Y-t´il une pathologie «infracanaliculaire»?

Étude des oscillations posturales anormales

dans la bande de fréquence 0,2 Hertz.

P.M. Gagey* et M. Toupet**

*Institut de posturologie, Paris
*Centre d´explorations fonctionnelles vestibulaires, Pa
ris

 

Résumé

   L´amplitude des oscillations posturales dans la bande de fréquence 0,2 Hz a été étudiée, grâce au paramètre d´amplitude normalisée, dans deux cohortes de malades posturaux dont les épreuves fonctionnelles vestibulaires étaient normales ou non.

   Dans ces deux cohortes cette amplitude normalisée est anormale.

   Les épreuves fonctionnelles vestibulaires ne sont donc pas capables de détecter toutes les anomalies de fonctionnement du contrôle postural.

   Comme la stabilométrie enregistre des oscillations dont les accélérations sont inférieures au seuil de perception des canaux semi-circulaires, il est possible d´affirmer qu´elle, et elle seule pour le moment, est capable de mesurer les effets d´une pathologie posturale «infracanaliculaire». A partir de cette étude cependant il n´est pas possible d´affirmer formellement l´existence de cette pathologie car il persiste un doute sur la capacité des épreuves fonctionnelles vestibulaires à tester l´état des canaux verticaux.

   La possibilité d´une telle pathologie est discutée.



Introduction

   Il est reconnu que la stabilométrie est une méthode valable d´exploration du contrôle de la posture orthostatique (A.A.N, 1992; Cambier, 1993), mais personne n´a expliqué en quoi elle pouvait servir au diagnostic clinique. De fait elle n´est pas utilisée en neurologie. Elle s´est même révélée, très tôt, totalement inutile aux otoneurologues qui n´avaient pas attendu la stabilométrie pour établir leurs critères diagnostiques (Aubry et al., 1968). Cette dernière constatation est étonnante: comment le contrôle de la posture orthostatique exploré par la stabilométrie peut-il être à ce point étranger aux troubles de l´équilibre étudiés par les otoneurologues?

   Une explication possible de cette apparente contradiction consiste à supposer qu´il existe une pathologie du contrôle postural dans un domaine qui échappe au contrôle des canaux semi-circulaires. Il existerait une pathologie «infracanaliculaire», pour reprendre l´excellente expression proposée par l´Académie de Médecine.

   Cette hypothèse est fondée sur la sensibilité des appareils de posturographie statique qui enregistrent des oscillations du corps dont les accélérations sont inférieures au seuil de perception des canaux semi-circulaires. Cette grande sensibilité de la posturographie avait déjà été notée avec l´ataxiamètre de Miles (Birren, 1945), on la retrouve avec les stabilomètres (Gagey &Toupet, 1988).

   Pour tester cette hypothèse, les enregistrements stabilométriques de malades posturaux dont la fonction des canaux semi-circulaires était ou non normale ont été comparés. Il apparaît que les malades dont la fonction vestibulaire est normale se comportent sur plate-forme de stabilométrie comme les malades dont la fonction vestibulaire est anormale. Il existerait donc une pathologie posturale que les examens otoneurologiques conventionnels ne mettent pas en évidence parce qu´ils ne testent que l´état des canaux semi-circulaires.

   L´existence de cette pathologie posturale particulière, décrite par la stabilométrie, est cohérente avec la notion d´un sous-système du contrôle postural qui fonctionne sans l´information canaliculaire, le «Système Postural Fin» (Gagey, 1994).

Matériel et Méthodes



Les cohortes de malades



   
A partir de dix mille dossiers de malades «posturaux» qui avaient tous subi un enregistrement stabilométrique et une exploration fonctionnelle vestibulaire il a été possible de constituer deux groupes d´une centaine de malades dans chacune des cinq décades suivantes : 40/49, 50/59, 60/69, 70/79, 80 ans et au-delà, (tab. 1).

    Dans chaque décade un des groupes comprend uniquement des malades dont la fonction vestibulaire était anormale aux épreuves fonctionnelles, l´autre uniquement des malades dont la fonction vestibulaire était normale.

