Les attaques vertigineuses de la Maladie Ménière peuvent être prévues par une analyse non-linéaire du signal stabilométrique

Osamu Sasaki *, Pierre-Marie Gagey **, Shin-ichi Usami ***, Sousa Sakura*
* SAKURA Otorhinolayngological Clinique de SOUJINKAI, Tokyo
** Institut de Posturologie, Paris
*** Département d'Otolaryngologie, Shinshu University School of Medicine

Summary

VERTIGINOUS ATTACK IN MENIERE'S DISEASE CAN BE ANTICIPATED BY NONLINEAR ANALYSIS OF POSTUROGRAPHY.
SASAKI Osamu, GAGEY Pierre-Marie, USAMI Shin-ichi, SAKURA Sousa
Equilibrium Research, 65. 1. 35-47

     A characteristic feature of Ménière's disease is the spontaneous occurrence of vertigo attacks, most often without warning. The unpredictability of vertiginous spells is a major threat for uncontrolled or cluster type patients. Nevertheless, it is difficult to predict spells in spite of advances in vestibular research because vestibular tests are not sensitive enough to detect the fine vestibular abnormalities associated with Ménière's disease. In this paper, we show that nonlinear analysis of stabilometry signals can detect a pre-ictal phase preceding the vertiginous spell by means of the dynamical similarity between a reference state and pre-ictal state. Our results confirmed that nonlinear changes in the multi-link network of the postural control system allowed the prediction of 12 out of 17 spells within 3 days (sensitivity: 70.6%). In contrast, the conventional measure showed a lower sensitivity and specificity. Our results are very encouraging to gain a new insight into the mechanism responsible for pre-ictal to ictal transition in inner ear pathophysiology and the corresponding therapeutic implications.

Sasaki e.mail address: ANB73656@nifty.com

Résumé

     Une particularité de la maladie de Ménière est la survenue spontanée d'attaques de vertiges, le plus souvent sans avertissement. L'imprévisibilité de ces périodes vertigineuses représente une gêne importante dans la vie des patients, particulièrement s'ils sont sujets à des "répliques".
     Malgré les avancées de la recherche vestibulaire, il reste difficile de prévoir ces attaques soit par les tests vestibulaires classiques, soit par les paramètres stabilométriques conventionnels, statistiques ou fréquentiels, qui ne sont pas assez sensibles pour détecter les discrètes anomalies vestibulaires associées à la maladie Ménière.
     Dans cet article, nous montrons au contraire que l'analyse non-linéaire des signaux stabilométriques peut détecter des anomalies au cours d'une période précédant la période vertigineuse. Effectivement au cours de cette étude prospective, 12 des 17 attaques de vertiges observées avaient été prédites dans les 3 jours précédents grâce à une modification des données de l'analyse dynamique non linéaire. Ces résultats soulignent l'intérêt de ces techniques d'analyse du signal stabilométrique, comme on pouvait s'y attendre puisque le système postural fonctionne comme un système dynamique non linéaire.

Mots clés : stabilométrie, posture, contrôle postural, système dynamique non linéaire, prédiction.

