Par hasard,
au cours d'une étude systématique des corrélations
entre tous les paramètres stabilométriques possibles,
nous avons découvert une corrélation extrêmement
forte entre la position moyenne en Y et l'écart-type rectifié
de la vitesse de déplacement du centre de pression (Gagey
& Gentaz, 1986) (fig. 1).
FIG. 1 - Écart-type rectifié de la vitesse de déplacement du centre de pression en fonction de la position moyenne en Y (il s'agit de la position adoptée spontanément par les sujets et non d'une étude sur des postures penchées ou des limites d'équilibre).
N: 100. |
Nous avons alors décidé
d'étudier en stabilométrie clinique cette corrélation
étonnante, en vérifiant tout simplement, par le
paramètre VFY (Gagey & Gentaz, 1993), que le sujet
est ou non à l'intérieur du nuage de points des
sujets normaux (fig. 1).
A) Hypothèse Raideur-Masse
La recherche de la signification de ce paramètre nous a très rapidement orienté vers un phénomène de raideur du pendule humain inversé, exprimé à l'aide de cette analogie: plus les haubans d'un mat sont raides moins il gigote. Autrement dit plus raides sont les tissus des loges postérieures des jambes qui contrôlent les mouvements du pendule inversé autour des chevilles, moins les muscles des loges postérieures des jambes sont sollicités. Plus précisément, comme la verticale de gravité du sujet normal passe toujours en avant de l'axe des tibio-tarsiennes, la décomposition des forces (fig. 2) fait apparaître une composante dirigée vers l'avant qui crée un couple autour de la tibio-tarsienne tendant à faire chuter le sujet en avant. Ce couple est annulé par un couple égal et de sens contraire dont on sait qu'il est dû à la raideur des tissus et à des contractions musculaires dans la mesure où la raideur est insuffisante (Loram et al., 2009) |
|
FIG. 2 - Le Pendule |
B) Cohérence expérimentale
Deux expériences ultérieures
ont été cohérentes avec cette hypothèse:
une modification de la raideur de ces muscles postérieurs
de jambe, par un procédé physique (Tactique de la
hanche) ou pharmacodynamique (myorelaxant), modifie d'une manière
statistiquement très significative les valeurs du paramètre
VFY.
1) Tactique de la hanche
Les vieillards utilisent
la tactique de la hanche pour se stabiliser (Horak et al.,
1989).
FIG. 3 - Étude des couples chez le sujet âgé.
L'étude de la décomposition des forces de la posture du vieillard (Fig. 3) montre que peut apparaître une force dirigée vers l'arrière qui tend à faire chuter le vieillard en arrière (ce qui est bien connu en clinique). la raideur des tissus des loges postérieures des jambes est donc très faible, donc les contractions musculaires de ces loges sont très importantes. Et l'on constate effectivement chez les sujets âgés une augmentation progressive du paramètre VFY avec l'âge (Gagey et al., 1992) témoignant d'une réduction progressive de la tension des tissus des loges postérieurs des jambes (fig. 4). |
FIG. 4 - Évolution du paramètre VFY avec l'âge.
La moyenne et l'écart-type du paramètre VFY chez le sujet jeune normal sont représentés pour comparaison. (D'après Gagey, Toupet, Heuschen, 1992). |
2) Myorelaxant
L'activité myorelaxante des benzodiazépines, bien connue, entraîne une augmentation du paramètre VFY. C'est exactement ce qui a été constaté dans un groupe de 21 sujets jeunes (âge moyen 22 ans) enregistrés en situation yeux ouverts, 3 heures après la prise d'une dose de 2,5 mg de lorazépam (fig. 5).
FIG. 5 - Histogramme
du VFY sous l'influence du lorazépam. Courbe de Gauss: distribution normale théorique du paramètre VFY en situation yeux ouverts. Histogramme : distribution du même paramètre dans une cohorte de 21 sujets enregistrés dans les mêmes conditions 3 heures après la prise d'une dose de 2,5 mg de lorazépam. (p<0,001). |
La «carrière»
prometteuse de ce paramètre a été interrompue
par toute une série d'erreur.
1) L'erreur de la Variance
Le paramètre
est calculé à partir de l'écart-type rectifié
de la vitesse, mais, pour des raisons d'euphonie, de concision,
j'ai parlé de «Variance» de la vitesse. Première
erreur qui n'a pas favorisé la communication.
2) L'erreur de programmation
L'intervalle
de temps entre deux échantillonnages successifs étant
toujours identique, pour calculer la vitesse de déplacement
du centre de pression entre deux échantillonnages successifs
il suffit de calculer la distance qui sépare les deux positions
successives du centre de pression.
