AVIS AU LECTEUR NON SPÉCIALISTE EN POSTUROLOGIE

Bienvenue !

     Ce texte figure depuis 2005 sur le site de l’ADAP, malgré un aspect polémique inhabituel à cet endroit. Il y a été maintenu, malgré de nombreuses réticences pour que tout lecteur, à condition qu’il sache dans quelles conditions il a été publié, puisse se forger une opinion sur la perception à l’époque (et parfois aujourd’hui) de ce que Henrique Da Cunha avait décrit comme Syndrome de déficience posturale.

    Le XIe congrès de l’Association Posture et Equilibre (APE), avait programmé une discussion/mise au point sur ce thème. Les rôles avaient été ainsi répartis : D Perennou y tenait le rôle de détracteur, P-M Gagey de défendeur, Ph Thoumie de modérateur. Chaque acteur a tenu son rôle ; la teneur de leurs interventions été résumée a posteriori, sans compte-rendu des discussions ; cette absence en fausse l’interprétation. Aussi leur relecture tardive hors contexte nécessite cette mise au point.

    Si, comme le précisait P-M Gagey, la formulation de Da Cunha est actuellement discutable, les recherches cliniques publiées en majorité dans la collection Posture et Equilibre chez Solal, à Marseille, sous la direction de M Lacour et dans celle de l’API chez Elsevier-Masson, à Paris, ont depuis enrichi et corrigé ses intuitions anticipatrices.

    En ce sens, l’apparente objectivité de la recherche bibliographique de Perennou se trouve obérée par son choix de méthode : si sa recherche par mots-clés avaient été étendue au concept en interrogeant, par exemple, posturologie, posture, aplomb, instabilité, le syndrome de déficience posturale se serait cité dans nombre de ces textes même s’il n’apparaissent pas dans le titre des articles. C’est un risque de ce mode de recherche si elle est limitée à un seul mot. Elle s’appuie en outre sur une approche purement livresque qui conduit à des méconnaissances dommageables : Agressologie n’a jamais été une revue d’ophtalmologie, même si J-B. Baron, C. Marucchi et épisodiquement A. Berthoz y ont publié en leur temps, mais une revue généraliste consacrée aux perturbations de l’homéostasie.

Ph Thoumie, responsable à Paris de l’enseignement du Diplôme interuniversitaire de posturologie clinique (auquel ne participe pas D Perennou), est parfaitement conscient de la nécessité de mettre au point les validations objectives des dysfonctions posturales. Il sait aussi que celles qui ne relèvent pas directement de pathologies définies, observées habituellement dans une population rarement prise en charge par les hôpitaux, nécessite des moyens qui rendent cette validation plus lente et plus difficile que celle des recherches cliniques universitaires. C’est l’intérêt de la collaboration développée depuis l’origine à l’APE entre ces deux approches complémentaires, celle des praticiens libéraux et des praticiens hospitaliers.

Quid du SDP ?

Table ronde sur le Syndrome de Déficience Posturale (SDP) de H. MARTINS DA CUNHA

Organisée à Aix les Bains, lors du Congrès APE 2005

Nous ne présentons que les textes correspondants aux interventions de PM Gagey et D Pérennou, ainsi que la synthèse faite par Philippe Thoumie.

[Note préliminaire. Les membres de "l'école de Lisbonne" risquent d'être choqués à première lecture par la liberté d'expression de ces interventions. Nous souhaitons qu'à la réflexion, ils comprennent qu'il s'agit de défendre l'intuition géniale de DA CUNHA, en stigmatisant les méfaits d'une facilité de langage que nous avons adoptée en utilisant le terme de "SDP" à tord et à travers, alors que notre Maître à tous avait pris bien soin de distinguer ce qui ne peut pas être confondu]

Texte correspondant à l’intervention de PM GAGEY

     En 1979, puis en 1987, Henrique Martins Da Cunha a publié à peu près le même article sur ce qu'il a appelé le “Syndrome de déficience posturale” (SDP). Vingt-six ans plus tard, dans les milieux qui s'intéressent à la pathologie posturale, on parle toujours de cet article, il n'est pas tombé dans l'oubli comme tant d'autres papiers!… Mais il ne suscite pas de consensus… c'est le moins qu'on en puisse dire... Que se cache-t-il donc derrière cette survie houleuse?

