JACQUES PAILLARD.
HOMMAGE PERSONNEL.
Maurice Hugon
15 Février 2007.

Jacques Paillard vient de nous quitter.

     À l’Institut de Neurophysiologie et Psychophysiologie, le 12 Janvier, la communauté scientifique a rendu hommage au Chercheur, à l’Enseignant et au Constructeur.
     Je propose ici, à l’intention des praticiens de la motricité, un développement relativement étendu de ma contribution à cette Journée.
     J’ai été son premier élève et son premier assistant. Nous travaillions alors à Paris. En raison de circonstances extérieures, nous n’avons jamais pu continuer à Marseille cette collaboration amicale. Je limiterai donc mon propos d’abord à ce que j’ai directement connu: la naissance de la thèse, puis à la structuration de son contenu. Je dirai un mot de l’état actuel de la Psychophysiologie.
     Dans les années 50, la Psychologie sous ses diverses formes (clinique, expérimentale ou behavioriste) multipliait ses analyses. La subjectivité dominait alors des interprétations trop faiblement validées aux yeux des expérimentalistes. Dans ce même temps, la Neurophysiologie décrivait, élément après élément, les fonctionnements nerveux de base. Elle appuyait ses affirmations sur des procédures publiées, répétables et vérifiables. Mais chacun notait pourtant que l’Animal en préparation réduite ne pouvait être qu’un modèle anatomo-fonctionnel très éloigné du cas de l’Homme.
     Face à ces réelles incertitudes et à ces certitudes discutables, Jacques Paillard, en psychologue et en neurophysiologiste qualifié, a estimé que le temps était venu de rechercher, chez l’Homme, quelle Neurophysiologie vivante pouvait soutenir le réflexe tendineux cher aux cliniciens, et, plus généralement, pouvait soutenir les commandes motrices, automatiques ou intentionnelles.
     C’est que la Neurophysiologie animale proposait déjà des nouveautés neurophysiologiques propres à répondre à l’ambition du psycho-physiologiste «naissant» : électromyographie analytique, réflexe monosynaptique (Lloyd), inhibition récurrente (Renshaw), proprioception musculaire analysée en deux sensibilités musculaires mécaniques — statique et/ou dynamique — deux sensibilités réglables par une «fusimotricité» parallèle aux commandes purement motrices (Hulliger 1984, Rev.Physiol. Biochem. Pharmacol. pour revue). Réflexe myotatique et tonus postural (Matthews) étaient d’actualité.
     Le transfert de ces acquis au cas de l’Homme était attirant. Il appelait une méthode particulière de travail. Ce fut la «double stimulation». Une stimulation «conditionnante» devait exciter la structure neuromotrice intacte, vigile ou non. Une stimulation «exploratrice» étudierait alors sa physiologie à travers ses réactions nouvelles. Cette «exploration» donnait accès, à la fois, à la neurophysiologie des réflexes et à leurs contrôles élémentaires. Chaque stimulation (conditionnante ou exploratrice) pouvait impliquer les organes sensoriels (les fuseaux pour l’essentiel) par stimulation tendineuse (Réflexe T) ou simplement les fibres nerveuses (dans le nerf sciatique interne, fibres sensorielles IA et IB, et fibres motrices de gros calibre alpha. par stimulation électrique neurale. Réflexe H).
     Par l’utilisation croisée de ces ressources — assez artificielles somme toute — Jacques Paillard a pu décrire la réactivité proprioceptive spinale dans son amplitude et son décours. Il a ensuite raisonné sur ces cycles «d’excitabilité». Les expériences et leurs quantifications étaient reproductibles par tout chercheur. Il a suspecté qu’un «tonus fusorial» contrôlable par une fusimotricité particulière, devait exister chez l’Homme vigil. Cette fusimotricité pouvait être responsable de la variabilité des réflexes tendineux, et support du tonus postural. Le tonus fusorial et le tonus classique devaient êtres sensibles à la vigilance et à l’intention motrice du moment, peut-être responsable des contractions locales toniques involontaires qui suivent une contraction tonique homonyme volontaire. (Roll, Ribot-Ciscar, Gilhodes ont récemment confirmé ces suggestions)
     Ainsi la notion de tonus fusimoteur modulable introduisait la dimension psychologique nécessaire à la conduite de l’action et à l’exécution de l’acte (cf. Hulliger 1984 pour exposé des rapports entre commandes motrices et fusimotrice). Ainsi la recherche et la réflexion de Jacques Paillard ont-elles initié une «psychophysiologie de l’action» selon son expression formulée en 1986. On trouve notamment dans cet ouvrage de revue terminale une psychophysiologie des attitudes posturales, des habiletés intentionnelles motrices (neuroanatomie fonctionnelle normale et pathologique, apprentissages inclus), une étude renouvelée de la notion de schéma corporel (espace du corps, espace extra-corporel comme produits auto-développés de l’activité motrice), un aperçu sur le pilotage du moteur musculaire (pilotage sensori-moteur automatique non conscient, ou cognitif intentionnel et adaptatif...). Toutes synthèses qui intéressent le Praticien des habiletés motrices.
     Dans les années 70 et sq, Pierrot-Deseilligny et son groupe, par un usage sophistiqué des techniques introduites par Jacques Paillard ont brillamment validé les hypothèses initiales. Ils ont notamment démontré l’existence chez l’Homme de l’inhibition récurrente et en outre démontré l’existence et le rôle de l’inhibition présynaptique dans les commandes motrices. La nature monosynaptique des réflexes tendineux (T-réflexe) et de Hoffmann (H-réflexe, électriquement déclenché) a été nuancée (Burke…). P.Deseilligny et D. Burke ont donné (2006) une remarquable synthèse des acquis actuels dans «Physiology of the spinal cord, Cambridge, U.K.» accessible à chacun.
     L’emploi des techniques inspirées du travail de Jacques Paillard a pu s’appuyer plus récemment sur les ressources de la microneurographie (Vallbo, et près de nous Roll et Ribot-Ciscar, Vedel et al.) pour approfondir le fonctionnement spinal et ses contrôles descendants. Ainsi la thèse de Jacques Paillard a pu avoir une riche descendance, encore vivante de nos jours.
      Il reste que l’emploi de ces acquis de Laboratoire au cabinet médical, de kinésithérapie ou de posturologie — ou d’entraînement sportif — exige des travaux particuliers, difficiles à conduire dans des conditions concrètes toujours fluctuantes (Cf. APE, Perennou et la définition du S.D.P., 2005).
     Après ce survol revenons à Jacques Paillard. Nombre d’entre nous ont pu bénéficier directement de son talent d’enseignant et de conférencier. Il a beaucoup publié (près de 400 «papiers», chacun apportant quelque nouveauté). Il n’a pourtant produit que la seule synthèse récente à laquelle il a été fait allusion ci-dessus (1986). La raison en est que Jacques Paillard a consacré l’essentiel de son temps à créer l’Institut de Neurophysiologie et Psychophysiologie, à assurer le développement de la Psychophysiologie au CNRS et à l’Université, à guider ses élèves — et à conduire des recherches personnelles (les dernières publications datent de...2006). On rappellera aussi ses tentatives de création d’une Université «d’excellence» à Luminy, avec un succès relatif, dans un environnement peu favorable. Il a assuré la promotion d’une Faculté des sciences et des Sports, toujours à Luminy, avec M.Laurent et P. Terme notamment.
     Dans aucune de ces entreprises de recherche «appliquée» Jacques Paillard. n’a travaillé pour un quelconque bénéfice matériel. En 1955 il avait mis, à disposition des praticiens, et sans revendication de propriété, un «électromyophone» électronique (RACIA fabricant, 1954). La sonorisation de l’activité électromyographique mettait alors au service des praticiens un appareil de rééducation motrice par «biofeedback». À aucun moment, Jacques Paillard ne paraît avoir visé une commercialisation quelconque de cette nouveauté. Chercheur fondamentaliste, néanmoins soucieux de réalisations, Jacques Paillard n’a été conduit que par les progrès de ses travaux. Recherche pure et Recherche appliquée (impure ??) n’ont été chez lui que distinctions artificielles propres au champ économique. Il est de fait que la collaboration de ces visées de recherche, qui sont complémentaires, est trop souvent compliquée de rivalités de prestige et d’argent. Il faut donc ici saluer, avec le scientifique et son éthique, un exemple de rigueur et d’indépendance intellectuelle qui a honoré l’Université. Cet exemple d’indépendance n’étant par ailleurs que peu considéré par la philosophie sociale actuelle...