Introduction

     Une particularité de la maladie de Ménière (MM) est la survenue spontanée d'attaques de vertiges, le plus souvent sans avertissement. L'imprévisibilité de ces périodes vertigineuses représente une gêne importante dans la vie des patients. La possibilité de prévoir ces périodes vertigineuses pourrait donner le temps d'instaurer un traitement préventif et d'améliorer ainsi la qualité de vie de ces patients.
     Bien qu'on présume que l'hydrops endolymphatique idiopathique soit le processus physiopathologique essentiel de la MM qui entraîne ces fluctuations de fonction de l'oreille interne, nous ne connaissons aucune méthode d'évaluation directe de ce processus, nous ne pouvons donc utiliser que des épreuves indirectes: les examens fonctionnels des réflexes vestibulo-oculaire (RVO) et vestibulospinal (RVS). Or, malgré les avancées de la recherche vestibulaire, il reste difficile de prévoir ces attaques de vertiges parce que nos examens ne sont pas assez sensibles pour détecter les fines anomalies associées à la MM [1-3].
     Mais maintenant, nous pouvons proposer une nouvelle stratégie d'examen adaptée à la détection des événements qui précèdent les périodes vertigineuses grâce à la stabilométrie et plus particulièrement grâce à une amélioration des techniques d'analyse du signal stabilométrique.
     Traditionnellement en effet, la qualité du contrôle de la posture orthostatique d'un sujet est vérifiée par l'enregistrement de son centre de pression (CdP) grâce à une plate-forme de forces. Mais jusqu'à présent, la stabilisation du corps n'était évaluée que par l'ampleur des déplacements du CdP, leur vitesse, leur dispersion, leur position et le spectre de leurs oscillations [4]. Cependant le système postural de l'homme est complexe, il utilise des informations sensorielles multimodalitaires, intégrées dans des boucles de contrôle en rétroaction, ce qui laisse supposer que la série temporelle des événements moteurs du contrôle postural, enregistrée par la plate-forme, puisse présenter un aspect faussement non-déterministe. Effectivement, il a été montré que les signaux stabilométriques proviennent d'un système dynamique non-linéaire [5, 9, 22-29]. La recherche de la meilleure analyse possible du signal stabilométrique est donc orientée vers celle qui est spécifiée par la nature dynamique non-linéaire du système dont il est issu. Ce genre de technique a d'ailleurs déjà fourni la preuve de son intérêt en pratique clinique [6, 7, 13].
     La procédure fondamentale de l'analyse dynamique non-linéaire consiste à représenter la série temporelle des états du système dans un espace des phases; un point de cet espace représentant l'état du système à un instant t. Pour construire la série temporelle des états successifs du système on utilise, en général, un délai temporel fixe [8]. L'indice de similitude de Le Van Quyen [5, 9, 13] que nous utilisons construit, au contraire, la série temporelle des états du système non à partir d'intervalles fixes, mais à partir des intervalles, irréguliers, qui séparent le passage de la dynamique du système par des événements identiques.
     Le but de cette étude consiste donc à vérifier que cet "indice de similitude de Le Van Quyen" est capable de détecter les changements cachés du système postural avant les attaques vertigineuses de la MM. Ce qu'aucun test n'est susceptible de faire jusqu'à présent.

Matériels et Méthodes

1. Protocole
1.1. Variabilité déterministe de l'indice de similitude
     Pour se servir de l'indice de similitude pour détecter les événements cachés, non-stationnaires, qui précèdent les attaques de vertige, il est indispensable de connaître déjà la variabilité déterministe de cet indice chez le sujet sain. Pour cela, onze sujets sains ont été enregistrés cinq fois sur plate-forme de stabilométrie, à intervalles bihebdomadaires. Nous avons choisi le dernier essai, c'est-à-dire le cinquième, comme enregistrement de référence à comparer avec chacun des quatre autres. L'indice de similitude de ces quatre comparaisons a été calculé en situation YO et YF, pour les X et pour les Y.
1.2. Détection des changements qui surviennent avant l'attaque de vertige.
     Pour détecter les changements qui surviennent avant l'attaque de vertige des patients atteints de MM, il est indispensable de choisir une période de référence au cours de laquelle le patient est dans un état aussi 'normal' que possible. Nous avons admis comme critère de normalité l'absence de toute attaque de vertiges au cours d'une période de 3 mois, c'est à dire un mois et demi avant et après la période choisie comme 'normale'. Cette période de référence ayant été définie et les enregistrements stabilométriques du patient au cours de cette période ayant été faits, nous avons enregistré les patients chaque semaine pendant des mois, en attendant la survenue d'attaques vertigineuses. Nous avons alors calculé les indices de similitude entre l'enregistrement de la période de référence et chacun des enregistrements hebdomadaires de surveillance, en situation YO et YF, pour les X et pour les Y.
     Nous avons aussi étudié les changements des paramètres conventionnels sur les mêmes enregistrements pour vérifier que ces paramètres étaient aussi capables, ou non, de détecter des modifications de fonctionnement du système postural dans les jours précédents l'attaque de vertiges.