La maladresse de l'article de Da Cunha
     Comment Da Cunha a-t-il pu ranger sous le même concept des réalités différentes et, pire, des réalités que lui-même oppose comme différentes? Il y a le “Çà” et le “Non-çà”, le “Cardinal” et le “Non-Cardinal” qui construisent ensemble la totalité du concept sans qu'on prenne la peine de nous expliquer par quelle vertu cette antinomie se résout merveilleusement dans l'unité idéale du concept de déficience posturale!... Devant tant de maladresses, le lecteur ne peut trouver dans cet article qu'un fatras de signes et de symptômes rassemblés, pêle-mêle, par une imagination délirante. Seule la chaleur convaincante du verbe d'Henrique a pu aider ses élèves à penser qu'il y avait peut-être autre chose à lire dans cet article qu'un inventaire sans queue ni tête.

Les deux intuitions cliniques de Da Cunha
     
Mais pour avancer, la première chose à faire est de bien distinguer le “Çà” et le “Non-Çà”.

Le “Çà” du Patient postural
     
L'idée est simple: Ces fonctionnels chroniques que les omnipraticiens connaissent bien, qui ont du mal à tenir debout soit qu'ils titubent, soit qu'ils souffrent dans cette posture, Da Cunha nous dit: regardez comme ils se tiennent debout et vous découvrirez des asymétries anormales de leur tonus postural qui disparaissent immédiatement dès que vous trouvez comment manipuler leur tonus en manipulant l'une ou l'autre entrée de leur système postural. Si vous arrivez à réduire leurs asymétries, vous réduirez leurs souffrances.
     Tout “Çà” est clair et simple; de l'observation clinique, tout bonnement, sans qu'il soit besoin de l'étayer d'un long discours neurophysiologique. Et qui plus est… çà marche.

Le “Non-Çà” du Patient postural
     
A l'opposé de la simplicité et de la clarté du Patient postural, dans le “Non-Çà” du Patient postural, on n'y comprend plus rien. Da Cunha allonge une liste de signes et de symptômes dont la cohérence nous échappe; ce qu'il y a de sûr c'est qu'ils n'ont rien à voir avec le postural, c'est leur seul point commun!... Voyez plutôt: Phénomène de Raynaud, Tachycardie, Dyslexie, Dysgraphie, Défaut de concentration, Anxiété, Dépression, Parésies, Paresthésies, Scotomes, Lipothymie, Dyspnée, Fatigue, Agoraphobie, Défaut d'orientation, Défaut de localisation spatiale, Pertes de mémoire, Asthénie, etc., etc. Bizarre!… Et pourtant c'est ainsi.

Les intuitions de Da Cunha: quel intérêt?
     
Quel intérêt de décrire le “Çà” du patient postural, comment l'examiner, comment le traiter? La question ne se pose même pas… Ou plutôt elle se transforme en: 'Comment valider une description si simple, si cohérente, si efficace?'
     Mais le “Non-Çà” du patient postural… Quel intérêt?… La réponse n'est pas évidente aujourd'hui!… Elle est peut-être du côté de ce que Da Cunha ne dit pas ouvertement: soignez le “Çà” et vous soignerez aussi le “Non-Çà”. Les élèves de Da Cunha, aujourd'hui encore, disent guérir des dyslexies en soignant des SDP. La communication entre le “Çà” et le “Non-Çà” en tous cas est annoncée dans cette efficacité croisée de manipulations d'un système qu'on sait capricieux, puisqu'il est dynamique non-linéaire. Le “Non-Çà” du patient postural nous ouvre peut-être une piste prodigieusement intéressante? Mais il reste sûrement beaucoup de travail à faire avant d'en être assurés…

Conclusion
     
Tout le travail qui reste à faire, tant sur le patient postural que sur le non-patient-postural, doit-il se faire à l'enseigne du “Syndrome de Déficience Posturale”? La chose n'est pas si sûre… Loin de nous l'idée de ne pas reconnaître le rôle de pionnier de Da Cunha, mais on peut, peut-être, ne pas diriger d'emblée les lecteurs vers les maladresses inévitables des premiers papiers. Dans ce cas, il nous manque une dénomination alternative. Comment nommer, au moins, le “Çà” du Patient Postural?

Bibliographie
DA CUNHA H.M. — Syndrome de déficience posturale, In: Actualité en rééducation fonctionnelle et en réadaptation, 4° série Masson, Paris, 27-31, 1979.
DA CUNHA H.M. — Le syndrome de déficience posturale (SDP). Agressologie, 28, 941-943, 1987.


