PLAN HORIZONTAL.
Cest létude des rotations des épaules et du bassin ; on parle alors :
- dilium antérieur ou postérieur ;
- et de scapulum antérieur ou postérieur.
Les contraintes sont alors en rotation et/ou en torsion .
La rotation de la ceinture scapulaire est fortement influencée par la latéralité.
En ce qui concerne les rotations du bassin elles peuvent se faire dans le même sens que celles des épaules ou en sens inverse.
CONCLUSION
Ainsi sont définis les troubles statiques dans les trois directions de lespace. La plupart du temps associées, ces perturbations réalisent un trouble statique plus ou moins complexe, responsable des hypercontraintes articulaires postérieures et des hypersollicitations musculo-ligamentaires (Bricot, Auger, Bougros).
AU TOTAL :
Il est difficile de considérer des sujets présentant un déséquilibre postural clinique comme des sujets normaux et ce pour plusieurs raisons :
- les sujets ayant une posture cliniquement équilibrée ne souffrent pas du dos ;
- les patients algiques présentent toujours un déséquilibre postural patent ;
- lorsque différents capteurs sont déréglés et quapparaît un déséquilibre postural celui-ci ne se corrige jamais seul, lorganisme intègre un nouveau schéma postural quil considère comme normal ;
- lorsquen posturologie clinique le praticien arrive (en dix mois) à une correction complète de son patient les douleurs ont, dans la plus grande majorité des cas, disparu et léquilibre retrouvé est stable dans le temps (
sous réserve dun sevrage progressif des corrections).
Si les normes 85 ont le mérite dexister (Gagey), elles ont été établies de manière tout à fait arbitraire sur des sujets considérés comme normaux, car sans maladie particulière, sans traitement particulier et sans vertige.
Si lon se réfère aux différents travaux faits en milieu scolaire (Barbier, Aït-Abbas, Ceccaldi, Kohen Raz) seuls 11% des enfants nont aucun capteur du système postural déréglés ; ce qui veut dire que 89 % ont déjà un ou plusieurs capteurs déréglés. Qui plus est, si les sujets algiques ont toujours un déséquilibre postural, linverse nest pas systématiquement vrai et un sujet présentant un déséquilibre postural, nest pas systématiquement algique.
En 1985 la posturologie classique était plutôt destinée à étudier les troubles de léquilibre au sens oto-rhino-laryngologiste ou neurologique du terme, cest à dire essentiellement les vertiges ou leurs équivalents mineurs (même encore en 92 : les troubles de léquilibre, Frison-Roche).
On se heurte actuellement en pratique courante à un paradoxe extrêmement fréquent : des sujets très algiques, souffrant ou de manière chronique ou en aiguë, de différentes douleurs, sont tout à fait dans les normes 85 (Bizzo). Il en est de même pour des sujets présentant différents vertiges fonctionnels.
Il nous a donc paru logique de vérifier, à laide dune plate-forme de strabilométrie, les différents paramètres de sujets que nous considérions comme cliniquement normaux, cest à dire sans troubles posturaux dans les trois directions de lespace et sans capteurs déréglés.
Nous avons comparés les résultats avec les normes 85.
POPULATION.
Le recrutement fait essentiellement sur des patients ayant fini leur reprogrammation posturale, nous à permis de sélectionner des sujets qui, généralement, ne présentaient plus de symptômes algiques ou vertigineux, mais surtout, cliniquement équilibrés
En effet, un bilan postural clinique est réalisé, suivant les normes du Collège International dÉtude de la Statique (C.I.E.S.), afin de vérifier léquilibre relatif dans les trois directions de lespace, ainsi que la normalité des principaux capteurs, là encore avec les normes du C.I.E.S :
- pieds symétriques, léger valgus en bipodalité, centré en unipodal et sans pivot rotatoire sur la mortaise tibio-tarsienne ;
- yeux : avec correction habituelle, verres centrés, vision binoculaire, convergence à la racine du nez, exo/eso inférieure à 1 à 2 dioptries, pas de hauteur ;
- occlusion équilibrée en classe I ;
- pas de cicatrices pathologiques.
68 sujets ont été retenus.
Nous navons pas mis de limite dâge, les sujets testés avaient de 10 à 79 ans pour une moyenne de 43,3 ans ; 30 hommes et 38 femmes.
MATÉRIEL ET MÉTHODE.
Létude fut réalisée à laide dune plate-forme de stabilométrie de type 'QFP système' en conditions normalisées.
Deux mesures sont faites sur 51,2 secondes, la première Yeux Ouverts (YO), la seconde Yeux Fermés (YF), la fréquence utilisée est de 5 Hz.
Lanalyse statistique est de type : test t univariée paramétrique avec tableau récapitulatif des statistiques descriptives et étude des centiles.
Les différents paramètres analysés sont les suivants :
Surface, Longueur, X-moyen, Y-moyen, LFS, VFY, Quotient de Romberg.
RÉSULTATS.
CONCLUSION
Nos critères de normalité sont beaucoup moins permissifs que les normes 85. Il est rare de trouver un patient algique ou vertigineux à lintérieur de ces paramètres. Cette étude devrait être affinée en fonction des tranches dâge et porter sur un nombre encore plus important de patients. La dernière remarque est quil faut considérer comme normalité non pas la moyenne normale mais la moyenne harmonique.
BIBLIOGRAPHIE
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VAN PARYS, NJOKIKTJIEN Ch. Rombergs sign expressed as a quotient. Agressologie. 95-100 1976 17, B.
COMMENTAIRES
1) De Pierre-Marie GAGEY
Ce travail tout à fait remarquable développe deux aspects de la clinique posturale:
- L'aspect arbitraire des «Normes» et
- Le lien très fort qui existe entre les asymétries de la posture orthostatique et les souffrances de l'axe corporel.
Sur ce dernier point existe un consensus très fort entre tous les posturologues; il n'est pas possible de pratiquer la posturologie sans constater cette évidence que les douleurs de l'axe corporel et les asymétries importantes de la posture orthostatique disparaissent ensemble sous l'effet du traitement. L'intérêt de ce travail est de permettre aux non-posturologues de partager cette évidence en présentant une étude statistique sur ce sujet. Des patients traités par des techniques posturologiques sont statistiquement «Mieux que Bien» au bilan stabilométrique, lorsqu'ils ont pratiquement cessé de souffrir.
Il existe aussi un consensus très fort entre tous les statisticiens pour souligner ce qu'il peut y avoir d'arbitraire dans l'établissement de «Normes». Cet arbitraire éclaterait admirablement au grand jour dans la pétition de principe qui consisterait à sélectionner un échantillon «Normal» de la population générale pour établir des «Normes». Car qu'est-ce qui permettrait de dire que cet échantillon de population serait normal? Qu'il serait constitué de sujets pratiquement indolores ? Mais que voudrait dire 'pratiquement' ? Qu'il serait constitué de sujets symétriques ? Mais comme absolument aucun homme n'est parfaitement symétrique, quelles seraient les asymétries qu'on pourrait tolérer chez les sujets d'un échantillon «Normal» de la population générale? Ce travail est donc particulièrement intéressant car à la fois il affirme et il démontre que l'établissement de «Normes» a un aspect arbitraire, et par conséquent qu'il ne faut pas chercher à faire dire aux normes plus qu'elles ne peuvent.
En ce sens, je prends le «Schèma» de l'Homme Idéal parfaitement Symétrique comme l'expression d'une Idée, bien sûr, non de la réalité. Cette Idée qui guide efficacement le thérapeute en lui faisant chercher la symétrie pour guérir les douleurs.