Ce calcul s'effectue grâce au théorème de
Pythagore: dans un triangle rectangle le carré de l'hypoténuse
est égal à la somme des carrés des côtés
de l'angle droit (fig. 6).
FIG. 6 - Calcul de la distance entre deux positions successives, p[i-1] et p[i], du centre de pression.
|
L'écart-type
de la vitesse utilisé pour le calcul du VFY normalisé
est donc «rectifié» par la vitesse nécessaire
pour parcourir la distance entre le centre du polygone de sustentation
et la première position échantillonnée du
centre de pression, pendant le temps d'un intervalle d'échantillonnage.
3) L'erreur des informaticiens
Certains
informaticiens, s'apercevant de cette erreur, l'ont corrigée
et ont utilisé un écart-type de la vitesse sans
le «rectifier», sans penser que les normes du paramètre
VFY étaient une donnée expérimentale, réalisée
avec la valeur de l'écart-type rectifié de la vitesse.
Le paramètre fourni par leur programme n'avait alors plus
aucun rapport avec Normes85, au grand dam des utilisateurs de
leurs plates-formes qui n'y comprenaient plus rien.
D'autres informaticiens conscients de
l'importance des algorithmes utilisés lors de la normalisation
ont corrigé leurs propres algorithmes pour y faire apparaître
la distance entre l'origine du référentiel et la
première position du centre de pression. Mais ils ont oublié
que cette distance devait être divisée par la durée
de l'intervalle d'échantillonnage pour obtenir une vitesse.
Le paramètre VFY qu'ils affichaient alors était
complètement faux.
4) L'erreur des constructeurs de plate-forme
À
partir de 1995, l'idée a circulé dans le groupe
des posturologues que la cadence d'échantillonnage à
5 Hz était trop lente. Certains constructeurs de plate-forme
ont alors proposé des machines qui pouvaient échantillonner
le signal à des cadences supérieures, sans attirer
suffisamment l'attention de leurs clients sur le fait que les
Normes85 étaient basées sur des enregistrements
à 5 Hz. Bien plus certains programmes de stabilométrie
étaient présentés de telle sorte que la cadence
de 10 Hz soit considérée comme la cadence ordinaire
d'acquisition. Or la longueur des intervalles entre deux positions
successives du centre de pression change considérablement
lorsque la cadence d'échantillonnage double! Et la relation
entre cadence d'échantillonnage et longueur n'est pas linéaire
(Gagey et al.,1999).
Un certain nombre de plates-formes ont
donc été mises sur le marché dont le paramètre
VFY n'avait plus aucune signification; et l'idée s'est
donc répandue dans le groupe des posturologues que ce paramètre
n'avait aucun intérêt.
Tant d'erreurs,
tant d'incompréhensions, tant de fautes de communication
ont émaillé l'histoire du VFY qu'il est légitime
de se poser la question: faut-il sauver ce paramètre?
À cette question, nous répondons
sans hésitations: Oui, il faut sauver le VFY - ou tout
au moins son esprit - car le système du second ordre Masse-Raideur-Frottement
du pendule humain inversé explique 90% des phénomènes
observés en stabilométrie (Winter et al,
1998) et, jusqu'à présent, seul le paramètre
VFY - ou éventuellement son remplaçant - évalue
le fonctionnement de ce système.
A) Le système Masse-Raideur-Frottement
Un pendule de masse W dont les oscillations sont contrôlées par la raideur S d'un ressort et les frottements A d'un amortisseur (fig. 7) constitue un système mécanique du second ordre qu'on peut nommer «circuit mécanique accordé» par analogie avec les circuits électroniques accordés.
FIG. 7 - Système Masse-Raideur-Frottement |
B) Le jeu des couples
FIG. 8 - Le contrôle du pendule inversé par le jeu des couples
B: Position de déséquilibre. Le centre de gravité, CdG, s'écarte de la position moyenne alors que le centre de pression, CdP, y reste. Les forces qui agissent sur le pendule ne sont plus alignées. La décomposition des forces fait apparaître une composante presque horizontale, dirigée dans le sens du |
C: Position de contrôle du déséquilibre. Le centre de pression a été déplacé au-delà de la verticale de gravité, dans cette situation nouvelle la décomposition des forces fait apparaître une composante horizontale dirigée dans le sens contraire du déplacement du CdG. Cette composante crée un couple autour du CdP qui tend à inverser le mouvement du CdG.
Le contrôle
du pendule inversé par le jeu des couples tel qu'il est
présenté sur la figure 8 ne peut pas s'appliquer
à la tactique de la cheville car le centre de pression
du pendule humain et l'axe de rotation des tibio-tarsiennes et/ou
des sous-astragaliennes ne sont pas confondus (fig. 9).