Texte correspondant à l'intervention de Dominic PERENNOU

     La réflexion qui m'a été proposée par l'APE consistait à analyser objectivement la littérature concernant le "syndrome de déficience posturale".
Méthode de travail
     
Une interrogation de la base de données internationale MEDLINE avec les mots clés "syndrome, déficience(s), posturale" ou "postural deficiency syndrome" permet de retrouver les 4 articles suivants:-
HM Da CUNHA et OA Da SILVA (1986). Le syndrome de déficience posturale. Son intérêt en ophtalmologie. Journal Français d’Ophtalmologie, 9 : 747-755.
HM Da CUNHA et OA Da SILVA (1986). Disturbances of binocular function in the postural deficiencysyndrome. Agressologie, 27 : 63-67.
HM Da CUNHA (1987) Le syndrome de déficience posturale (SPD), Agressologie, 28 : 941-943.
Da SILVA, OA. (1987) Directional scotometry and prismatic correction in postural deficiency syndrome Agressologie 28: 945-46
Une interrogation par les noms des 2 auteurs cosignant ces articles (Da CUNHA H, Da SILVA O) ne retrouvait pas d'autre article en rapport.

Commentaires sur le résultat de cette recherche bibliographique
     
Si le "syndrome de déficience posturale" est bien référencé dans les bases de données internationales, très peu d'articles y sont consacrés.
Les quatre publiés ont été écrits par les même auteurs, affiliés au département de Médecine de Rééducation (Da Cunha) et au département d'Ophtalmologie (Da SILVA) de l'hôpital Santa-Maria à Lisbonne.
     Ces 4 articles sont anciens, publiés il y a 20 ans dans une revue française (agressologie, journal français d'ophtalmologie), en français pour trois d'entre eux et en anglais pour un d'entre eux.
      Les mots " syndrome de déficience posturale " ou " postural deficiency syndrome" ne sont retrouvés dans aucun autre article international postérieur à ces quatre là, alors que ces bases de données contiennent plusieurs milliers d’articles sur les aspects théoriques et cliniques du contrôle de la posture et de ces troubles. Nous pensons que ce manque d'intérêt de la communauté internationale trouve son origine à deux niveaux: l'inadéquation de la terminologie utilisée par Da Cunha et Da Silva et le caractère purement descriptif et subjectif des observations cliniques qu'ils ont rapportées.

Un problème de terminologie
     
Par définition en médecine, un syndrome est une association de symptômes, de signes, ou de déficiences si l’on souhaite se placer dans le cadre de la trilogie de Wood qui privilégie la classification des troubles en terme de déficiences, incapacités et handicap. Un syndrome ne peut pas être monodéficient. A moins d'écrire déficiences au pluriel ce qui n'a jamais été fait par Da Silva et Da Cuhna; la terminologie qu'ils proposent est inappropriée.

Une approche empirique
     
Les 4 articles analysés disent la même chose. Ils décrivent un syndrome qui associe à des degrés divers des signes cardinaux et des signes non cardinaux.

     Les 4 signes cardinaux sont les douleurs, l'instabilité posturale, des troubles visuels et des troubles du schéma corporel. Les douleurs sont très variables et peuvent comprendre des céphalées, des douleurs rétro-orbitaires, des douleurs thoraciques ou abdominales, des douleurs articulaires et/ou rachidiennes. L'instabilité comprend des sensations d’instabilité, des vertiges, des nausées, et aussi des troubles de l'équilibre avec chutes. Les signes ophtalmologiques sont très variés comprenant une vision trouble, une diplopie monoculaire ou binoculaire, des scotomes directionnels… Ces signes dits cardinaux ne sont en réalité que des plaintes variées pouvant recouper de nombreux domaines de la médecine, sans critère objectif. Il peut être aussi aisément relevé de nombreuses erreurs dans la classification des troubles, la dysmétrie étant considérée comme un trouble proprioceptif …

     Les signes non cardinaux regroupent un cortège de signes dans lesquels toute la médecine peut également s’y retrouver….. Il est par exemple fait mention de dyslexie, d’agoraphobie, de perte de mémoire, de fatigue, de tachycardie, de phénomène de Raynaud, de lumbago, d’entorse, de trouble de l’articulation temporo-mandibulaire….. En réalité Da CUNHA et Da Silva se contentent de rapporter quelques réflexions issues de leurs observations cliniques. A aucun moment il n’est proposé une analyse de prévalence de ce qu'il appellent le SDP. Ils ne précisent pas les critères diagnostiques requis pour poser le diagnostic de SPD, et la physiopathologie du trouble n’est absolument pas abordée.

Traitement ou Miracle ?
     
De façon surprenante, Da CUNHA mentionne l’amélioration spectaculaire de ses patients par des manœuvres comprenant une correction prismatique parfois associée à d'autres manœuvres peu clairement expliquées, voire au port de certaines orthèses plantaires. Aucune mesure objective de l'incapacité des patients ne vient étayer ces observations de guérison dont le caractère spectaculaire est suspect.