2. Sujets
2.1. Sujets sains
     Onze sujets sains (cinq femmes et six hommes) de 22 à 46 ans (moyenne : 36.5), qui n'avaient aucun symptôme et/ou aucune histoire de déséquilibre, ont constitué le groupe contrôle pour cette étude.
2.2. Patients
     Huit patients, cinq femmes et trois hommes, âgés de 29 à 47 ans (moyenne 40.9), ont été sélectionnés par ce qu'ils étaient atteints de MM précédemment diagnostiquée à l'université Shinshu de Matsumoto, selon les critères traditionnels. La durée de leur histoire de vertiges s'étendait de 6 mois à 2 ans (médiane 10 mois). Les données cliniques de ces patients sont récapitulées au tableau 1. Tous ces patients remplissaient les critères du Comité Japonais de recherche sur les maladies [10].
     Les sujets des deux groupes étaient tous des volontaires, ils ont donné leur consentement éclairé avant leur participation à ces études.

Patient
Sexe
Age
Côté
Perte auditives
(dB)
Test calorique
Suivi
Nombre d'attaques

pendant l'expérience

No. 1
M
47
D
D40.8 G 22.5
MCP (D)
1an
19
No. 2
M
38
D
D 22.5 G 13.5
MCP (D)
8 mois
3
No. 3
F
47
D
D 38.3 G 10
SCP (D)
1 an
6
No. 4
M
30
G
D 2.5 G 27.5
MCP (G)
1.5 an
5
No. 5
F
47
D
D 14.2 G 11.7
MCP (D)
6 mois
2
No. 6
F
44
D
D 16.7 G 15
MCP (D)
8 mois
3
No. 7
F
29
G
D 6.3 G 35
MCP (G)
6 mois
4
No. 8
F
45
G
D 15 G 16.7
MCP (G)
6 mois
4

Tableau 1 — Résumé des données cliniques des patients
M=homme; F=femme; D=droit; G=gauche; MCP= parésie canalaire moderée; SCP= parésie canalaire severe.

3. Procédure d'enregistrements stabilométrique
     Les enregistrements stabilométriques ont été exécutés au moyen d'une plate-forme de force à jauges de contrainte (AFP4Ø/16, Midi Capteurs, France). Cette plate-forme peut mesurer une différence de force de ± 0.2 N, ce qui correspond à un mouvement du CdP de ± 0.1 mm. Les positions successives du CdP ont été échantillonnés pendant 51.2 secondes à une cadence de 40 Hz, par un micro-ordinateur [5].
    Les sujets ont été enregistrés dans les conditions standardisées déterminées par l'Association Française de Posturologie [11]: debouts, nu-pieds, bras détendus confortablement le long du corps. La cible visuelle était placée à 90 cm du sujet, illuminée à 2.000 lux. Les sujets ont subis deux enregistrements consécutifs de 51.2 secondes: (a) yeux ouvert (YO) et (b) fermés (YF). Pour maintenir leur vigilance, on a exigé que les sujets fassent un calcul mental pendant l'enregistrement.

3.1. Paramètres conventionnels
     Les paramètres conventionnels retenus pour cette étude sont: la longueur totale, sa composante latérale (longueur en X), sa composante antéro-postérieure (longueur en Y) et la surface de l'ellipse de confiance à 90 % [12]. Les valeurs normales de ces paramètres conventionnels dans les susdites conditions proviennent d'enregistrements de 52 volontaires sains (tableau 2).

YO
YF
Longueur (mm)
476,1 (117,6)
592 (158,2)
Surface (mm2)
195,6 (93,6)
272 (181,6)
Longueur en X (mm)
285 (86,4)
330,8 (102,6)
Longueur en Y (mm)
319 (73,6)
426,8 (114,6

Tableau 2 — Valeurs des paramètres conventionnels observées chez des sujets sains avec la plate-forme AFP4Ø/16 (moyenne (ET), N=52)