C) Chiffrer le jeu des couples
Nous utiliserons ici les calculs de DA Winter et Coll. (1998).
Soit x la distance
de la verticale de gravité à l'articulation tibio-tarsienne,
le poids du corps, W, crée un couple, W.x, par rapport
à l'axe de cette articulation. En phase de stabilisation, les deux forces R et W ne sont plus alignées, les couples qu'elle créent ne sont plus égaux et la différence entre ces deux couples, R.px-W.x, est une force qui provoque une rotation de la masse corporelle autour de la cheville. Connaissant le moment d'inertie, I, du corps autour de l'axe des chevilles on peut écrire l'équation suivante: |
|
|
(1) |
Pour de petits angles, on peut admettre que:
=
WOù |
|
est l'accélération tangentielle de la masse corporelle, |
L'équation (1) devient alors:
|
Comme I, W et h sont des constantes, on en déduit que l'accélération tangentielle du centre de gravité du pendule inversé est proportionnelle à la distance entre le centre de pression et la verticale de gravité.
D) Étude expérimentale
Winter et ses collaborateurs ont étudié
expérimentalement la pertinence de ce modèle du
pendule inversé à exprimer le contrôle postural
de l'homme en station debout au repos (Winter et al., 1998).
L'évolution du centre de pression
était enregistrée par une plate-forme de stabilométrie.
FIG. 10 - Position des 21 marqueurs
utilisés pour suivre l'évolution de la position
du centre de gravité. Pour mesurer l'évolution du centre de gravité, Winter et coll. ont enregistré, par un procédé optique, l'évolution d'une série de 21 marqueurs placés sur la peau à partir desquels il était possible de calculer à chaque instant la position du centre de gravité en tenant compte du rapport au poids du sujet de chaque partie marquée du corps (fig. 10). La superposition des courbes d'évolution du centre de gravité et du centre de pression (fig. 11) montre que le centre de pression évolue de part et d'autre du centre de gravité, comme cela avait déjà été montré par Schieppati et Col. (1994). |
FIG. 11 - Déplacements comparés du centre de gravité et du centre de pression au cours d'un enregistrement de 40 secondes.
(D'après Winter et al., 1998) |
À partir de
ces données expérimentales, il est possible de calculer
l'évolution du signal px - x, ainsi que celle
du signal d'accélération tangentielle de la masse
corporelle. Si le sujet en expérience suit l'équation
(2) du modèle du pendule inversé, on doit trouver
une corrélation entre les deux signaux expérimentaux.
L'équipe de Waterloo a effectivement
trouvé un coefficient de corrélation de l'ordre
de - 0,91 pour les oscillations sagittales (Winter et
al., 1997).
Le modèle du secon ordre, Masse-Raideur-Frottement,
du pendule inversé correspond donc à une part importante
des phénomènes de stabilisation. Il n'est pas pensable
que les cliniciens en ignorent les anomalies, mais comment convient-il
de les mesurer?
Le paramètre VFY existe, même si son histoire
est chaotique sa signification semble de plus en plus sûre.
Une première solution consisterait à continuer de
l'utiliser, après avoir revisité son mode de calcul,
et s'être assuré d'une bonne transmission de l'information.
Mais le VFY resterait de toute façon un «mauvais
paramètre de médecin», sans équation
dimension, sans correspondance à une mesure physique.
Or les travaux de diverses équipes
(Winter et al., 1998; Chow & Collins, 1995; Lauk et
al., 1998,1999 ; Kuczynski, 1999) semblent pouvoir nous fournir
le moyen d'étudier des paramètres correspondant
à des réalités physiques. Ces pistes ne doivent
pas être négligées.
A) Choix du meilleur algorithme pour le calcul du VFY
Si la corrélation entre la
position moyenne en Y et l'écart-type rectifié de
la vitesse de déplacement du centre de pression est très
élevé (Gagey & Gentaz, 1986), le coefficient
de corrélation entre cette même position moyenne
en Y et l'écart-type, non rectifié, de la vitesse
de déplacement du centre de pression est par contre très
faible (Dimidjian, communication personnelle). On constate une
étendue importante de variations du coefficient de corrélation.
Or ces variations doivent être soigneusement étudiées
lors de la définition d'un critère de normalité
car la dispersion des sujets normaux par rapport à un tel
critère doit être la plus faible possible. Autrement
dit le nuage des points représentatifs des sujets normaux
doit être le plus resserré possible autour de la
courbe de régression (fig. 12).
