«Système Postural d'Aplomb»: que signifie cette expression?

Pierre-Marie GAGEY
Institut de Posturologie, Paris

     Au sein de l'Association Française de Posturologie, puis de l'Association Posture et Équilibre, l'usage de l'expression: «Système Postural d'Aplomb» s'est répandu sans que soient bien définies les limites de signification de ce nouveau concept. Sage attitude d'ailleurs qui laissait toute leur labilité aux formulations des idées en travaux. Mais aujourd'hui la notion de Système Postural d'Aplomb est attaquée alors, pour éviter des batailles contre des moulins à vent, il faut prendre position, prendre le temps de dire avec précision, ou de lire, ce que signifie cette expression; la dispute n'en sera que plus fructueuse.


Le modèle du Système Postural d'Aplomb


     Parlant de «Système Postural d'Aplomb» nous voulons simplement dire que le contrôle postural s'adapte aux divers comportements de l'homme. Selon qu'il marche, par exemple, ou se tienne debout au repos, les mécanismes impliqués dans le contrôle de la posture diffèrent.
          Certes l'homme contrôle sa position dans l'environnement suivant un schéma opérationnel fondamental, commun à toutes les situations:

-     Il prévoit sa posture, et l'anticipe selon ce qu'il décide de faire,
-
     Il la surveille par les différentes exo- et endo-entrées de son système postural,
-
     Il la corrige par une activité musculaire, phasique et/ou tonique.

     Mais ce schéma global se prête à des modulations. L'adaptation du contrôle postural à la station debout au repos - spécifiée par ce comportement - se caractérise par une prédominance de l'activité tonique, une discontinuité du fonctionnement des entrées, une prédominance de la boucle de rétroaction.


Dominance de l'activité tonique


     Dire que l'activité musculaire tonique est spécialement importante au cours d'un comportement qui ne s'accompagne pas de mouvement cela relève de la tautologie! Mais le corollaire clinique de cette dominance tonique n'est pas aussi évident, lui, et mérite d'être dit. Lorsque le système qui contrôle cette activité tonique «debout au repos» est déréglé, alors on peut s'attendre non seulement à des difficultés pour tenir debout - comme des instabilités, sensations vertigineuses, vertiges -, mais aussi à des contraintes mécaniques anormales de diverses articulations de l'axe corporel, dues à la répartition anormalement asymétrique du tonus, et qui s'expriment par des douleurs de cet axe corporel.


Discontinuité du fonctionnement des entrées du système postural


     Trois entrées du système postural présentent des discontinuités de fonctionnement entre les comportements de repos et de mouvement: l'entrée vestibulaire, l'entrée proprioceptive et l'entrée plantaire extéroceptive.


Le silence des canaux semi-circulaires
     Théoriquement, en l'absence totale de mouvement, les accélérations qui agissent sur le capteur vestibulaire se réduisent à la seule accélération de gravitation, perçue par les statoconies, uniquement. Ainsi entre les comportements associés à des mouvements et le comportement de la station debout au repos se situe une discontinuité majeure du fonctionnement de l'entrée vestibulaire du système postural: au repos les canaux se taisent. Et cette discontinuité théorique est confirmée par l'expérience: les oscillations posturales de la station debout engendrent des accélérations inférieures au seuil de perception des canaux semi-circulaires.
     L'examen de la fonction canaliculaire d'un patient ne permet donc pas de prédire sa capacité à tenir debout.


Le gain des fuseaux neuromusculaires
     La fréquence de décharge des fuseaux neuromusculaires en fonction de leur étirement ne varie pas d'une manière continue. Le rapport de cette fréquence de décharge à l'étirement, c'est-à-dire le «gain» des fuseaux neuromusculaires, est beaucoup plus élevé - jusqu'à dix fois plus élevé - pour des étirements de l'ordre du dixième de millimètre que pour des étirements de l'ordre du millimètre. Et les mesures biomécaniques montrent que les déplacements du centre de pression au cours de la station debout au repos provoquent normalement des étirements musculaires plus proches du dixième de millimètre que du millimètre, ce qui n'est pas le cas au cours de la marche (Système Postural d'Action). Cette discontinuité du gain des fuseaux neuromusculaires confère une importance particulière aux informations proprioceptives au cours de la station debout au repos.


La durée de l'information extéroceptive plantaire
     La durée de l'information extéroceptive plantaire est modulée par le comportement adopté par le sujet. On connaît assez bien, par exemple, le déroulement des appuis plantaires au cours de la marche, il ne se résume pas en une simple alternance droite gauche, mais il passe du talon au bord externe du pied avant de revenir vers l'intérieur pour s'achever sur le premier rayon. Rien de tel au cours de la station debout au repos, à la discontinuité de la durée des informations extéroceptives plantaires, caractéristiques de la marche, succède une relative continuité dans la durée tout au cours de la station debout au repos. On conçoit que le système postural au cours de la marche (Système Postural d'Action), du fait de cette discontinuité des informations plantaires, cherche ses repères du côté «du plateau inertiel de guidage» selon le joli terme utilisé par Berthoz pour désigner l'ensemble des capteurs posturaux céphaliques. Mais au cours de la station debout au repos le système postural peut aussi se fier aux informations extéroceptives plantaires continues et apparemment il le fait.