3.2. Paramètre non-linéaire
    Dans cette étude, nous avons utilisé la méthode d'analyse non-linéaire, appliquée par Le Van Quyen et Coll. à la prévision des crises d'épileptie. [13]. C'est une mesure de la ressemblance de la dynamique d'un système entre deux fenêtres de temps éloignées. L'intérêt de ce type de mesure relative a été discuté dans un plusieurs travaux théoriques récents [14, 15]; elles présentent un pouvoir de discrimination plus élevé que d'autres techniques non-linéaires actuelles.
      Pratiquement, la série temporelle expérimentale est préfiltrée entre 0.02-2.5 Hz, puis réduite à une pure information de phase en construisant la séquence des intervalles de temps entre les maximums successifs du signal (fig. 1A). Soit Tn le temps du nième maximum, alors In=Tn+1-Tn définit l'intervalle de temps entre deux maximums successifs


[D'un point de vue théorique, ces intervalles de temps-là peuvent être interprétés comme la phase du flux du système dans une section de Poincaré [16]] .


     Cette méthode permet d'obtenir une composante dynamique pure en évitant toutes les contaminations importantes de l'information dynamique en rapport avec les bruits de l'amplitude du signal.
     A partir de la séquence de ces intervalles, on construit le vecteur An = (In, In+1, ,In+m-1), que définit la dimension m de l'espace des phases. Nous avons choisi m=8, parce qu'au-delà de huit, l'indice de similitude avait la même valeur que pour m=8, alors qu'en dessous de 8, il évoluait selon la valeur de m; ce qui permet de supposer que la valeur optimale de dimension de l'espace des phases, dans cette étude, est m=8.
     Soit Srf et St les deux fenêtres distantes, à comparer, d'une série temporelle, Srf fenêtre de référence; St fenêtre à lui comparer; pour mesurer la similitude entre ces deux fenêtres (fig. 1 B), nous avons utilisé l'intégrale de corrélation mutuelle qui fournit la probabilité de trouver des points de Srf dans une certaine zone de proximité des points de St, la dimension de cette zone étant donnée par la distance "r".[14].


Où :

- est la fonction de Heaviside,

- || || représente la norme Euclidienne,
- Nrt (resp. Nt) donnent le nombre d'éléments dans chaque ensemble.

     Pour améliorer le pouvoir discriminant entre les deux dynamiques, nous avons modifié cette mesure en introduisant un rapport entre les corrélations, rapport qui définit l'indice de similitude (Sim) :




FIG 1 — Quantification de la similitude dynamique entre deux séries temporelles

Exemple de quantification de la similitude entre une série temporelle de référence (Wrf) et une série d'essai (Wt), sur l'axe des abscisses, [X (t)].
A) montre comment est constituée la séquence des intervalles de temps, entre les maximums successifs du signal. Les vecteurs sont formés de ces intervalles entre deux maximums successifs: In, In+1, In+2,…
B) représente une reconstruction multidimensionnelle de la dynamique dans un espace des phases, ici à trois dimensions, In, In+1, In+2, pour permettre une représentation figurée; en fait dans notre étude nous avons utilisé un espace à 8 dimensions; m=8. Les cercles ouverts et les croix figurent les nuages dynamiques des fenêtres, de référence et de test. Ensuite, la comparaison des deux dynamiques dans l'espace de phase est faite par le calcul de l'indice de similitude.

     Nous avons utilisé cette procédure dans les situations yeux ouverts et yeux fermés, pour les stabilogrammes droite-gauche (similitude en X) et antéro-postérieur (similitude Y).
Ce calcul peut être exécuté sur un ordinateur individuel à l'aide de l'algorithme de Le Van Quyen et de fonctions de MATLAB (Math Works Inc.).

4. Détermination des "seuils" de prédiction de l'attaque de vertige

     A partir d'une étude de la distribution des indices de similitude et des paramètres stabilométriques conventionnels, chez le sujet sain, ont été déterminées les limites des variations aléatoires de ces indices et paramètres, puis les valeurs "seuils de prédiction".
     Les moyennes et écarts-types des quatre comparaisons par l'indice de similitude, en X et en Y, chez les sujets sains, sont donnés au tableau 3, ainsi que la comparaison de ces moyennes par une ANOVA.