   Par la formule «malades posturaux» nous désignons tous les malades qui se plaignent de symptômes en rapport avec une dysfonction du contrôle de la posture orthostatique.

   Les malades seront nommés «NonVestibulaires» ou «Vestibulaires» selon que leurs épreuves fonctionnelles étaient normales ou non.

âge

40/49

50/59

60/69

70/79

= ou >80
Vestibulaires

100

99

100

100

84
NonVestibulaires

100

100

100

100

84

TAB. 1 - Nombres des patients par tranches d´âge

   Les groupes de malades dont la fonction vestibulaire était anormale ont été composés, à part égale, de névrites vestibulaires, de maladies de Ménière, de Vertiges paroxystiques positionnels bénins - en phase aiguë et après traitement -, de syndromes centraux.

   Les critères de normalité de la fonction vestibulaire reposaient sur une recherche du nystagmus, spontané et provoqué par des manoeuvres de positionnement, des épreuves caloriques, une épreuve rotatoire, une épreuve de poursuite pendulaire.

   Ont été exclus de la constitution de ces groupes tous les patients dont les enregistrements présentaient soit une surface de statokinésigramme en situation yeux ouverts supérieure à 2.000 mm
2, soit une intercorrélation sinusoïdale.


Enregistrements stabilométriques


   Les enregistrements ont tous été réalisés sur une plate-forme de stabilométrie normalisée par l´Association Française de Posturologie (Bizzo et al., 1985), informatisée, validée par les travaux de la même Association (A.F.P., 1985), commercialement disponible en Europe méridionale. L´environnement visuel est strictement normalisé: cible à 90 cm devant le sujet, éclairée à 2.000 lux, parois latérales à 50 cm. La position des pieds sur la plate-forme est normalisée: pieds à 30°; talons espacés de 2 cm; barycentre du polygone de sustentation toujours situé au même point, quelle que soit la pointure du sujet. Les enregistrements ont été réalisés en situation yeux ouverts, l´acuité visuelle éventuellement corrigée selon les habitudes du sujet, puis yeux fermés dans la pénombre. Échantillonnage à 5 Hz de la position du centre de pression. Durée de l´enregistrement 51,2 s. Le signal analogique provenant de chacune des trois jauges de contrainte était filtré par un filtre antirepliement, bande passante 0/2 Hz, structure du quatrième ordre.

Analyse du signal stabilométrique


   Après normalisation par rapport à sa valeur moyenne et application de la fenêtre de Hamming, le signal a été soumis à l´algorithme de FFT de Cooley-Turkey, qui a fourni une valeur du spectre d´amplitude pour chacune des 125 bandes de fréquence élémentaire de 0,02 Hz entre 0 et 2,5 Hz.

   A partir de ce spectre d´amplitude a été calculé le paramètre «ANØ2», valeur de l´amplitude normalisée dans la bande de fréquence 0,2 Hz (Gagey, papier compagnon).

Analyse statistique


   L´analyse statistique compare les distributions du paramètre ANØ2 dans la population normale et les cohortes de malades par le t-test de Student.


Résultats



   
Les résultats sont présentés pour les oscillations droite-gauche (XAD) et les oscillations avant-arrière (YAD), dans les situations yeux ouverts (YO) et yeux fermés (YF), sous forme de comparaison des malades aux sujets normaux et entre eux.

Comparaison des malades Vestibulaires aux sujets normaux


Oscillations droite-gauche


Situation yeux ouverts


   
Chez les Vestibulaires, en XAD, YO, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 23,39 ± 15,32 (fig. 1).

 FIG. 1 - Distribution de ANØ2 chez les malades vestibulaires et les normaux, en XAD, YO.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 483; t = 6,84
(p < 0,001).

 





Situation yeux fermés


   
Chez les Vestibulaires, en XAD, YF, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 22,05 ± 14,31 (fig. 2).

 FIG. 2 - Distribution de ANØ2 chez les malades vestibulaires et les normaux, en XAD, YF.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 483; t = 3,39
(p < 0,001).