Conclusion
     
Les pratiques de soins (les évaluations et les traitements) sont entrées de plain-pied dans l'Evidence-Based Medecine (Médecine par la preuve), et les activités médicales et paramédicales sont maintenant valorisées par une nomenclature supportant une tarification précise. Il est désormais déraisonnable et contre-productif pour une association comme l'APE de soutenir les pratiques de soins basées sur une terminologie confuse voire absurde, et pour lesquelles la subjectivité est reine. Il serait encore plus fou que de vouloir entretenir des mythes; le syndrome de déficience posturale en est un.

     Au contraire l’APE a tout à gagner à accompagner cette évolution inéluctable qui touche aussi les troubles de l'équilibre et les troubles posturaux, un des motifs de consultation les plus fréquents en pratique quotidienne. Ces problèmes posturaux peuvent avoir de nombreuses causes comme les troubles sensoriels somesthésiques, vestibulaires ou visuels, les déficits de la commande motrice ou les troubles du tonus, certaines déformations squelettiques acquises ou congénitales, les troubles de la coordination ou bien aussi les troubles de l'orientation verticale, ou encore l'incapacité à gérer les ressources attentionnelles… Tout cela est désormais de mieux en mieux compris grâce à une recherche internationale de haut niveau, physiologique, biomécanique, technologique… Tout cela peut et doit désormais être quantifié , de même que la sévérité de l'incapacité posturale et ses conséquences en terme de risque de chute, peur de la chute et réduction d'autonomie. Pour cela nous avons à notre disposition de nombreux outils dont la place en clinique peut encore être affinée. Dans un avenir proche d'autre outils encore plus innovants viendront renforcer cet arsenal. Il nous faudra alors analyser leur apport afin de valoriser leur place dans les pratiques de soins. La principale richesse de l'APE provient des interactions entre chercheurs et cliniciens. Cette stimulation permanente nous aiguillonne et nous pousse à regarder vers l'avant. Le SPD appartient au passé.


Texte correspondant à la synthèse de P THOUMIE
     
Les exposés successifs de PM Gagey et D Pérennou ont l’avantage de nous faire toucher du doigt la difficulté de l’exercice qui vise à structurer sous un vocable encore à définir (syndrome semble le plus proche du consensus) une expérience clinique dans le domaine de la posture.

      L’absence de validation de fait du SPD malgré une ébauche de description remontant à plus de 25 ans témoigne d’abord de l’insuffisance de précision dans le propos : quels signes cliniques indispensables au diagnostic, quels examens complémentaires, quelle approche thérapeutique?
     Nos pratiques si diverses nous enseignent que l’ensemble des signes peut être rapporté à un trouble postural secondaire : troubles de l’équilibre après port de verres correcteurs mal adaptés, cervicalgies d’origine mandibulaire, lombalgies par pathologie des membres inférieurs.
     L’idée défendue ici est celle d’un syndrome primitif dont la symptomatologie serait associée à des troubles du tonus rachidien, des perturbations des explorations de la posture et une sensibilité à la prise en charge thérapeutique dite posturale. Force est de constater qu’il n’existe pas d’entente entre les cliniciens pour un consensus de fait sur aucun de ces trois points.
     La synthèse d’une telle expertise est qu’il faudrait à l’avenir appréhender la situation à partir d’une nouvelle analyse clinique dont le cheminement serait le suivant :
     - Quels sont les signes d’appel rencontrés dans ce que vous estimez être un patient postural ? (statistique ouverte dès à présent sur x patients et non rétrospective)
     - Que retenons nous comme paramètre postural cardinal ? (son absence élimine le diagnostic) ?
     - Un examen complémentaire est il nécessaire pour affirmer le diagnostic ?
     - Quels examens éliminent le diagnostic ?
     - Si le succès du traitement fait partie du “ syndrome ” comment affirmer l’efficacité d’un traitement postural ? (immédiat, secondaire).

     De cette approche pourront naître plusieurs situations : soit la mise en évidence d’un syndrome global fédérateur, soit la mise en évidence de différences d’appréciations suivant la porte d’entrée témoignant d’autant de manifestations posturales secondaires.
     Répondre à cette question relève d’une analyse des pratiques de tous les intervenants de la posturologie, déclarés ou non comme tels. Une telle étude pourrait être pilotée au sein de l’APE.
     Une seconde approche basée sur une réduction du champ d’investigation à une symptomatologie dominante (douleurs rachidiennes, troubles de l’équilibre, troubles cognitifs) possédant ses propres critères d’évaluation, réduirait certes le concept fédérateur du SPD mais offrirait certainement la possibilité d’une validation de l’approche posturale dans une situation clinique déterminée. Ceci correspondrait alors aux normes en vigueur de l’Evidence Based Medicine qui, quoi qu’on en pense par ailleurs, s’imposera à tous pour la reconnaissance institutionnelle de nos pratiques.

[Retour à l'accueil]