Le Mystère «Posture-Ventilation»

Pierre-Marie GAGEY
Institut de Posturologie, Paris



   Il y a un mystère «posture-ventilation»: tantôt le rythme ventilatoire apparaît, tantôt il n´apparaît pas sur les tracés posturographiques, sans qu´on sache pourquoi.

   Je pense que ce mystère cache des choses intéressantes non seulement pour les fondamentalistes, mais aussi pour les thérapeutes; il faut s´y intéresser. Malheureusement le nouveau paramètre d´amplitude normalisée 0,2 Hertz n´est qu´un moyen pour étudier ce problème, il n´en donne pas la solution.

   L´homme respire, même lorsqu´il est sur une plate-forme de stabilométrie. Et ces mouvements de ventilation peuvent concerner le contrôle de la posture orthostatique.

   On sait, en effet, que l´amplitude des mouvements ventilatoires est nettement plus importante que l´amplitude des oscillations posturales; ces dernières sont de l´ordre du millimètre alors que les mouvements de ventilation sont de l´ordre du centimètre.

   De plus la masse des parties du corps mobilisées par les mouvements de ventilation est loin d´être négligeable: le foie, l´estomac et par son intermédiaire une partie du tractus digestif, les poumons, le coeur, la cage thoracique et son complexe ostéo-musculo-ligamentaire.

   Il est possible d´émettre l´hypothèse que les mouvements de ventilation puissent modifier la position du centre de gravité du corps et par conséquent concerner le contrôle postural.

   De fait de nombreuses équipes de chercheurs, en France avec Bouisset & Duchêne (1994), Vuillerme & Rougier (1997), en Amérique avec Hunter & Kearny (1981), au Japon avec Watanabe (1976), ont montré qu´on pouvait toujours trouver la trace du rythme ventilatoire dans les enregistrements posturographiques ...Mais en utilisant des artifices!

   Watanabe et Vuillerme comparent les surfaces de sujets enregistrés dans deux situations différentes, avec et sans ventilation.

   Hunter et Bouisset font de l´alchimie mathématique: une moyenne de toutes les positions du centre de pression échantillonnées au même moment du cycle ventilatoire.

   Sans ces artifices, le rythme ventilatoire est mystérieux: tantôt il apparaît, tantôt il n´apparaît pas sur les tracés stabilométriques. Plus mystérieux et plus excitant encore: le rythme ventilatoire n´apparaît pas chez le sujet normal, il apparaît seulement chez certains malades.

   Il n´apparaît pas chez le sujet normal, Gurfinkel a été le premier à le montrer. (figure 1).


 FIG. 1 - Rythme ventilatoire et stabilogramme d´un sujet normal
1: Enregistrement des mouvements de ventilation,
3: Stabilogramme antéro-postérieur,
4: Stabilogramme droite-gauche,
2: Enregistrement goniométrique de l´articulation coxo-fémorale.
(D´après Gurfinkel et al., 1971)

 

 

  Le travail de Bouisset le confirme d´une manière particulièrement intéressante: sur un même signal stabilométrique il montre la présence du rythme ventilatoire grâce à son artifice de calcul, mais son absence sur les tracés conventionnels et même sur les analyses fréquentielles (figure 2 & 3).

 FIG. 2 - Signal stabilométrique moyenné au rythme de la ventilation
Si on fait la moyenne de toutes les positions du centre de pression échantillonnées au même moment du cycle ventilatoire alors le rythme de la ventilation apparaît chez tous les sujets, normaux ou non.
(D´après Bouisset et Duchêne, 1994)

 

 FIG. 3 - Analyse fréquentielle du signal stabilométrique d´un sujet normal.
Chez le sujet normal le rythme ventilatoire n´apparaît pas sur les analyses conventionnelles du signal stabilométrique, même sur les analyses fréquentielles. Le signal stabilométrique analysé sur cette figure est le même que celui qui a servi pour le moyennage de la figure 2; l´analyse fréquentielle est un spectre de puissance.
(D´après Bouisset et Duchêne, 1994)

 

   En 1986 une étude statistique du spectre d´amplitude de 100 sujets normaux nous a permis de montrer l´absence de pic de fréquence dans la bande du rythme ventilatoire (figure 4).

 FIG. 4 - Analyse statistique du spectre d´amplitude de 100 sujets normaux
Trait gras: valeurs moyennes de l´amplitude selon les fréquences;
Zone ombrée: étendue du décile 90.
(D´après Gagey, 1986)
 

   Mais ce rythme apparaît sur les tracés de certains malades. Gurfinkel l´a montré, le premier à notre connaissance (figure 5).

