VERRES DE LUNETTES
ET EFFETS PRIMATIQUES
Geneviève PREVOST
[Cet article a été publié dans la revue CONVERGENCE, N° 36 de Janvier/Février 1988, pages 28-29.
Nous nous permettons de le mettre à disposition sur cette page Web étant donné les difficultés pour se procurer ce numéro ancien de cette revue]
Il y a en France 24 millions de porteurs de lunettes, soit 44 % de la population française. Ces sujets dont l'acuité est basse sans correction, retrouvent pour la plupart une excellente acuité et ne semblent pas handicapés le moins du monde par leur défaut visuel.
Il n'en reste pas moins vrai que placer un verre de lunette devant un il n'est pas tout à fait un acte anodin. La lentille optique, en effet, modifie, de par sa géométrie et sa puissance, l'espace visuel, les repères structuraux et même l'équilibre intrinsèque de l'amétropie qui perçoit, à travers sa correction, l'image, donnée par son verre, des objets et du monde dans lequel il évolue.
1. LES PERTURBATIONS SPATIALES ENGENDRÉES PAR UNE CORRECTION OPTIQUE
1. Les effets Cinéprismatiques
La correction optique induit en vision dynamique des perturbations occasionnées par les effets prismatiques marginaux des verres.
Dans les mouvements de tête, l'image des objets perçus à travers la correction est animée d'un mouvement différent selon que le sujet est équipé de verres convexes ou concaves.
Ainsi pour le myope portant des lentilles concaves, le déplacement des images se fait dans le même sens que le déplacement de la tête : "il emporte son environnement avec lui". Inversement pour l'hypermétrope, les déplacements se font en sens inverse : "l'environnement surgit et vient à sa rencontre".
L'adaptation de l'amétrope à ces phénomènes se réalise généralement très progressivement au fil des changements de verres, mais on peut comprendre aisément qu'il y a des moments où ce sera plus difficile.
Le pseudophake, par exemple, dont l'amétropie est brutalement transformée au cours de l'opération voit son équilibre spatial subitement détruit, même si l'amétropie résiduelle est faible.
2. Les effets danamorphoses
Tous les verres correcteurs de par leurs effets prismatiques engendrent des distorsions spatiales : en forme de coussinet pour les verres convexes et de diabolo pour les verres concaves.
Dans ce cas encore, l'adaptation progressive du sujet à ces distorsions est effective alors qu'elles restent perturbantes lors des changements brutaux de correction.
3. L'anisophorie spatiale
Dans les cas d'anisométropie, la différence des effets prismatiques marginaux entraîne une disparité anormale des vergences oculaires. Cette erreur d'appréciation de l'espace est tout particulièrement ressentie dans le regard vers le bas (marches d'escalier, trottoirs ... ) car c'est dans ces conditions que les réserves fusionnelles sont les plus faibles.
Les modifications sensorielles induites par ces différents phénomènes dus à la géométrie du verre sont essentiellement perçues en vision spatiale. En clinique, les possibilités d'adaptation du sujet peuvent être contrôlées par le coordimètre Hess-Weiss.
Ces inconvénients varient avec le type du verre choisi : ils peuvent être nettement atténués en conseillant au client des lunettes de petites dimensions, ayant une surface de verre réduite, ou des correcteurs de la nouvelle génération à surface asphérique.
Ces géométries, en effet, permettent une nette diminution de l'épaisseur ainsi que des effets prismatiques marginaux.
II LA CORRECTION PRISMATIOUE
Si les phénomènes cités précédemment sont essentiellement perçus par la rétine périphérique, la correction prismatique agit sur l'ensemble de la rétine. Le prisme est, en effet, placé en position primaire du regard et agit sur l'espace visuel tout entier. Il a pour but de déplacer l'image perçue dans une direction bien déterminée par le strabologue, l'orthoptiste ou le posturologue.
Ces déplacements peuvent être obtenus à l'aide de lentilles souples organiques de type press-on, de prismes conventionnels spécialement surfacés ou, lorsque la puissance du verre le permet, par décentrement de la correction par rapport à la position des pupilles dans le regard au loin droit devant.
Ainsi, un centrage imprécis de verres correcteurs, un affaissement de la monture dont les plaquettes se sont déformées, ou qui ne reste pas convenablement chaussée par le patient, peuvent introduire des effets prismatiques non contrôlés.
Pour réaliser ce phénomène, dans le cadre de notre Bureau d'Etudes, nous avons mesuré l'effet prismatique moyen porté par "Monsieur tout le monde".
Protocole dexpérimentation
Pour ce faire, nous avons repéré la position des pupilles du sujet lorsqu'il regarde au loin, droit devant lui, à l'aide de la méthode de Victorin.
Ce procédé, où l'on pointe directement sur le verre du client l'emplacement des pupilles, permet de respecter la position habituelle de la monture au porté, ce qui est important pour obtenir une mesure aussi proche que possible de la réalité.
Cette opération réalisée, la puissance des verres relevée au frontofocomètre, il est aisé de calculer les effets prismatiques portés à l'aide d'une abaque ou de la formule :
D = h x D
Où h représente le décentrement exprimé en cm,
D la puissance du verre en dioptries,
et D l'effet prismatique exprimé en dioptries prismatiques.
Résultats
C'est par cette méthode que 250 sujets adultes dont les amétropies s'échelonnent de + 5,50 à - 12,00 ont été examinés.
RÉPARTITION DES EFFETS PRISMATIQUES MESURÉS
Effets prismatiques | Nombre de cas | Pourcentage |
D = 0
|
80
|
soit 16%
|
0 < D < 0,50
|
168
|
soit 33%
|
0,75 < D < 1,25
|
381
|
soit 27%
|
1,25 < D < 2,00
|
78
|
soit15%
|
2 < D < 3
|
24
|
soit 5%
|
3 < D < 4
|
16
|
soit 3%
|
D > 4
|
3
|
soit 1%
|
DIRECTION DES EFFETS PRISMATIQUES
51% base en haut
8% base en bas
12,5% base ler cadran 0 < a < 90'
14% base 2ième cadran 90 < a < 180'
11,5% base nasale
3% base temporale
DISCUSSION
Relevons que 49% des sujets portent des verres parfaitement centrés, et ceci est réjouissant. Parmi 9% des sujets qui ont des effets prismatiques les plus importants, on rencontre souvent des myopes équipés de montures RayBan à grandes surfaces de verre souvent portées loin des yeux.
Enfin 47% des sujets examinés subissent un prisme compris entre 0,75 et 2,00 dioptries. Ce résultat nous a paru particulièrement intéressant dans la mesure où ces puissances sont précisément celles de prismes de posture.