Semaines
Indice de similitude 1 2 3 4 ANOVA
Yeux ouverts
Similarité en X 0,877 (0,139) 0,853 (0,093) 0,858 (0,143) 0,796 (0,162) F=0,82, P=0,49
Similarité en Y 0,889 (0,109) 0,925 (0,064) 0,923 (0,079) 0,877 (0,131) F=0,63,P=0,60
Yeux fermés
Similarité en X 0,879 (0,167) 0,914 (0,112) 0,827 (0,162) 0,856 (0,107) F=0,99,P=0,41
Similarité en Y 0,934 (0,077) 0,926 (0,067) 0,894 (0,090) 0,885 (0,118) F=1,21, P=0,32

Tableau 3 — Moyenne (E-T) de l'indice de similitude de chacune des quatre comparaisons des sujets normaux (n=11).

     Les moyennes et écarts-types des paramètres conventionnels des quatre premiers enregistrements des sujets sains sont données au tableau 4, ainsi que la comparaison de ces moyennes par une ANOVA.

Semaines
Paramètres Conventionels
1
2
3
4
ANOVA
Yeux ouverts
Longueur totales (mm)
434,4 (118,4)
449,2 (95,8)
439,8 (97,2)
443,4 (121,2)
F=0,19, P=0,90
Surface (mm2)
198,5 (184,4)
163,6 (127,2)
222,0 (122,8)
172,0 (75,2)
F=1,33, P=0,28
Longueur en X (mm)
257,2 (72,7)
276,8 (60,8)
276,2 (72,1)
281,9 (103,8)
F=0,54, P=0,66
Longueur en Y (mm)
296,6 (88,6)
303,0 (79,1)
293,6 (68,8)
290,8 (59,1)
F=0,43, P=0,73
Yeux fermés
Longueur (mm)
535,4 (190,0)
546,8 (170,2)
521,6 (126,4)
541,0 (145,0)
F=0,33, P=0,80
Surface (mm2)
334,4 (469,6)
210,9 (137,3)
231,5 (165,2)
289,3 (254,4)
F=1,15, P=0,37
Longueur en X (mm)
286,6 (87,0)
325,7 (113,6)
302,6 (85,2)
314,8 (96,4)
F=2,32, P=0,07
Longueur en Y (mm)
392,6 (160,5)
388,0 (128,2)
373,0 (98,8)
387,2 (106,2)
F=0,27, P=0,85

Tableau 4 — Moyenne (E-T) des paramètres conventionnels des quatre premiers enregistrements des sujets normaux (n=11).

      L'analyse de variance n'ayant pas montré de différences significatives entre les moyennes des indices de similitude des quatre comparaisons, l'ensemble de ces données a fait l'objet d'une analyse descriptive dont les résultats sont donnés au tableau 5.

Yeux ouverts
Yeux fermés
Similarité en X
0.846 (0.134)
0.869 (0.14)
Similarité en Y
0.904 (0.098)
0.910 (0.09)

Tableau 5 — Moyenne (E-T) des indices de similitude de toutes les comparaisons chez les sujets sains (n=44).

      A partir de ce tableau, nous avons admis que le seuil de prédiction d'une attaque de vertige par l'indice de similitude pouvait être fixé à plus ou moins quatre écarts-types de la moyenne. Si l'indice de similitude en X ou en Y dépassait ce seuil alors nous considérions que la variation détectée annonçait la survenue d'une attaque de vertiges.

      Pour définir les limites des variations aléatoires des paramètres conventionnels nous avons utilisé les données du tableau 2 qui rapporte la moyenne et l'écart-type de chacun des paramètres, observés dans une population de 52 sujets sains.
     A partir de ce tableau 2, nous avons admis que la limite des variations aléatoires des paramètres conventionnels pouvait être fixée à plus ou moins deux écarts-types de la moyenne. Si au moins deux paramètres dépassaient ce seuil alors nous considérions que les variations détectées annonçaient la survenue d'une attaque de vertiges.
Le tableau 6 donne les différentes valeurs limites des variations aléatoires au-delà desquelles la survenue d'une attaque de vertige pouvait être prévue.