 

 FIG. 5 - Stabilogramme et rythme ventilatoire d´un patient
(d´après Gurfinkel et al., 1971)
 

   En 1986 une étude statistique du spectre d´amplitude de 30 patients lombalgiques nous a permis de montrer que cette population se distinguait de la population normale par la présence d´un magnifique pic de fréquence dans la bande 0,2 Hertz (figure 6).

 

 FIG. 6 - Analyse statistique du spectre d´amplitude de 32 patients lombalgiques
Trait gras: valeurs moyennes de l´amplitude selon les fréquences;
Zone ombrée: étendue du décile 90.
(D´après Gagey, 1986)
 

   Ce pic fondamental à 0,2 Hertz a été retrouvé par Guillemot et Duplan dans la cohorte de sujets lombalgiques qu´ils ont étudiée (1995). Nous l´avons retrouvé aussi dans des centaines d´enregistrements de malades examinés par Toupet.

   Le fait semble donc bien assuré maintenant: le rythme ventilatoire n´apparaît pas sur les tracés stabilométriques de sujets normaux, mais il apparaît sur les tracés de certains malades.

   Pour exprimer ce phénomène Gurfinkel a émis l´hypothèse qu´une «synergie» réduisait l´importance des oscillations posturales en rapport avec la ventilation, chez le sujet normal, et que cette synergie pouvait être mise en échec par certaines affections. C´est exactement ce que constate Kohen-Raz: l´amplitude des oscillations posturales dans la bande de fréquence 0,2 Hertz augmente chez certains malades (figure 7 & 8).

 FIG. 7 - Amplitude des oscillations posturales selon les bandes de fréquence chez le sujet normal
N= 21.
(D´après Kohen-Raz, communication personnelle)
 

 FIG. 8 - Amplitude des oscillations posturales selon les bandes de fréquence chez des patients diabétiques atteints de neuropathie
N= 9. (D´après Kohen-Raz, communication personnelle)
 

   Cette «synergie» est-elle coxo-fémorale comme le disait Gurfinkel ou beaucoup plus complexe, «respi-statique», comme Tardy (1994, 1997) le propose?

   Le problème reste à étudier et le paramètre d´amplitude normalisée 0,2 Hertz ne donne pas de solution, il n´explique rien du tout, il est simplement proposé pour pouvoir répondre à une question précise du clinicien: chez ce malade particulier que j´examine l´amplitude des oscillations posturales dans la bande de fréquence ventilatoire est-elle normale ou non? (figure 9).

 

 FIG. 9 - Distribution du paramètre ANØ2
Courbe de Gauss de la distribution normale théorique du paramètre ANØ2. (Oscillations droite-gauche, yeux ouverts)
Histogramme de la distribution du même paramètre dans une population de 483 patients présentant une atteinte vestibulaire aux épreuves fonctionnelles.
Pour les oscillations droite-gauche, en situation yeux ouverts, la valeur moyenne de l´amplitude normalisée des oscillations posturales dans la bande de fréquence 0,2 Hz est de 11,39% ± 6,95; la limite de confiance supérieure à 95% est de 25%.
(D´après Gagey & Toupet, 1997)

 

   Ce paramètre est un outil, non une explication. Il affine notre capacité d´observation (figure 10).


 FIG. 10 - Étude statistique de l´évolution du paramètre ANØ2 dans une population de lombalgiques.
Moyennes et écarts-types de la distribution du paramètre aux différents temps du protocole, comparaison aux valeurs normales théoriques figurées par des lignes (*: p<0,05; **: p<0,01; ***: p<0,001; m: moyenne; s: écart-type; LC: limite de confiance supérieure à 95%).
Les flèches verticales indiquent un temps de manipulation.
L´expérience montre à l´évidence que les temps de manipulation ne doivent pas être fixés arbitrairement par un protocole rigide.
(D´après Scheibel, communication personnelle)

 

   Pour trouver le fil d´Ariane dans ce mystérieux labyrinthe des relations Posture-Ventilation, plus qu´au paramètre ANØ2 je ferais confiance aux mains des thérapeutes qui doivent palper les corps de leurs malades et se laisser guider par leurs réactions.

   Le paramètre ANØ2, lui, ne sera qu´un serviteur de cette recherche.

Bibliographie