Prédominance des boucles de rétroaction


     Lorsque l'homme marche et davantage encore lorsqu'il court, il lui faut regarder devant lui pour voir les obstacles éventuels et prévoir ses réactions d'évitement (Système Postural d'Action). Cette image illustre notre propos: dans un comportement dynamique il est nécessaire d'anticiper, bien plus que dans un comportement de repos. Nous ne savons pas s'il est possible de formaliser mathématiquement les exigences mécaniques d'anticipation propres au maintien de l'équilibre dans des situations dynamiques. Par contre nous savons que la stabilisation de la masse corporelle d'un homme debout au repos pose un problème mécanique beaucoup plus simple, entièrement résolvable par les boucles en rétroaction d'un système du deuxième ordre.
     Cette prédominance des boucles de rétroaction au cours de la station debout au repos rend compte de la prévalence des «pathologies chaotiques» au cours des dérèglements de ce comportement. Car les systèmes récursifs sont soumis au risque chaotique. Les solutions d'une équation récursive peuvent être linéaires, périodiques ou chaotiques selon les valeurs de ses coefficients et il suffit d'une modification minime d'un coefficient pour basculer d'une solution linéaire à une solution chaotique (effet papillon de Lorentz).

     Le modèle du système postural d'aplomb introduit donc une nouvelle étiologie qui complète l'étiologie topologique du modèle anatomo-clinique de Charcot. À côté des «pathologies lésionnelles» de la fin du XIXe il faut désormais faire la place aux «pathologies chaotiques» de la fin du XXe siècle. Les fonctions du système nerveux central ne sont pas construites selon des logiques infaillibles, leurs structures logiques, dans certains cas, peuvent se trouver en défaut et entraîner l'apparition de ces maladies nerveuses sans lésions, dites «fonctionnelles».


L'histoire du Système Postural d'Aplomb


La dialectique du modèle de Charcot
     L'histoire du Système Postural d'Aplomb commence avec Charcot. Lorsque dans les années 1860-70, en effet, ce médecin a retenu la correspondance entre la topologie d'une lésion et la symptomatologie d'une affection pour décrire les maladies du système nerveux il a, du fait même de cette décision, exclut les maladies sans lésions de ce qui s'est appelé depuis la Neurologie.
     L'aspect réducteur de cette démarche n'a vraisemblablement échappé ni à Charcot lui-même, ni à ses élèves. Du moins les débats, les écrits ultérieurs sur l'hystérie, le pithiatisme, les «troubles nerveux d'ordre réflexe» peuvent être interprétés comme des tentatives, infructueuses, de répondre à l'irritante question posée par ces maladies sans lésions, rebelles au modèle anatomo-clinique.


L'intersubjectivité fonde l'objectivité
     La Grande Guerre de 14/18 a débloqué la réflexion des élèves de Charcot, quelque peu empêtrée dans des discussions byzantines, en leur présentant une question précise, concrète et lourde de conséquences humaines: que faire des «poilus» traumatisés crâniens? Cherchent-ils à échapper aux tranchées - ou au peloton d'exécution - en alléguant toutes sortes de plaintes irréelles? La question était suffisamment grave pour que la Société de Neurologie l'inscrive au programme de ses journées du 6 et 7 Avril 1916, pour que le Ministre des Armées y soit invité. Or au cours de cette réunion s'est dégagé un consensus entre tous les participants, et quels participants: Pierre Marie - le rapporteur -, Babinski, Froment, Villaret, Sicard, Guillain, Lortat-Jacob, Clovis Vincent, Roussy, Laignel-Lavastine, André Thomas, Grasset et autres pères fondateurs de la neurologie française. Ils constatent explicitement que «les descriptions par tous les sujets sont absolument identiques, faites avec les mêmes expressions» Cette similitude entre les discours des patients engendre l'intuition que «quelque chose ne marche pas» après un traumatisme crânien, quelque chose que les médecins alors n'arrivent pas à nommer mais qui n'est pas de l'hystérie ou du pithiatisme.

     L'intersubjectivité est unanimement acceptée comme base de l'objectivité du Syndrome subjectif des traumatisés crâniens.


Les bases objectives du Syndrome Post-Commotionnel
     Cette réunion de la Société de Neurologie fonde la recherche des bases objectives du syndrome post-commotionnel. Et, effectivement, dès les mois suivants la réunion, on voit paraître des publications sur les rapports entre la fonction canaliculaire et le Syndrome Post-Commotionnel. Mais cette piste s'avère infructueuse et il faudra attendre des années et la multiplication de recherches dans des secteurs aussi différents que la biomécanique, l'anatomo-pathologie, l'histo-pathologie, la stabilométrie, la clinique posturale pour que s'impose l'évidence que le Syndrome Post-Commotionnel est le prototype des maladies du système postural d'Aplomb (Voir sur cette page: Articles Anciens / Le Syndrome Post-Commotionnel, cinquante d'évolution des idées).