Yeux ouverts
Yeux fermés
Non linéaire Moyenne + 4 E-T
Similarité en X
0.310
0.309
Similarité en Y
0.512
0.550
Conventionnels Moyenne +2 E-T
Longueur totale (mm)
711.4
908.4
Surface (mm2)
382.8
635.2
Longueur en X (mm)
457.8
536
Longueur en Y (mm)
466.2
656


Tableau 6 — Seuils de prédiction des attaques de vertige.
Le seuil de prédiction des attaques de vertige était fixé à quatre écarts-types en dessous de la moyenne pour les indices de similitude et à deux écarts-types au-dessus de la moyenne pour les paramètres conventionnels.

5. Prévision d'une attaque de vertiges

      La prévision d'une attaque de vertiges est illustrée par la figure 2. Ce patient était atteint d'une MM de l'oreille droite. On peut constater que la simple inspection du stabilogramme de ce patient en période pré-ictale ne permet pas de déceler la moindre différence par rapport à un stabilogramme de période intermédiaire. Par contre les comparaisons des stabilogrammes avec le stabilogramme de la période de référence par les indices de similitude sont significativement différentes.


FIG. 2 — Caractérisation de la similitude entre la dynamique de la période de référence (nuage de croix) et la dynamique d'une période de test (nuage de cercles ouverts).
Dans ces nuages de points de l'espace des phases, la similitude peut être vue comme le rapport du nombre de points communs au nombre total de points. Si le signal stabilométrique est stationnaire (A: Période intermédiaire), on ne trouve aucune différence dans les propriétés statistiques de ces nuages et l'indice de similitude est proche de 1. Au contraire, si des changements de l'état dynamique se produisent (B; période pré-ictal), l'indice de similitude entre les deux nuages diminue.

6. Analyses statistiques

     La variabilité intra-sujet de chaque paramètre a été évaluée par une ANOVA à un facteur avec mesures répétées de sorte qu'aucun paramètre n'a montré un effet temps significatifs.

      Des tableaux de contingence croisant les faits, prédits et observés, ont été dressés à partir des prédictions fournies par l'analyse dynamique non linéaire et à partir des prédictions fournies par les paramètres conventionnels.

     Quatre combinaisons sont possibles: L'examen peut prévoir:
- Une attaque qui a lieu effectivement: Vrai Positif (VP)
- Une absence d'attaque qui se vérifie: Vrai Négatif (VN)
- Une attaque, mais elle n'a pas lieu: Faux Positif (FP)
- Une absence d'attaque qui ne se vérifie pas: Faux Négatif (FN)

      Une mesure est considérée comme vraie positive si elle a été capable de prévoir l'occurrence d'une attaque vertigineuse dans les trois jours.

      La Comparaison de la distribution de ces tableaux avec une distribution strictement aléatoire a été faite par un test du Chi2. Le critère de signification statistique était fixé à p < 0.05.



A partir des données de ces tableaux de contingence ont été calculés:

- La "sensibilité", pourcentage des vrais positifs par rapport au total des attaques.
- La "spécificité", pourcentage des vrais négatifs par rapport au total des Non-Attaques
- Le "taux de succès", pourcentage des prédictions correctes (Vrai positif + Vrai négatif) par rapport au total général des prédictions.
- "L'indice critique de succès", pourcentage des vrais positifs par rapport à la somme des vrais positifs, faux positifs, faux négatifs.

Résultats

La prédiction de l'attaque de vertige

L'évolution de l'indice de similitude du patient N°1 est présentée sur la figure 3. La chute de la valeur de l'indice de similitude à l'approche des attaques de vertiges est tout à fait caractéristique. Les paramètres conventionnels de ce patient n'ont pas pu être utilisés pour prédire l'apparition des attaques de vertiges car ils étaient continuellement anormaux.



Évolution de l'indice de similitude du patient N° 1
Les flèches dirigées vers le bas représentent le début des attaques vertigineuses. Les lignes horizontales, continues et pointillées, correspondent aux valeurs moyennes de l'indice de similitude moins quatre écarts-types, en situations yeux ouverts et yeux fermés, respectivement. On constate que la similitude en X ou en Y a tendance à diminuer significativement avant le début d'attaques vertigineuses.