Références.

Autobiographie: «Paillard Jacques» (NdlR: Texte très intéressant que vous pouvez lire en cliquant sur son lien)

LES ATTITUDES DANS LA MOTRICITÉ par J. Paillard (Article qui explique le rapport de J. Paillard à la Posture; vous pouvez le lire en cliquant sur son lien)

ITINERAIRE POUR UNE PSYCHOPHYSIOLOGIE DE L'ACTION (1986) J. Paillard , Actio Bazina, éditeur, Collection «Actualité, Recherche, Sport», direction M.Laurent et P.Terme, 230 pages (épuisé)

Thèse : chantal.masson@doc.be
Travaux récents : http://deafferented.apinc.org.

     Le champ de la psychophysiologie s’est depuis résolument élargi aux activités centrales les plus élaborées (normales ou pathologiques). La neurochimie, la neuro-informatique, la neuromimétique et l’imagerie neuro-fonctionnelle, les modélisations diverses (contrôles linéaires ou non linéaires...) se sont unies pour constituer, avec la Psychologie, les Neurosciences comportementales et cognitives... (cf. plus près de nous :«le sens du mouvement», par A.Berthoz, 1997 chez Odile Jacob, «L’Homme de Vérité», J.P. Changeux, Odile Jacob, 2002, pour essai critique «d’objectivation des fonctions cérébrales», et pour nuancer, une «Philosophie des sciences» en deux volumes (D. Andler, A. Fagot-Largeault, B. Saint-Sernin, 2002, Folio-Essais).
     On notera que la connaissance a progressé, sans référence ordinaire à Jacques Paillard, dont les acquis fondamentaux ne sont pourtant pas périmés. Ils sont entrés dans le fonds de connaissances classiques. L’attention du jour se porte naturellement sur les acquisitions nouvelles, soutenues par les progrès instrumentaux remarquables des Neurosciences. Le progrès néglige rapidement ses sources premières...Tous les auteurs le savent, et connaissent bien leur sort futur...

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