 




Oscillations avant-arrière


Situation yeux ouverts


 
Chez les Vestibulaires, en YAD, YO, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 17,50 ± 11,97 (fig. 3).
 FIG. 3 - Distribution de ANØ2 chez les malades vestibulaires et les normaux, en YAD, YO.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 483; t = 6,69
(p < 0,001).

 




Situation yeux fermés


   Chez les Vestibulaires, en YAD, YF, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 16,98 ± 10,77 (fig. 4).

 FIG. 4 - Distribution de ANØ2 chez les malades vestibulaires et les normaux, en YAD, YF.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 483; t = 1,91
(ns).

 



Comparaison des malades NonVestibulaires aux sujets normaux



Oscillations droite-gauche


Situation yeux ouverts


   
Chez les NonVestibulaires, en XAD, YO, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 19,26 ± 12,55 (fig. 5).

 FIG. 5 - Distribution de ANØ2 chez les malades NonVestibulaires et les normaux, en XAD, YO.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 482; t = 5,43
(p < 0,001).

 




Situation yeux fermés


   
Chez les NonVestibulaires, en XAD, YF, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 21,69 ± 13,14 (fig. 6).



 FIG. 6 - Distribution de ANØ2 chez les malades NonVestibulaires et les normaux, en XAD, YF.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 482; t = 3,42
(p < 0,001).

 



Oscillations avant-arrière


Situation yeux ouverts


   Chez les NonVestibulaires, en YAD, YO, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 15,66 ± 10,45 (fig. 7).

 FIG. 7 - Distribution de ANØ2 chez les malades NonVestibulaires et les normaux, en YAD, YO.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 482; t = 6,09
(p < 0,001).

 

 




Situation yeux fermés



   Chez les NonVestibulaires, en YAD, YF, la moyenne du paramètre ANØ2 est de 18,16 ± 11,41 (fig. 8).

 FIG. 8 - Distribution de ANØ2 chez les malades NonVestibulaires et les normaux, en YAD, YF.

Histogramme des malades, courbe de Gauss de la distribution normale. N = 482; t = 2,73
(p < 0,01).

 


Comparaison des malades Vestibulaires aux NonVestibulaires


   Les résultats des comparaisons de moyennes entre les cohortes de malades Vestibulaires et NonVestibulaires sont présentés au tableau 2.

XAD

XAD

YAD

YAD

YO

YF

YO

YF
t de Student

4,59

0,42

2,54

1,65
Signification

p<0,001

ns

p<0,05

ns


TAB. 2 - t de Student des comparaisons de moyennes entre les distributions du paramètre ANØ2 des malades Vestibulaires et des NonVestibulaires


Comparaison des classes d´âge


   L´effet de l´âge sur le paramètre ANØ2 a été étudié séparément chez les malades Vestibulaires et NonVestibulaires.

L´effet de l´âge chez les malades Vestibulaires


   Les résultats des comparaisons de moyennes des distributions du paramètre ANØ2 entre la cohorte de malades Vestibulaires de 40/49 ans et les cohortes des malades Vestibulaires des autres classes d´âge sont présentés au tableau 3.

Age XAD XAD YAD YAD
YO YF YO YF
50/59 1,05 1,18 0,39 0,57
ns ns ns ns
60/69 0 0,57 0,75 0,60
ns ns ns ns
70/79 0,21 0,08 1,45 2,31
ns ns ns p<0,05
= ou >80 0,91 1,67 1,88 1,99
ns ns ns p<0,05



TAB. 3 - t de Student des comparaisons de moyenne des distributions du paramètre ANØ2 dans les cohortes de malades Vestibulaires entre la classe d´âge 40/49 ans et les autres classes d´âge.

L´effet de l´âge chez les malades NonVestibulaires



   Les résultats des comparaisons de moyennes des distributions du paramètre ANØ2 entre la cohorte de malades NonVestibulaires de 40/49 ans et les cohortes des malades NonVestibulaires des autres classes d´âge sont présentés au tableau 4.