À la recherche de la meilleure
corrélation possible entre une expression de la
variance de la vitesse et une position du centre de pression
selon l'axe avant-arrière, quelques combinaisons différentes
ont été étudiées entre le Y moyen,
le Y minimum, l'écart-type de la vitesse et l'écart-type
rectifié de la vitesse, dans trois cohortes différentes
comportant respectivement 37, 89 et 162 sujets normaux (tab. 1
& 2).
Y moyen | Y minimum | N | |
Cohorte RP | -0,06 | -0,13 | 162 |
Cohorte N85 | 0,03 | -0,34 | 89 |
Cohorte N98 | -0,20 | -0,44 | 37 |
Y moyen | Y minimum | N | |
Cohorte RP | -0,70 | -0,69 | 162 |
Cohorte N85 | -0,59 | -0,79 | 89 |
Cohorte N98 | -0,84 | -0,91 | 37 |
Ces différentes
valeurs du coefficient de corrélation de Pearson correspondent
à des nuages de points représentatifs des sujets
normaux de plus en plus resserré autour de la courbe de
régression (fig. 12).
FIG. 12 - Évolution du nuage de points
représentatif de la distribution des sujets normaux selon
l'algorithme choisi.
Les quatre algorithmes, décrits par les légendes
des référentiels, ont été appliqués
à la même cohorte de sujets normaux, N85. (N=89)
Le meilleur
algorithme pour définir le paramètre VFY serait
donc, d'après cette étude, la régression
entre l'écart-type rectifié de la vitesse et le
Y minimum.
B) Chiffrer les constantes physiques de raideur et de frottement
Soit un circuit mécanique accordé
(fig. 13); s'il est en équilibre, le couple de rappel exercé
par la raideur du ressort, S.a, est égal au couple exercé par le poids
du pendule W.h.a. Si ces deux couples ne sont plus égaux, leur
différence crée une force qui tend à faire
pivoter le pendule:
FIG. 13 -Masse, raideur et frottement
Où I: moment d'inertie.
Par comparaison avec l'équation 2, il vient: |
|
Par conséquent:
|
La raideur du ressort est proportionnelle à la position du centre de pression par rapport à celle centre de gravité.
En calculant la transformée de
Fourier du signal CdP-CdG (fig. 14) Winter a constaté que
l'amplitude de ce signal passe par un maximum au voisinage de
0,8 Hz, ce qui est cohérent avec le «phénomène
Un Hertz» (Gagey et al., 1985), et avec les résultats
de l'analyse de diffusion du signal stabilométrique (Collins
& De Luca, 1993).
FIG. 14 - Transformée de Fourier du signal de différence entre les positions du centre de gravité et du centre de pression.
Le maximum d'amplitude correspond à la pulsation propre, wø, non amortie d'un pendule du second ordre (Masse, raideur, frottement), dont on connaît la relation avec la raideur et le moment d'inertie: |
|
Par conséquent
|
Et l'on sait par ailleurs que:
|
Où:
- Z est le coefficient d'amortissement,
- A le frottement,
- S la raideur,
- M la masse,
- u la pulsation réduite w/w n
C) Le modèle du «roseau restreint»
Chow et Collins
(1995) ont proposé un modèle du contrôle postural
de la station debout au repos qui s'appuie sur une analyse de
mécanique statistique: le modèle du «roseau
restreint» (selon la traduction que je propose de son nom
américain «Pinned Polymer», après avoir
interrogé Collins sur le sens qu'il fallait donner à
ce «polymère épinglé»). Ce modèle
a servi à Lauk et coll. (1998, 1999) pour évaluer
la raideur musculaire des parkinsoniens.
À tord peut-être, nous n'avons pas un a priori favorable à cette dernière méthode pour deux raisons. Les analyses de mécanique statistique s'opposent à ce que nous considérons comme un fait: la nature dynamique non linéaire du contrôle postural, d'une part et d'autre part elles débouchent sur une confusion du système postural fin avec le système postural global. Mais c'est peut-être l'école de Boston qui voit juste.
Raideur des tissus et contraction musculaire sont les deux mamelles du contrôle du système d'aplomb, la contraction musculaire venant au secours de la raideur lorsqu'elle est insuffisante pour assurer la stabilité du corps. L'intérêt de la variance de la vitesse des déplacemets du centre de pression était d'évaluer l'importance des contractions musculaires en relation avec le contrôle de l'aplomb, ce que de nous jours fait, beaucoup plus clairement, l'accélération du centre de masse.
Remerciements aux professeurs D.A. WINTER, M. HUGON et à monsieur Guy BIZZO pour leur aide précieuse au cours de l'écriture de cet article.