Le prototype des maladies du Système Postural d'Aplomb

     Les travaux sur le Syndrome Post-Commotionnel ont été le creuset où s'est forgé la notion de Système Postural d'Aplomb, pour deux raisons:
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     D'une part, ils ont montré que le Syndrome Post-Commotionnel, cliniquement très différent des atteintes de l'équilibre dynamique est un dérèglement de la station debout.
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     D'autre part, à la base du Syndrome Post-Commotionnel et de ses traitements, ils ont mis en évidence «l'effet papillon», caractéristique des pathologies chaotiques.


Névrite vestibulaire et Syndrome Post-Commotionnel
     Bien avant les travaux de stabilométrie sur le Syndrome Post-Commotionnel, les otoneurologues avaient identifié et décrit des atteintes de l'équilibre dynamique comme les Névrites Vestibulaires (Système Postural d'Action), par exemple. Et déjà en 1935, Rademaker faisait remarquer que ces malades, passée la tornade initiale, étaient incapables de marcher sur un rail mais tout à fait capables d'exécuter normalement une épreuve de Romberg. Dès cette époque, on pouvait penser que les épreuves fonctionnelles vestibulaires ne permettent pas de préjuger de la capacité d'un patient à se tenir debout au repos.

     Réciproquement les études de la fonction canaliculaire au cours des Syndromes Post-Commotionnels ont toujours montré qu'elle était normale mais, avant la stabilométrie, on était incapable de savoir que le comportement de station debout au repos est statistiquement anormal dans les suites des traumatismes crâniens fermés mineurs.

     Les médecins ont toujours compris que les Syndromes Post-Commotionnels ne sont pas des Névrites Vestibulaires, il n'y a pas besoin d'un grand sens clinique pour les distinguer! Mais aujourd'hui, compte tenu de l'extension de nos capacités d'observation, nous ne pouvons pas nous empêcher de désigner l'atteinte d'un comportement différent derrière chacune de ces affections différentes.


L'effet «Papillon» de Lorentz
     Pourtant cette évidence a encore de la peine à s'imposer. Les esprits de certains médecins, raisonnablement convaincus de la puissance du modèle de Charcot, voudraient voir une preuve tangible, une vraie «lésion» du Syndrome Post-Commotionnel à la base de cette atteinte présumée du comportement orthostatique. Or, on ne la montre pas. Les seuls documents histopathologiques qu'on leur présente ne font pas le poids: comment accepter que la destruction de quelques neurones ici et là dans quelque formation tronculaire provoque cette tornade de symptômes qui caractérise le Syndrome Post-Commotionnel? Et le doute redouble lorsque sont évoqués les traitements posturaux de ces affections: port de prisme d'une ou deux dioptries prismatiques, interposition de «gouttières» de quelques millimètres d'épaisseur entre les dents, mise en place de reliefs de stimulation pas plus épais sous la plante des pieds. Partout, dans le Syndrome Post-Commotionnel comme dans les autres pathologies posturales, on retrouve cette absence de proportionnalité entre les causes et les effets; absence de proportionnalité qui se nomme «non-linéarité» en mathématiques, «chaos» dans certains cas particuliers.

     Accepter de reconnaître ce qu'on observe est - ici - lourd de conséquences théoriques. Non seulement on accepte de ce fait que la dynamique du système qui contrôle la station debout au repos soit «non linéaire» mais encore on postule que puisse exister une étiologie des maladies du système nerveux autre que la lésion. Une cause cachée dans les failles des systèmes récursifs. La logique de ces systèmes, en effet, veut qu'une modification mineure d'un de leurs paramètres puisse entraîner des conséquences disproportionnées. «Un papillon bat des ailes au Brésil et une tornade se déclenche au Texas» disait Lorentz.


Conclusion

     Charcot a eu raison d'utiliser le modèle anatomo-clinique pour mettre de l'ordre dans les maladies du système nerveux. En séparant d'un côté les maladies avec lésion et de l'autre les maladies sans lésion, il a implicitement posé des questions qui ont abouti à la naissance de la psychanalyse et de la posturologie.
     Le modèle du Système Postural d'Aplomb structure la posturologie clinique en formalisant la découverte des médecins au cours de cette histoire: le contrôle postural s'adapte aux divers comportements de l'homme; il est très particulièrement spécifié par son objet dans le cadre de la station debout au repos qui en développe considérablement les aspects toniques et récursifs.

(Le 10 juillet 2007, j'ai remplacé le terme ancien de «Système Postural Fin» par celui de «Système Postural d'Aplomb» car il est préférable de désigner un système par sa fonction (maintenir l'aplomb) plutôt que par une de ses propriétés (la finesse) dit B. Weber, et il a raison)

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