Age XAD XAD YAD YAD
YO YF YO YF
50/59 1,21 0,63 0,66 0,97
ns ns ns ns
60/69 1,20 2,02 0,45 0,63
ns p<0,05 ns ns
70/79 2,10 0,21 0,71 0,87
p<0,05 ns ns ns
= ou >80 3,70 0,11 0,51 0,44
p<0,001 ns ns ns



TAB. 4 - t de Student des comparaisons de moyenne des distributions du paramètre ANØ2 dans les cohortes de malades NonVestibulaires entre la classe d´âge 40/49 ans et les autres classes d´âge.


Discussion



L´hypothèse d´une pathologie «infracanaliculaire»


   A partir de cette analyse il est possible d´affirmer que la population étudiée de malades «posturaux» NonVestibulaires présente, comme les malades Vestibulaires, une distribution anormale du paramètre ANØ2, même si la distribution de ce paramètre, en situation yeux ouverts, est plus anormale chez les Vestibulaires que chez les NonVestibulaires (tab. 2). La dichotomie très stricte établie par les épreuves fonctionnelles vestibulaires entre Vestibulaires et NonVestibulaires disparaît lorsque ces malades sont soumis à un enregistrement stabilométrique. Ce dernier examen met en évidence des anomalies du contrôle de la posture orthostatique qui échappent aux épreuves fonctionnelles vestibulaires classiques, utilisées au cours de cette étude.

   Il est reconnu que les épreuves vestibulaires classiques ne testent que l´état des canaux semi-circulaires par le biais de la boucle vestibulo-oculaire. Ces épreuves permettent donc uniquement de dire que la fonction canaliculaire des malades était normale le jour de leur enregistrement stabilométrique, encore faut-il accepter une certaine réserve sur l´état des canaux verticaux. Du fait de cette dernière réserve, les résultats de cette étude ne permettent pas d´affirmer formellement qu´il existe une «pathologie infracanaliculaire», mais ils rendent cette hypothèse plus vraisemblable.

   Cette hypothèse, en effet, a déjà été implicitement soutenue, dès 1945, par Birren qui a clairement dissocié le contrôle de l´équilibre statique et la fonction canaliculaire. Et dix années auparavant Rademaker (1935) avait remarqué que des malades atteints d´une destruction bilatérale de la huitième paire n´avaient pas de difficultés à se tenir debout immobiles alors qu´ils étaient totalement incapables de marcher sur un rail.

   Actuellement les travaux de l´International Society for Postural and Gait Research soulignent globalement la distinction entre le contrôle de l´équilibre statique et dynamique (Igarashi & Black, 1985; Amblard et al., 1989; Brandt et al., 1990; Woollacott & Horak, 1992; Taguchi et al., 1994). Et Fitzpatrick. & McCloskey ont publié des travaux de physiologie qui confirment que le maintien de la posture orthostatique n´utilise pas l´information canaliculaire (1994).

Le système postural fin


   Il existe donc, très vraisemblablement, un sous-système du contrôle postural qui n´utilisent pas la fonction canaliculaire; son existence a été soupçonnée dans les années 60 par Baron; il a été nommé le «Système postural fin» (Gagey, 1994).

   Comme ce système contrôle le maintien de la posture orthostatique il est logique de vérifier si les dérèglements fonctionnels de la station debout ont ou non un rapport avec une dysfonction de ce système (Gagey & Weber, 1995). Et la seule technique que nous connaissions à l´heure actuelle pour mesurer le fonctionnement global de ce système est la stabilométrie.

   Comme un grand nombre de dérèglements de la station debout n´ont jamais été rattachés à une lésion en foyer du système nerveux central on peut se demander à quoi correspondraient ces dysfonctions du système postural fin supposées les expliquer. Cette question n´est pas nouvelle, Babinski et Froment (1918) l´ont déjà abordée au début de ce siècle en s´interrogeant sur ce que représentaient ces maladies «nerveuses» qui ne correspondent ni à des lésions en foyer du système nerveux central, ni à des troubles psychiatriques. Dans le cadre du contrôle de la posture orthostatique, la notion de système postural fin apporte une réponse possible à cette question. Les analyses chaotiques du signal stabilométrique ont montré en effet que le système postural fin fonctionne comme un système dynamique non linéaire (Martinerie & Gagey, 1992; Myklebust et al., 1995; Thomasson, 1995, personal communication) et l´extrême sensibilité de ces systèmes est maintenant parfaitement connue: «The flap of a butterfly´s wings in Brazil set off a tornado in Texas» pour ne citer que Lorenz (1993). Les dysfonctions «mystérieuses» du système postural fin à l´origine de certains dérèglements de la station debout ne seraient qu´une expression du mode de fonctionnement étrange de ces systèmes métastables.