     Au cours de cette étude prospective de 8 patient atteints de MM, nous avons pratiqué 67 enregistrements dont 17 ont été réalisés dans les trois jours précédants une attaque de vertige. 12 fois l'indice de similitude a prévu cette attaque (Sensibilité: 70.6 %). Des 50 enregistrements non suivis d'une attaque, 44 fournissaient un indice de similitude normale (Spécificité : 88 %).
Le taux de succès était donc de 83.6% et l'indice critique de succès de 52.2 %.
Le tableau de contingence entre les prédictions fournies par les données non-linéaires et les événements réels présente un Chi2=22,16 (p < 0.002)

Indice de similitude

supérieur au seuil

Occurrence d'une attaque de vertiges
Oui
Non
Oui
12
6
Non
5
44

TAB 7 — Tableau de contingence du pouvoir de prédiction de l'indice de similitude. (Chi2=22,16; p<0,001)

     A l'inverse, les paramètres conventionnels des17 enregistrements réalisés dans les trois jours précédants une attaque de vertige n'étaient anormaux que dans 8 cas seulement (Sensibilité: 47.1 %). Alors que les 50 enregistrements non suivis d'une attaque, n'avaient de valeurs normales que dans 37 cas (Spécificité: 63.8 %).
Le taux de succès était 60 % et l'indice critique de succès de 21.1 %.
Le tableau de contingence entre les prédictions fournies par les paramètres conventionnels et les événements réels présente un c2=2,6 (ns).

Paramètres conventionnels anormaux Occurrence d'une attaque de vertiges
Oui
Non
Oui
8
13
Non
9
37

TAB 8 — Tableau de contingence du pouvoir de prédiction des paramètres conventionnels. (Chi2=0,65; ns)

     La figure 4 récapitule les prédictions d'attaques de vertiges par les analyses non-linéaires chez les 8 patients.




FIG 4 — Résumé du pouvoir de prédiction de l'indice de similitude observé chez les 8 patients.

Discussion

      Il y a eu quelques tentatives de prédiction des attaques de vertige de la MM, soit par l'observation du nystagmus provoqué en secouant la tête [18], soit par l'analyse de l'évolution des symptômes subjectifs [17]. Mais les tests basés sur le réflexe vestibulo-oculaire perdent de leur sensibilité lorsque la fonction vestibulaire est redevenue normale ou s'est adaptée [1]. On a dit que les paramètres stabilométriques des MM en période intermédiaire étaient anormaux [1 2 & 3] ce qui laisse entendre que ces paramètres conventionnels sont bien incapables de prédire l'arrivée d'une attaque de vertiges, comme nos résultats le confirment.
      A l'inverse, dans les jours précédants une attaque de vertige de la maladie de Ménières, il est possible de détecter des modifications de la dynamique du système de contrôle postural par une analyse non-linéaire du signal stabilométrique; 12 des 17 crises de vertige observées ont été prévues dans les 3 jours précédant la crise. Les changements observés au cours de la période précritique sont caractérisés par une réduction significative de l'indice de similitude entre les enregistrements pratiqués au cours de cette période et les enregistrements pratiqués en période de référence. Ces changements seraient en rapport avec une diminution de la complexité du système.
     L'indice de Le VanQuyen vérifie directement la similitude dynamique entre deux séries temporelles plutôt que des différences entre des quantités évaluées séparément, au moyen, par exemple, de l'exposant de Lyapunov ou de la dimension de corrélation, il a été montré que cette façon de faire a des avantages significatifs [13].

Remerciements
Nous voulons remercier Jacques Martinerie et Michel Van Quyen (Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Imagerie Cérébrale CNRS UPR64O, Hôpital de la Salpêtrière, Paris, France) pour leur aide concernant la méthodologie d'analyse non-linéaire et André Maurice Ouaknine (Hôpital de La Timone, Marseille, France) pour son développement de la nouvelle plateforme de force, AFP40/16. Ce travail a été soutenu au Japon par une Subvention pour la Recherche Scientifique fournie par le Ministère de l'Education nationale, de la Science et de la Culture.

Bibliographie

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