Photo de Françoise Zamfiresco

Albi, décembre 2012

Bernard WEBER

23/10/1927 - 9/07/2013

Par Pierre-Marie GAGEY

     Anaximandre de Milet !... Oui, c'est bien lui, Anaximandre de Milet, qui est le symbole de reconnaissance entre toi et moi, Bernard... entre toi et nous tous, nous les posturologues que tu as tant aidés...

     Ton bonheur, ton enthousiasme, ta jubilation!... le jour où tu es venu m'apporter ce livre de Rovelli et Smerlak. Il venait de sortir... cela fait 4 ans déjà. Je ne t'ai jamais vu pareillement jubiler ! Et la jubilation ne trompe pas, elle est bien le signe que quelque chose de grand se passe. Ce livre, en effet, nous fait palper la puissance de l'intelligence humaine à travers l'œuvre de ce personnage. A sa naissance, la terre est la base solide sur laquelle repose le cosmos, protégé des eaux abyssales par la voûte céleste sur laquelle sont épinglés les étoiles et que parcourt, chaque jour, un soleil nouveau, c'est l'évidence, bien sûr!... L'évidence des hommes du temps d'Anaximandre. De quelle puissance n'a-t-il pas eu besoin pour renverser cette évidence sacrée, ancrée dans les esprits depuis les origines! Oser dans un tel contexte, oser dire que la terre flotte dans l'espace... Oser imaginer que sous la terre, il n'y a rien... rien qui la soutienne, pas de bras d'Hercule, pas de tortue géante, rien, absolument rien. Nous avons de la peine à reconstituer dans nos esprits ce bouleversement qu'Anaximandre impose à ses contemporains; Galilée, un petit enfant en comparaison!

    Être capable, sur la base de quelques indices, de construire par ses raisonnements une représentation de réalités qu'on ne voit pas, telle se présente, depuis l'antiquité, la puissance de l'intelligence humaine... Car aujourd'hui, grâce à nos satellites, nous la voyons la terre, flotter dans l'espace comme une petite boule, mais du temps d'Anaximandre il ne voyait rien ou presque, seulement la voûte céleste tourner, toutes les nuits presque pareille et dans le même sens, mais tout le monde voyait bien aussi que la terre est la base solide, sur laquelle tout s'appuie, tout repose... tout, tous les hommes et toutes les femmes et même les animaux, de toutes les espèces, et même la mer et tous les poissons qui l'habitent... Renverser les évidences à l'aveugle, ou presque sans rien voir, alors que les autres voient bien que les choses sont autrement que ce que l'on dit... Voilà bien la puissance de l'intelligence de l'homme, de l'intelligence du monde à laquelle tu as cru passionnément, Bernard, et nous y croyons aussi: Anaximandre de Milet est bien notre symbole de reconnaissance.

     Et tu savais que le domaine de la raison est bourré de pièges! Avec quelle patience tu as passé ton temps à critiquer nos protocoles, nos manques de rigueur, pour nous éviter de dire trop de bêtises... Cela aussi fait partie de l'intelligence.

     J'étais tellement séduit par ce que nous faisions ensemble que, ces derniers mois, comme à Albi, je n'ai pas su lire sur ton visage ta fatigue et un petit brin de désarroi, nous cachais-tu quelque chose? Stupidement, je t'ai balancé en pleine figure mes dernières réflexions sur le non-être. Tu n'as rien dit.

     Sur les autres facettes de ton histoire, Bernard, je n'ai rien à dire, sauf un tout petit rien sur ton histoire avec Denise dont nous avons été parfois de discrets témoins, comme par exemple cet instant volé par la caméra de Laurence. Instant piquant que ces deux huguenots savourant le champagne et leur affection sous les lambris du palais de ces foutus papistes de Princes-Évêques de Liège!

Photo de Laurence Guez

Liège Janvier 2012

Hommage à Bernard WEBER

Bernard,
Je voudrais terminer la dernière conversation que nous avons eu ensemble, tous les deux, mais aussi avec Denise, Sylvie et Philippe. Celle à laquelle j'ai fait allusion plus haut. Cette intuition étonnante qui a traversé mon esprit, à un mois de ta mort.

Cette fois, çà y est…

Tu n'es plus! Tu as basculé dans le domaine du non-être.

Et cela me réjouit, car nous savons que le domaine du non-être est aussi le domaine de l'origine. Il faudrait être bien naïf, en effet, pour assigner à l'origine de l'être d'être un étant!...

Alors réjouissons-nous de t'avoir connu! Car pour beaucoup d'entre nous, tu as été l'origine…

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