Les malades


   Le choix des malades n´a pas été opéré selon les catégories nosologiques habituelles puisque, précisément, cette analyse teste l´hypothèse d´une catégorie nosologique nouvelle. Pour ne pas introduire de biais statistique, les cohortes de malades Vestibulaires ont été constituées d´un nombre égal de malades représentant les différentes pathologies qui modifient les épreuves fonctionnelles vestibulaires. Quant aux cohortes de malades NonVestibulaires elles ont été constituées de malades qui accusaient des perturbations du contrôle de la posture orthostatique, quelque soit leur diagnostic conventionnel. Les plaintes «posturales» de ces malades se rapportaient donc essentiellement à de l´instabilité et/ou à des sensations vertigineuses, mais il n´est pas exclu que les algies de l´axe corporel présentées par certains d´entre eux aient pu aussi modifier leur paramètre ANØ2 (Gagey, 1986; Guillemot & Duplan, 1995).

   Selon certains otoneurologues, un seul bilan fonctionnel vestibulaire normal serait insuffisant pour affirmer que la fonction canaliculaire de ces malades serait toujours satisfaisante. Cela est peut-être possible, mais il est sûr que le jour où ces malades ont été enregistrés sur stabilomètre, ce jour-là leurs canaux semi-circulaires manifestaient un fonctionnement normal.

   Les malades dont une surface de statokinésigramme, en situation yeux ouverts ou yeux fermés, était supérieure à 2.000 mm
2 ont été exclus de cette étude car les calculs théoriques montrent que de telles surfaces correspondent à des oscillations posturales dont des accélérations sont susceptibles d´être perçues par les canaux semi-circulaires (Gagey & &Toupet, 1988). Certes, les marges d´erreur de cette limite de 2.000 mm2 sont inconnues, mais dans l´état actuel de nos connaissances il était indispensable de prêter attention, même imparfaitement, à cette intervention des canaux semi-circulaires dans le contrôle postural.

   Les malades dont une intercorrélation du signal stabilométrique était sinusoïdale ont été exclus de cette étude car un tel tracé est la preuve que les oscillations droite-gauche et antéro-postérieures partagent la même fréquence; elles ne possèdent donc plus de critère qui permettent d´assurer leur indépendance normale (Kapteyn, 1973), il est donc possible qu´elles soient prises en charge par un centre unique, vraisemblablement supérieur, qu´elles soient «surcontrôlées» (Ferrey, 1995).

L´effet de l´âge


   Cinq des 32 combinaisons de comparaisons de moyenne entre les différentes classes d´âge, aux tableaux 3 et 4, présentent des différences statistiquement significatives.

   Chez les Vestibulaires on note une réduction significative du paramètre ANØ2 chez les plus âgés (en YAD, YF, dans la septième décade sa moyenne est de 14,74 ± 9,28 et dans la huitième décade elle est de 15,10 ± 8,65, au lieu de 18,25 ± 11,99 dans la quatrième décade).

   Chez les NonVestibulaires on note au contraire une augmentation du paramètre ANØ2 chez les plus âgés (en XAD, YF, dans la sixième décade sa moyenne est de 24,75 ± 13,63, au lieu de 21,03 ± 12,45 dans la quatrième décade; en XAD, YO, dans la septième décade sa moyenne est de 20,03 ± 12,92 et dans la huitième décade elle est de 23,22 ± 14,08, au lieu de 16,58 ± 10 dans la quatrième décade).

   L´évolution du paramètre ANØ2 avec l´âge ne présente pas le même profil que l´évolution des autres paramètres stabilométriques (Toupet et al., 1992).

   Ces quelques différences significatives entre classes d´âge n´empêchent pas de les regrouper pour l´analyse statistique car il est bien connu que le vieillissement s´accompagne de difficultés du contrôle de la posture orthostatique (Woollacott et al., 1986; Horak et al., 1989; Toupet et al., 1992).


Le choix du paramètre ANØ2


   Il existe de nombreux paramètres de stabilométrie: Surface et Longueur du statokinésigramme, position moyenne en X et en Y, Écart-type de la vitesse, etc.; la plupart de ces paramètres sont modifiés au cours des dérèglements de la station debout (Gagey & Weber, 1995). Mais on ne peut jamais être tout à fait sûrs que ces paramètres n´ont pas été modifiés plus ou moins consciemment par certains sujets. Il existe bien des critères, au cours d´un examen clinique, qui permettent de suspecter une simulation, sans pouvoir l´affirmer cependant; mais au cours d´études portant sur un grand nombre de malades ces critères médiocres sont inutilisables. Par contre il semble difficile de suspecter la moindre simulation en vue de modifier le pourcentage de l´amplitude des oscillations posturales dans la bande de 0,2 Hz, surtout par des sujets totalement ignorants des techniques d´analyse du signal stabilométrique.


Le rôle du rythme de ventilation


   Au cours des enregistrements stabilométriques de cette étude le rythme de la ventilation n´a jamais été enregistré en même temps que les mouvements du centre de pression. Il n´est donc pas possible d´étudier le rôle du rythme de ventilation dans l´apparition des anomalies rapportées du paramètre ANØ2. Mais il est impossible aussi d´éviter de se poser des questions à ce sujet. Quel rapport pourrait-il y avoir entre une atteinte des canaux semi-circulaires et l´amplitude anormales des oscillations posturales synchrones de la respiration? Cette question est suffisamment nouvelle pour qu´on s´y arrête un instant.

   Rappelons d´abord que de nombreux travaux de physiologie ont étudié la relation qui existe entre le rythme de ventilation et les oscillations posturales (Cf. papier compagnon) et personne n´a prouvé que cette relation qui existe chez l´homme normal disparaisse chez le malade. Au contraire Gurfinkel a montré que les oscillations posturales dans la bande de fréquence 0,2 Hz devenaient nettement plus amples chez des malades, au point d´être directement visibles sur les stabilogrammes sans analyse de Fourier (Gurfinkel & Elner, 1973). Pour expliquer cette augmentation des oscillations de 0,2 Hz chez certains malades Gurfinkel suggère qu´il existe chez l´homme normal une synergie entre la ventilation et les mouvements de l´articulation coxo-fémorale qui réduit l´impact des mouvements de ventilation sur les oscillations posturales; cette synergie disparaîtrait au cours de certaines maladies (Gurfinkel et al., 1971). Sans nier l´existence possible de cette synergie Hunter et Kearny (1981), confirmés par Bouisset et Duchêne (1994), contestent qu´elle se réalise au niveau de l´articulation coxo-fémorale. Tardy (1997) la situe au niveau du thorax, elle serait modifiable par une asymétrie de l´activité des muscles respiratoires et posturaux de cette région. Cette dernière proposition pourrait rendre compte du lien entre les atteintes des canaux semi-circulaires et une augmentation des oscillations posturales en rapport avec la ventilation, les asymétries toniques posturales des vestibulaires en effet sont bien connues.


Conclusion



   Cette étude sur l´amplitude normalisée des oscillations posturales dans la bande de fréquence 0,2 Hz montre que les épreuves fonctionnelles vestibulaires limitées aux seuls canaux semi-circulaires sont incapables de détecter certaines anomalies du contrôle de la posture orthostatique mises en évidence par la stabilométrie. Comme cette dernière technique enregistre des oscillations dont les accélérations sont inférieures au seuil de perception des canaux, il est possible de soutenir l´hypothèse que la stabilométrie explore une pathologie «infracanaliculaire», sans prétendre pour autant que la présente étude le démontre.

   Dans ce contexte divers travaux fondamentaux ont été évoqués qui donnent cohérence et crédibilité à la notion d´un sous-système du contrôle postural propre à la posture orthostatique, le «système postural fin» vers lequel convergent ces approches cliniques et fondamentales.

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